Castaner, à coups de com’ et de matraques

MEDIAPART

Peu considéré dans la majorité et jusque dans les rangs du gouvernement, le ministre de l’intérieur assume, depuis le début, la répression du mouvement des « gilets jaunes ». Ce faisant, il applique surtout ce que les syndicats policiers lui demandent, et incarne le virage sécuritaire d’Emmanuel Macron.

Les réactions sont toujours les mêmes. Évoquer le nom de Christophe Castaner devant ses collègues de gouvernement provoque regards fuyants, sourires en coin et moues gênées. Certains émettent parfois un « il fait le job », mais l’élan d’enthousiasme s’arrête généralement là. Depuis qu’Emmanuel Macron et Édouard Philippe se sont décidés, au bout de quinze longs jours de réflexion, à nommer l’ancien maire PS de Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence) à Beauvau, le ministre de l’intérieur est loin d’avoir convaincu qu’il était taillé pour le poste.

C’était en octobre 2018, après le départ forcé de Gérard Collomb. Christophe Castaner, alors secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement et délégué général du parti La République en marche (LREM), hérite du portefeuille, mais pas du titre de ministre d’État. De numéro deux du gouvernement, le ministre de l’intérieur passe en dixième position dans l’ordre protocolaire. Sous l’œil d’un secrétaire d’État bien plus aguerri que lui sur les questions de sécurité et de renseignement : l’ex-patron de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), Laurent Nuñez.

Christophe Castaner à la cérémonie organisée pour la nomination du préfet de Paris Didier Lallement, le 21 mars. © Reuters
Christophe Castaner à la cérémonie organisée pour la nomination du préfet de Paris Didier Lallement, le 21 mars. © Reuters

Un mois plus tard, éclate la crise des « gilets jaunes ». Très tôt, le nouveau locataire de la place Beauvau tente d’enfiler le costume du « premier flic de France », au sens propre comme au sens figuré. Et n’hésite pas à se mettre en scène aux côtés des forces de l’ordre, poignées de mains viriles et sweat-shirt à capuche à l’appui. L’ancien maire de Forcalquier communique beaucoup et tweete jusqu’au ridicule, à la consternation de certains de ses amis macronistes. « Casta n’a pas les codes, il n’a pas travaillé la fonction, affirme l’un d’entre eux. Travailler, ce n’est pas faire des photos avec les flics… »

Ses dernières sorties n’ont pas arrangé les choses. La fausse « attaque » de la Pitié-Salpêtrièreles ONG « complices » des passeurs « Il commet un certain nombre d’erreurs et il faut qu’il fasse attention, a récemment prévenu son prédécesseur à Beauvau, sur Europe 1Je pense que quand on est ministre de l’intérieur, on n’est pas obligé de communiquer tous les jours. »

Ceux qui sont encore au gouvernement se font plus prudents dans la critique, rappelant entre les lignes que Christophe Castaner est un fidèle de la première heure du président de la République et qu’à ce titre, il occupe une place à part dans le dispositif macroniste.

Certains évoquent même une forme d’immunité, ajoutant toutefois que l’épisode de la virée en boîte de nuit, le 9 mars, juste après l’acte XVII des gilets jaunes, a créé des tensions entre les deux hommes. Tout comme l’épisode de la Pitié-Salpêtrière qui a alimenté la gazette la semaine où Emmanuel Macron aurait préféré que les journalistes se concentrent sur ses annonces de sortie de « grand débat ». « Le ministre de l’intérieur a toute ma confiance », se contente de balayer Édouard Philippe quand on l’interroge sur le sujet.

« Cazeneuve ou Joxe, sans parler de leur position plus ou moins rigide ou autoritairece sont des ministres qui n’allaient pas en boîte de nuit, raille un haut gradé de la gendarmerie. Ce n’est pas si anecdotique qu’on le présente. Être ministre de l’intérieur, c’est une fonction qu’il faut incarner, habiter. » Et de poursuivre : « Il faut reconnaître que Macron s’est retrouvé dans un village fantôme et qu’il n’avait pas grand monde sous la main, surtout après l’affaire Benalla. Il a donc choisi un ministre que j’appellerai le ministre de l’instant, de la crise, bien que, même l’instant, il ait des difficultés à le gérer. Il rajoute souvent du chaos à la crise. »

Sur le fond, Christophe Castaner ne maîtrise pas grand-chose. « La philosophie générale, celle du retour à l’ordre, vient du président de la République, explique un conseiller ministériel. Strzoda et Kohler [respectivement directeur de cabinet et secrétaire général de l’Élysée – ndlr] font passer les directives. »

De l’avis de ceux qui participent aux réunions préparatoires aux samedis des gilets jaunes, le ministre de l’intérieur n’a pas non plus la main sur l’opérationnel, décidé de bout en bout par le préfet de Paris : d’abord Michel Delpuech, limogé après les violences du 16 mars ; aujourd’hui Didier Lallement.

Pour tenter d’incarner la fonction, Castaner se concentre donc sur la forme. Avec un succès pour le moins limité, si l’on en croit ses collègues de gouvernement, dont les langues se délient en off.

« Il n’a pas trouvé le bon costume, il n’imprime rien », souffle un ministre, expliquant que le locataire de Beauvau ne fait qu’appliquer un peu bêtement ce qu’on lui demande à l’Élysée. « Je ne sens pas une grande empathie des membres du gouvernement vis-à-vis de Castaner », reconnaît un autre, qui préfère changer de sujet et louer « les grandes qualités professionnelles » de Laurent Nuñez. « Quand t’as besoin de demander un truc, tu demandes plutôt à Nuñez », ajoute un troisième.

Même tonalité du côté des policiers, que le ministre de l’intérieur prend pourtant soin de mignoter, en ayant abandonné l’idée d’avoir une quelconque autorité sur ses troupes. Parce qu’ils le connaissent de longue date et reconnaissent son expertise, les forces de l’ordre considèrent que Nuñez est leur véritable patron. « À Beauvau, c’est lui qui épluche les dossiers, demande des synthèses, les annote. Il prémâche le travail. Castaner n’a plus qu’à parapher ce qu’il lui présente », raconte un vieux briscard de la police.

Le secrétaire d’État a la réputation d’être un gros bosseur. Lorsqu’il dirigeait la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), il arrivait au bureau à six heures du matin pour en repartir à minuit, ce qui avait le don d’agacer les agents chargés de sa sécurité. « Aujourd’hui, il est présent partout, poursuit le policier précité. Lors de l’incendie de Notre-Dame, c’était lui qu’on voyait sur le parvis alors que Castaner était à Mayotte. »

Très souvent, le ministre sort avec son secrétaire d’État : 220 obligations prévues en duo, soit plus de deux tiers de l’agenda prévisionnel de Beauvau. « Qui est le ministre ? M. Nuñez ou M. Castaner ? C’est un duo que l’on surnomme “les Twix” [en référence à la double barre chocolatée – ndlr]. Castaner est obligé d’être assisté par son secrétaire d’État, vu son manque de connaissance sur les dossiers », glisse le haut gradé de la gendarmerie cité plus haut. « Castaner est encore en apprentissage, confirme un policier. On a l’impression qu’il joue un rôle. Pour nous, ce n’est pas mal cette répartition des tâches avec Nuñez, le technicien. »

Et puis, le ministre de l’intérieur a la réputation d’avoir l’oreille du président, ce qui offre certains avantages. Du temps de Gérard Collomb, les officiers des services de renseignement surnommaient Pierre de Bousquet de Florian – le coordinateur national du renseignement rattaché à l’Élysée – le « vice-ministre ». Dès lors qu’il s’agissait de débloquer des moyens ou des effectifs, leurs patrons passaient directement par lui, en sautant la case Beauvau. Avec Castaner, les choses paraissent plus simples. « On est conscient qu’il peut nous être utile, qu’avec lui, on va dépasser l’obstacle interministériel quand on demande du fric », veut croire un syndicaliste.D’autres se montrent toutefois plus critiques. « Christophe Castaner est un très bon communicant, on ne peut pas lui enlever, mais quand on est ministre, il n’y a pas que ça… » regrette un membre de la préfectorale. Dans un autre ministère régalien, l’évocation du patron présumé de Beauvau laisse de marbre : « On ne le calcule pas… résume un haut fonctionnaire. Pour nous, il n’y a aucun intérêt à afficher notre ministre avec lui. À la limite, si on a un sujet commun, on essaiera d’organiser un déplacement avec Laurent Nuñez ! »

Un bilan en trois lettres : LBD

Ce manque de connaissance des dossiers, évoqué par la quasi-totalité de nos interlocuteurs, a bien souvent créé des situations gênantes. Plusieurs sources expliquent par exemple que Christophe Castaner aurait proposé de recourir aux militaires dès les premiers jours de la crise des gilets jaunes, à la stupéfaction des hauts gradés à qui il soumettait l’idée. Contactée, la place Beauvau botte en touche : « Ce qui a été acté entre le 1er et le 8 décembre c’est de substituer des militaires de la force Sentinelle aux policiers et gendarmes dans des fonctions de sécurisation de sites non confrontés aux manifestants. »

Le besoin viscéral de communiquer de son ministre a aussi suscité le malaise à plusieurs moments, comme ce jour de décembre 2018, lors d’une réunion organisée entre les actes III et IV du mouvement. Plusieurs sources ont ainsi rapporté à Mediapart que le ministre voulait que les policiers valident une grille de lecture de « convergence des luttes entre les ultras droite et gauche » qui expliquerait les violences.

« Il insistait : ‘‘Précisez-moi l’importance des mouvements ultras !’’, se souvient un officier de renseignement spécialisé dans leur suivi. Ce qui est méconnaître la nature et même les habitudes de ces mouvements. Pour schématiser : les ultras de droite sont des lève-tôt alors que les ultras de gauche sont des couche-tard. Les uns arrivent dans les manifestations quand les autres s’en vont. »

Les membres de ces mouvances sont en réalité restés très minoritaires au sein du mouvement. « Christophe Castaner ne voulait pas voir que les violences étaient l’œuvre de simples gilets jaunes qui manifestaient ainsi leur colère, se défoulaient sur les symboles de pouvoir et de richesse qui regorgent à Paris », regrette un haut fonctionnaire.

Il a donc fallu que Laurent Nuñez, le préfet de Paris et les patrons des services de renseignement allient leurs forces pour lui expliquer, chiffres à l’appui, qu’on ne pouvait pas parler de convergence des luttes entre les deux extrêmes. « Heureusement qu’il y avait de vrais techniciens qui maîtrisent leur sujet », soupire l’officier de renseignement.

Mediapart a cherché à savoir sur quelle base factuelle Christophe Castaner s’appuyait pour voir une convergence des luttes. Là encore, la place Beauvau nous a répondu à côté : « L’implication des mouvances de l’ultra-droite et de l’ultra-gauche dans le mouvement des gilets jaunes est observée et étudiée par les services de renseignement dès les premières semaines du mouvement. » Et ce alors que les services de renseignement considèrent que les ultradroites et ultragauches étaient « quasi inexistantes au sein des cortèges ».

Dans la manifestation parisienne des gilets jaunes, le 4 mai. © Reuters
Dans la manifestation parisienne des gilets jaunes, le 4 mai. © Reuters

Après sept mois passés à Beauvau, dont six de crise sociale, le bilan de Christophe Castaner peut se résumer en trois lettres : LBD. Introduit dans l’arsenal policier par Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’intérieur, le lanceur de balles de défense a fait de nombreux blessés graves parmi les manifestants.

L’arme est impliquée dans 294 des 795 signalements collectés par le compte Allô place Beauvau, qui recense au 17 mai 286 personnes blessées à la tête et 24 éborgnées. Un chiffre supérieur à celui enregistré en dix ans d’utilisation de cette arme et des flashballs.

Le ministère dit avoir recensé 2 200 manifestants blessés, dont 10 « dommages irrémédiables à l’œil ». Mais alors que 227 enquêtes ont été confiées à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), seules 25 ont été closes et rendues au parquet qui… n’a pas donné suite pour le moment. « La capacité d’un ministre à soutenir ses troupes, il l’a montrée, juge Frédéric Lagache, le délégué général d’Alliance police nationale, syndicat marqué à droite. Il a été nommé en plein bordel… Je ne connais pas beaucoup de ministres qui ont pris l’intérieur pour ne faire que du maintien de l’ordre pendant six mois. »

Au point de multiplier les déclarations en contradiction criante avec la réalité constatée sur le terrain. « Il ne faut pas inverser la charge de la preuve. Je ne connais pas de policiers ou de gendarmes qui attaquent les manifestants », a-t-il ainsi déclaré à L’Est républicain. Soutenir ses troupes était vital pour le ministre, ne serait-ce que pour ne pas être lâché en retour par le corps policier.

Ainsi le 18 décembre, il réunit les trois premiers syndicats représentatifs – Unité SGP-FO, Alliance et UNSA Police – pour acter avec eux le principe d’une « prime gilets jaunes ». À la demande de l’UNSA, qui juge l’idée « honteuse », la proposition est mise dans un tiroir, mais remplacée par une « allocation de maîtrise » liée à la pénibilité, d’environ 120 euros en trois versements – seuls les premiers 40 euros ont été versés.

Au fil des journées de mobilisations, le ministre a fait évoluer plusieurs fois le dispositif policier, et assumé de créer une « nouvelle doctrine » de maintien de l’ordre. Au programme : des unités mobiles, allant « au contact » (les DAR pour « détachements action rapide », puis les BRAV, pour « brigades de répression de l’action violente »). « Au sujet du maintien de l’ordre, le ministre a fait le taf : il a fait évoluer la doctrine pour mieux appréhender les casseurs », assure le responsable d’Alliance. Avec les gilets jaunes, le « maintien à distance » des foules n’était plus possible, juge-t-il. Il fallait « aller au contact » pour « éclater les blocs » et interpeller.

« On a retiré une partie du maintien de l’ordre aux CRS et aux gendarmes en le confiant aux unités BRAV, parce qu’elles sont plus obéissantes, elles ne répondent à aucune doctrine », souligne Anthony Caillé, de la CGT police. Les dernières manifestations ont été le théâtre de nombreuses brutalités policières, en marge de charges ou d’interpellations, ce que la base n’approuve pas systématiquement. « Certains réclament une journée morte, explique un responsable syndical. Et on n’intervient pas durant un des samedis de manif. Mais ça va donner quoi ? »

« La question posée, c’est la capacité du pouvoir politique dans une démocratie de réguler l’outil policier, indique à Mediapart le général de gendarmerie Bertrand Cavallier, ancien commandant du Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier. Nous avons des images, nombreuses, qui ont montré un usage abusif de la force. Même s’il s’agit de comportements marginaux, les images marquent l’opinion et posent un problème politique qui est celui d’une maîtrise insuffisante de la force publique. »

Selon le militaire, une doctrine comme celle du maintien de l’ordre – « qui repose sur l’emploi premier de forces spécialisées, l’usage gradué de la force et le maintien à distance » – « ne saurait être révisable par la seule décision d’un ministre ». « Les problèmes rencontrés, parfois gravissimes, appellent une réflexion approfondie des élus et des corps constitués sur la fonction du maintien de l’ordre d’un point de vue global, comme sur les conditions de son exercice », dit-il.

Au lieu de quoi, Christophe Castaner va plutôt se concentrer, tout au long de la crise des gilets jaunes, sur la promotion de « nouveaux » gadgets du maintien de l’ordre, pour certains déjà bien connus : la caméra-piéton pour les tireurs de LBD, les produits marqueurs pour canons à eau, les drones, et la brigade motorisée – baptisée BRAV-M –, version revue des « voltigeurs » de Charles Pasqua. Il met aussi dans la rue les unités canines et les gardes républicains à cheval…

« Ce n’est pas lui qui décide. Lui, il applique »

Le ministre de l’intérieur va aussi déployer toute son énergie pour contester pied à pied le bilan humain de la répression. Pendant plusieurs jours, il niera l’existence d’un tir de LBD en direction du gilet jaune Jérôme Rodrigues, place de la Bastille. Le 1er Mai, il inventera « l’attaque » de l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière et l’« agression » de son personnel soignant. « Il est revenu sur les mots, mais il a maintenu les faits, et c’est passé. Les contre-pouvoirs n’ont pas joué leur rôle », s’indigne Anthony Caillé.

Plutôt que de mener une « réflexion approfondie » sur la question du maintien de l’ordre, l’exécutif a décidé de renforcer pour la énième fois l’arsenal sécuritaire, allant contre ce qu’écrivait Emmanuel Macron dans son livre Révolution (Éd. XO, 2016) : « On sait bien d’ailleurs que la diminution des libertés de tous, et de la dignité de chaque citoyen, n’a jamais provoqué nulle part d’accroissement de la sécurité. […] Je tiens ces illusions pour profondément nuisibles, en elles-mêmes et parce qu’elles sont inefficaces », écrivait le candidat d’En marche, trois ans avant de recycler une proposition de loi de la droite sénatoriale.

Christophe Castaner, Édouard Philippe et Laurent Nuñez. © Reuters
Christophe Castaner, Édouard Philippe et Laurent Nuñez. © Reuters

À l’Assemblée nationale, c’est évidemment Christophe Castaner qui s’est chargé de porter la proposition de loi dite « anticasseurs », qui divisait jusque dans les rangs de la majorité. Juste avant la discussion en commission, le ministre avait invité une poignée de députés pour les persuader de rallier la ligne gouvernementale.

« Au dessert, il se décide à parler de l’article 1 [qui autorisait fouilles et contrôles aux abords des manifestations – ndlr] alors que toute la conversation était restée sur un mode général jusque-là. On lui répète que ce n’est pas notre texte, que c’est un projet du Sénat et qu’on n’a aucune obligation de le soutenir », se souvient un convive.

Avant d’ajouter : « Il nous sort alors une nouvelle version digne d’un débutant en droit ! Il ne sait plus quoi faire, nous dit que c’est une volonté du premier ministre, qu’il faut le sauver et donc sauver l’article Ier. » Un autre article – sur l’interdiction de manifester pour des individus par arrêté préfectoral – a provoqué de vertes critiques dans l’hémicycle, où le ministre de l’intérieur s’est lancé dans une démonstration juridiquement très bancale, souvenirs d’étudiant de droit à l’appui.

« De mes cours de droit de première année à l’université d’Aix-en-Provence, avec le professeur Favoreu, je garde le souvenir que s’il est considéré comme constitutionnel de pouvoir interdire une manifestation à toutes les personnes constituant le cortège, le fait d’interdire à une personne dont le comportement serait violent de manifester l’est aussi », avait-il alors déclaré.

Au bout du compte, le Conseil constitutionnel aura eu une lecture du droit plus rigoureuse, puisque l’article incriminé fut finalement retoqué par l’institution quelques semaines plus tard.

Si l’actualité des six derniers mois a mis l’accent sur les questions de police et de libertés publiques, le ministre de l’intérieur a également eu le loisir de s’illustrer sur deux autres sujets de son portefeuille : l’immigration et les cultes. Sur le premier, il a tout de même eu moins besoin de bosser ses fiches, la loi « asile et immigration » ayant été bouclée par son prédécesseur. D’autant que contrairement à ce que pensait l’exécutif, les Français ne se sont guère emparés de cette thématique durant le grand débat.

Christophe Castaner a donc pu se contenter de mettre en scène le travail de ses services : en marchant dans la boue à Calais ou Mayotte, face aux passeurs ; en recevant son homologue albanais place Beauvau, pour dénoncer les demandes d’asile abusives ; en signant un décret « antifraude », destiné à faciliter l’expulsion des « faux » mineurs étrangers.

Sur ce sujet comme sur tous les autres, tous les prétextes sont bons pour montrer les muscles. « Il avale tout ce que lui raconte son administration, croit savoir un haut fonctionnaire, connaisseur de ces questions. Il n’a pas la moindre volonté ni capacité de prendre un minimum de distance. À la limite, je préférais Collomb, c’était clair, frontal, on savait à qui on avait affaire. »

Au ministère des affaires étrangères, certains n’ont toujours pas digéré qu’en mars dernier, la direction de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), chargé d’attribuer l’asile en France, échappe aux diplomates, sous la pression de Beauvau. Et notamment de Stéphane Bouillon, le directeur de cabinet de Christophe Castaner. Sa cheville ouvrière, sinon sa colonne vertébrale sur ces sujets. Présenté comme sarkozyste, ce préfet, condamné plusieurs fois par la justice, avait déjà été le bras droit de Claude Guéant au ministère de l’intérieur, de 2011 à 2012.

Malgré le peu d’occasions qu’il a eues de s’exprimer sur les questions migratoires, le locataire de la place Beauvau a tout de même trouvé le moyen de créer une nouvelle polémique en déclarant que « les ONG ont pu se faire complices des passeurs [en Méditerranée] », à la sortie d’un sommet où Matteo Salvini venait de dérouler son discours antimigrants.

« Je suis sûre que les ONG sont sincères », a recadré la tête de liste LREM aux élections européennes, Nathalie Loiseau, la même qui avait parlé de « shopping de l’asile » au printemps 2018, lorsqu’elle était encore ministre.

À l’heure où Emmanuel Macron se présente comme le rempart en Europe contre les « populistes » Salvini et Orbán, la déclaration de Christophe Castaner est plutôt mal passée au sein du gouvernement. Certes, le président de la République avait bien dit quelque chose d’approchant en pleine polémique sur l’Aquarius, en reprochant à certains humanitaires de « faire le jeu des passeurs », mais le terme de « complice » franchit un cap supplémentaire, renvoyant au Code pénal et imputant une intention délictuelle…Bref, excessif et à contretemps, même aux yeux des macronistes.

Le ministre de l’intérieur, en charge des cultes, aurait pu profiter du renforcement de la loi de 1905 sur la laïcité pour se démarquer. Mais là encore, il n’a pas franchement fait des étincelles. Comme sur les autres périmètres de son portefeuille, il suit le sens du vent, lequel souffle surtout à l’Élysée. « Ce n’est pas un fou furieux qui va restreindre les libertés, mais il n’est pas vu comme quelqu’un de très investi, souligne un proche du dossier. Ce n’est pas lui qui décide. Lui, il applique. »

L’un de ses collègues de gouvernement se souvient notamment d’un conseil des ministres durant lequel le dossier a été abordé. « Il pataugeait clairement, c’était gênant… »

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