«2020 n’a pas dit son dernier mot»

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Par Christian Lehmann, médecin et écrivain — 
Emmanuel Macron après avoir voté lors du second tour des élections municipales dimanche au Touquet. Photo Ludovic Marin. AFP

Christian Lehmann est écrivain et médecin dans les Yvelines. Pour «Libération», il tient la chronique d’une société suspendue à l’évolution du coronavirus.

Ils sont venus, ils sont tous là. C’est la soirée du second tour des municipales. A Paris, au Havre, à Perpignan. Partout. Ils sont venus montrer qu’ils ont gagné, ils sont venus montrer qu’ils en ont, comme le Président.

Sur tous les écrans, on a vu Emmanuel Macron, au sortir du bureau de vote du Touquet, prendre un bain de foule soigneusement préparé. Rien ne va dans cette photo, ni le sourire Colgate, ni l’absence de masque, ni l’absence de distanciation physique. Si on gouverne par l’exemple, le Président nous donne, une fois de plus, l’exemple de son inconséquence.

Exemple suivi par Edouard Philippe, entouré de son équipe, fêté par ses partisans auxquels il s’adresse longuement, en intérieur, sans masque ni distance de sécurité. Enfin, exemple suivi par Anne Hidalgo à Paris. Elle s’adresse à son équipe de campagne sans masque ni distanciation, et parcoure les quartiers de la capitale en postant sur Twitter ses embrassades. A chaque coin de rue, des panneaux bleus rappellent pourtant au bon peuple qu’«à Paris on se salue sans se toucher».

Signe de puissance

Mon constat n’a rien d’un scoop. Chacun a pu se faire la même réflexion. Et les commentateurs comme les internautes en ont fait leurs gorges chaudes. Mais en tant que soignant, cette incohérence me choque, comme elle choque ceux de mes patients qui, âgés, ou malades et fragiles, ne se sont toujours pas totalement déconfinés. Les mêmes politiques qui jugeaient sévèrement la jeunesse teufant dans la rue au soir de la Fête de la musique, envoient une nouvelle injonction paradoxale à la population, sommée de continuer à respecter des mesures barrière… dont s’affranchissent les puissants.

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Car c’est de celà qu’il s’agit. Porter un masque est un aveu de faiblesse. Apparaître visage découvert, se foutre publiquement des distances de sécurité, est un signe de puissance. Les vrais mecs portent-ils des préservatifs ? Si l’épidémie de sida avait lieu aujourd’hui et pas dans les années 80, Edouard Philippe et Emmanuel Macron sortiraient sans capote.

C’est le credo des Trump, des Bolsonaro. Et nos politiques prétendument éclairés n’y dérogent pas. Aux Etats-Unis, on s’écharpe autour du masque. Les complotistes vont bon train. Des pauci-neuronaux élevés sur Fox News expliquent que le masque est dangereux. Il affaiblit celui qui le porte en lui faisant respirer son propre gaz carbonique. Il permet au virus de s’accrocher aux fibres et de mieux infecter l’individu. Et cette dialectique délirante diffuse en France. Comment s’en étonner ? De même que Didier Raoult n’a jamais eu de meilleur community manager qu’Emmanuel Macron, nos politiques nourrissent par leur désir d’affirmation de suprématie toxique la destruction de toute politique de protection commune.

Le déni gagne

Pendant des mois, les gestionnaires de la crise ont répété que le port de masque en population générale était inutile, dans le seul but de cacher la pénurie. Puis lorsqu’il est devenu urgent de déconfiner, la «doctrine» a soudain changé. Porter un masque était signe de civisme, voire une obligation dans les transports en commun et dans les magasins. Aujourd’hui, par orgueil et désir de paraître, ceux qui sont censés donner le cap fragilisent un peu plus encore les digues face au coronavirus. Nous n’en sommes pas encore au point où en sont les Anglais, les Américains, avec des gens qui en viennent aux mains au sujet de la question des masques. Mais nous n’en sommes pas loin.

Le déni de la pandémie gagne. Les masques pour les soignants en pharmacie arrivent une semaine sur deux, sans aucun rapport avec les quantités annoncées par le ministère. Les centres Covid ne sont plus financés. Les délais pour les tests PCR s’allongent. Nous sommes dirigés par des guignols. Vous pensiez avoir échappé au pire ? 2020 n’a pas dit son dernier mot.

Christian Lehmann médecin et écrivain

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