Smic, rémunération : quels enjeux ?

Le SMIC est aujourd’hui critiqué pour ses effets sur l’emploi. Que pensez-vous de ces critiques ? Faut-il le réformer ?

La thèse libérale selon laquelle le SMIC est responsable du chômage est invalidée par les faits. Qui peut sérieusement prétendre que la grande crise ouverte en 2008 et les destructions d’emploi qui ont suivi ont été causées par le SMIC ?

Les entreprises n’embauchent que si elles ont besoin pour produire. Et pour cela encore faut-il espérer vendre. C’est la demande qui est première. Cette vérité keynésienne est confirmée par l’enquête de conjoncture de l’INSEE auprès des industriels. Le questionnaire de cette enquête demande aux entreprises « Quels sont les principaux obstacles qui limitent la réalisation actuelle de vos travaux ? ». Le résultat est sans appel. En moyenne, depuis que la question est posée en avril 1991 (et les variations sont assez faibles dans le temps), plus de la moitié des entreprises (53 %) déclarent être soumises à des problèmes de demande (45 % à des « problèmes de demande seulement » et 8 % à des problèmes de demande et d’offre simultanément). Seules 19 % déclarent être confrontées à des « problèmes d’offre seulement », lesquelles comprennent le « manque de matériel », le « manque de main-d’œuvre », les « contraintes financières »…

Selon ses détracteurs, le SMIC serait trop élevé en France et sa baisse permettrait de relancer l’emploi. C’est oublier que, depuis 1993, la France est championne en matière de baisse du coût du travail au niveau du SMIC, avec les exonérations générales de cotisations sociales ciblées autour de ce dernier. Le Pacte de responsabilité (incluant le CICE), dont l’histoire retiendra qu’il fut la principale mesure du quinquennat Hollande, amplifie ce mouvement de baisse du coût du travail (avec une tranche jusqu’à 2,5 fois le SMIC avec le CICE et une autre jusqu’à 3,5 fois le SMIC avec le Pacte de responsabilité). Au total, depuis le 1er janvier 2015, le coû

t du travail est réduit de 36 % du salaire brut au niveau du SMIC (20 % encore à 1,3 fois le SMIC).

On cherche en vain les centaines de milliers d’emplois qui devaient résulter de ces coûteuses réductions de « charges » (20 milliards atteints dès 2012 pour les allègements généraux auxquels s’ajouteront 41 milliards par an en 2017 avec le Pacte de Responsabilité). Le taux de marge qui s’était effectivement affaissé suite à la crise, se redresse, mais l’investissement ne repart pas. On ne produit pas des machines pour produire uniquement des machines. Les équipements doivent servir à produire in fine des produits de consommation (la consommation totale représente 80 % du PIB). Or la consommation est brimée par l’austérité salariale et par l’austérité budgétaire, laquelle a été durcie afin de financer… le Pacte de responsabilité.

Le SMIC concerne principalement des travailleurs à temps partiel. Seuls 7,8 % des salariés à temps complet sont au SMIC (5,5 % pour ceux qui exercent de surcroît dans des entreprises de 10 salariés ou plus), alors que 25,6 % des salariés en temps partiel le sont (35,8 % pour les temps partiels des entreprises de moins de 10 salariés) (données INSEE au 1er janvier 2015). Réduire le SMIC creuserait considérablement les inégalités. Au détriment des femmes puisque 80 % des temps partiels le sont. Au détriment de la croissance en général, puisque l’OCDE reconnaît à présent elle-même que le creusement des inégalités depuis les années 1980 a joué non seulement contre la cohésion sociale mais aussi et partant contre la productivité (comment être motivé à l’ouvrage lorsque les dirigeants de l’entreprise se comportent en prédateurs ?) et finalement contre l’activité (à l’argument d’offre précédent s’ajoute l’argument demande, les moins riches ayant une propension à consommer plus élevée).

Faut-il réformer le SMIC ? À tout le moins il conviendrait de revoir la composition du Comité d’experts chargé de rendre un avis sur la revalorisation du SMIC. Preuve que le dogmatisme a changé de camp, ce petit groupe ne comprend que des économistes néoclassiques et aucun macro-économiste keynésien. Chaque année son rapport reprend les trois arguments typiques de la rhétorique réactionnaire exhibés par Albert Hirschman : l’effet pervers (la hausse du SMIC favoriserait le travail au noir…), l’inanité (elle ne permettrait pas d’abaisser la pauvreté) et la mise en péril (elle détruirait des emplois).

Selon vous, selon quels critères peut-on définir une « juste » rémunération ?

La rémunération met en jeu la validation sociale du travail des uns et autres. Combien doit être payée l’heure de travail d’un boulanger, d’un maçon, d’une infirmière, d’un trader ? Selon les néoclassiques leur rémunération dépend de leur productivité marginale. Mais ils sont bien en peine d’expliquer ainsi la multiplication par plus de dix de la rémunération des hauts cadres de la finance et des grandes firmes par rapport au salaire moyen sur les trente dernières années. La rémunération est éminemment politique à l’instar de l’économie en général, contrairement à ce que soutiennent les néoclassiques. Elle met en jeu une lourde construction sociale, avec ses conflits et ses compromis cristallisés dans le droit. Quels sont les critères de justice et partant les schémas de justification à retenir en matière de rémunération ? A y bien réfléchir le premier d’entre eux ne peut être que l’égalité. Nos sociétés démocratiques reposent sur le principe d’égalité absolue (une personne, une voix). On ne peut, pragmatisme oblige, en déduire que le taux horaire de rémunération doit être le même pour tous. Mais cela donne une boussole pour justifier une règle de limitation des écarts de rémunération (en partant de 1 à 10 par exemple).

Faut-il davantage de flexibilité salariale ?

L’austérité salariale est, avec la finance libéralisée et le libre-échange, à l’origine des déséquilibres que connaissent nos économies depuis plus de trente ans. La zone euro a durci son tournant vers l’austérité depuis 2010. Chaque pays européens s’est engagé dans une course mortifère à la « compétitivité », au moins-disant social en fait, au détriment de ses voisins. Preuve que cette concurrence tous azimuts est un jeu à somme négative, la zone euro elle est à la fois le grand malade de l’économie mondiale et un véritable fardeau pour le reste du monde. Son excédent commercial est de l’ordre de 3 % du PIB. Il s’agit en fait essentiellement d’un excédent de l’Allemagne (avec les Pays-Bas et l’Autriche). L’Allemagne, qui n’a pas l’excuse d’être un pays émergent, fait trois fois pire que la Chine : son excédent commercial représente 8 % de son PIB (contre 2 % – 3 % pour la Chine en 2014). La grande anomalie de ces quinze dernières a été le décrochage massif, opéré à partir du milieu des années 2000, des salaires par rapport aux gains de productivité outre-Rhin. L’excédent allemand, qui résulte d’abord de la contraction de sa demande interne, est une véritable bombe à fragmentation pour la construction européenne.

L’Allemagne a infléchi sa politique depuis quelques mois en introduisant un SMIC. Cela ne suffira pas puisqu’elle se refuse simultanément à la relance budgétaire afin de soutenir véritablement sa demande interne (et faire face à la dégradation de ses équipements publics). Mais ne gâchons pas notre plaisir. Cette introduction, qui s’est traduite par une forte hausse des salaires pour de nombreux non qualifiés, n’a absolument pas joué contre l’emploi. Les obsédés néoclassiques du SMIC et plus généralement du droit social ont décidément tout faux. Nos Princes en France s’acharnent à n’écouter qu’eux. Un peu partout dans le monde, c’est pourtant la hausse du salaire minimum qui est à l’ordre du jour : la Chine a considérablement augmenté le sien ces dernières années (afin de passer à un régime tiré par la demande interne), Obama s’est prononcé pour une hausse de 40 %, Abe au Japon exhorte les entreprises à augmenter les salaires…

Au-delà de la question spécifique du SMIC, que pensez-vous de la thèse selon laquelle le droit du travail serait un frein à l’emploi ?

Le droit du travail est avant tout une ressource pour l’emploi. Il permet, à l’instar du Code de la route, des économies considérables de savoir, de négociation (que serait la productivité dans une entreprise si tous les termes de la relation salariale devaient être renégociés en son sein chaque matin au nom de la « flexibilité » ?), c’est le volet théorie des conventions. Il contraint à s’orienter vers l’innovation, la compétitivité hors coût, c’est le volet schumpétérien. Il contribue à soutenir et stabiliser la demande, c’est le volet keynésien. Notons que si les quatre récents plaidoyers contre le droit du travail (Badinter et Lyon Caen, Institut Montaigne, Terra Nova et Combrexelle) maltraitent plus ou moins fortement les deux premiers volets, ils se rejoignent pour omettre systématiquement le troisième. Le rapport Combrexelle, le plus nuancé à certains égards, est ainsi totalement prisonnier de l’idée selon laquelle le droit doit d’adapter au nouvel ordre néolibéral. L’intitulé de la première de ses 44 propositions est symptomatique : « Élaborer une pédagogie de la négociation collective démontrant le caractère rationnel et nécessaire de celle-ci dans un contexte concurrentiel et de crise économique ». Le droit est d’emblée asservi à l’horizon de la concurrence sans borne et des crises qu’elle provoque. La lecture de ce rapport a finalement un mérite : faire prendre conscience, si besoin était, qu’on ne pourra concevoir un nouvel âge du progrès social, et partant du droit social, sans remettre en cause de façon cohérente les différents ressorts du néolibéralisme (finance libéralisée, libre échange, austérité salariale, etc.).

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire