le canular « Hydroxychloroquine »: Le meilleur article de tous les temps

LR: Photo a été choisie par la rédaction, l’héroïne de cette affaire ubuesque, Martine Wonner, députée LREM et médecin psychiatre. 

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Le meilleur article de tous les temps

Je vais vous parler dans ce billet du meilleur article de tous les temps, dont je suis un des co-auteurs. Ce billet a longtemps failli s’appeler « est-ce que le journal où Violaine Guérin et Martine Wonner ont publié dans une revue qui accepte n’importe quoi, n’importe comment ?« , mais ç’aurait été réducteur face à la fabuleuse aventure que nous avons vécue…

Je vous conseille de lire d’abord l’article, et vous lirez l’historique après !

Il est publié ici : https://www.journalajmah.com/index.php/AJMAH/article/view/30232

Au cas où, pour la postérité, je vous laisse le lien PDF ici…

Oui, oui, on a réellement réussi à publier ça 😎
(Pour les non-anglophones, un de nos lecteurs a produit une traduction à J1 de la parution !)

Avant tout, je vais redonner du contexte au « POURQUOI », puis nous parlerons de « QUI » et de « COMMENT ».

Pourquoi ?

Tout commence le 29 mars… Suite aux « révélations » du Pr Raoult, le Dr Violaine Guérin réclame la possibilité de s’auto-prescrire de l’hydroxychloroquine. Tout cela est contre l’avis des autorités et de la pharmacovigilance, mais elle s’en fiche : pour elle, « laissons les médecins prescrire », c’est son dogme, et le nom du collectif qu’elle fonde. Tout un programme.

Le Dr Guérin s’entoure rapidement de collègues médiatiques dès le 1er avril (…) : Dr Martine Wonner, psychiatre et députée de la majorité à l’époque (depuis membre soutenue d’Ecologie Démocratie Solidarité*) ou encore le Dr Thierry Lardenois, président de la Caisse Autonome de Retraite des Médecins de France (embarqué là-dedans pour une raison que j’ignore, mais s’il gère nos retraites avec la même acuité qu’il gère ses recherches médicales, je conseille aux médecins de débuter leur stock de coquillettes).

(* Soit ils soutiennent, soit ils sont malpolis).

Le 1er mai, cette jolie équipe de « chercheurs-trouveurs » diffuse ce qu’ils nomment « un article », hébergé par Le Quotidien du Médecin (qui devrait sans doute songer à le retirer…)

Bon, évidemment, les scientifiques sérieux et raisonnables ont vite critiqué ce « rapport d’expérience » et cette « étude rétrospective » ; la rapide chronologie des faits rapportés ici vous en dira long sur ce que les auteurs entendent par « rétrospectif ». J’ai retrouvé mon avis de l’époque, mais nous sommes des dizaines à avoir donné quelque chose de similaire…

Pour faire simple : c’est vraiment très mauvais et c’est franchement à la limite de légalité cette histoire de médecins cobayes d’essai clinique (prospectif) sans avis d’un comité d’éthique. Par ailleurs, c’est malhonnête de le diffuser grâce à un appui médiatique large, aidé par des responsabilités parlementaires.

Bon, tout ça se tassait un peu, surtout que l’hydroxychloroquine commençait à battre de l’aile au fil des publications (un résumé ici)…

… quand soudain…

Les pieds nickelés sortent leur publication !

Le collectif « Laissons les Médecins Prescrire » venait donc de publier officiellement, le 20 juillet, 3 mois après, leur article initial, dans une revue…

« Petit » problème : ils le publient dans l’Asian Journal of Medicine and Health, une revue inconnue et probablement « prédatrice » (cf. cet excellent billet d’Hervé Maisonneuve sur le sujet).

Le Dr Violaine Guérin s’explique sur France Info : « Nous avons soumis l’article à plusieurs revues (mais il y a) un blocage systématique des publications sur l’hydroxychloroquine en phase précoce. J’ai proposé à mes coauteurs de soumettre à une revue asiatique ». La députée Martine Wonner, elle, affirme d’ailleurs « avoir autant confiance dans cette revue que dans le Lancet« .

Voilà. Bon. Là, c’est peut-être un peu excessif.

Comparer un article accepté dans le Lancet et un article accepté dans Asian Journal of Medicine and Health, c’est un peu comme comparer un monospace et le dernier modèle de chez Majorette « pour partir en vacances en famille dedans, mais attention faut pas être grand, non non ça n’est pas une arnaque, signez ici, elle est à vous ».

Par ailleurs, grâce à la demande du journaliste de France Info, la revue a mis en ligne le reviewing, qui est assez drôle (et détaillé dans ce fil du 14 août ci-dessous).

Si vous voulez aller plus loin et comprendre comment fonctionne une soumission d’article (soumission, relecture par des reviewers indépendants, correction, acceptation, etc.), et ce qui différencie une revue prédatrice d’une « vraie » revue, vous pouvez suivre ce thread clair et didactique.

Le journaliste de France Info, Fabien Magnenou, a consciencieusement fait le boulot et contacté la revue choisie, Asian Journal of Medicine and Health, qui répondait : « Nous pouvons affirmer avec confiance que notre qualité ne peut pas nous valoir l’appellation ‘revue prédatrice’. Avec des moyens limités, nous combattons nous aussi ces journaux.«

Ce qui est un peu problématique par ailleurs est le silence assourdissant des membres du groupe parlementaire de Martine Wonner… parmi lesquels on trouve Cédric Villani.

Entre temps, nous étions en train d’essayer d’éclaircir tout ça… et de répondre à cette question :

Est-ce que ce collectif médiatique soutenu par une députée de la majorité et le président de la CARMF a soumis son article dans une revue qui accepte absolument n’importe quoi ?

Collectif « Laissons les Vendeurs de Trottinette Prescrire », 20 juillet 2020.

Avant de dire que « la question, elle est vite répondue », nous avons voulu jouer !

Et donc, maintenant que nous avons le « POURQUOI », détaillons le « QUI »…

Qui ?

Nous sommes le collectif « Laissons les vendeurs de trottinette prescrire », et nous nous sommes regroupés sous ce tweet de @NicoKluger…

L’équipe est principalement constituée de :

  • @Damkyan_Omega (qui a déjà une idée de pseudo, qu’il va garder !), chargé de communiquer avec la revue ;
  • @Scintigraphiste, @CovaFlorian et moi (@mimiryudo) pour la team davantage axée sur la rédaction,
  • @RadioactiveJib et @DrJohnFa qui ont suivi l’histoire d’un peu plus loin, mais en nous soutenant dans nos délires.
Un recrutement sauvage, multipliant les compétences (médecine, biochimie, imagerie médicale, philosophie…). On notera que le titre est déjà trouvé et ne changera plus… ainsi que le pseudo de Mathieu !

Comment ?

Maintenant que nous avons vu le Pourquoi, le Qui, voyons le Comment...

Dès le « Quand vous voulez » de @Scintigraphiste, je crée le groupe MP et un Google Doc sur mon téléphone… comme nous le révélons dans nos (incroyables) contributions aux auteurs ! Parce que oui « a créé un groupe MP Twitter », ça a été validé comme devant figurer dans la contribution (si je voulais être mauvaise langue, je dirais que certains chercheurs figurent dans des articles pour moins que ça, remarquez).

Il ne faut pas imaginer qu’on a mené cette opération « sérieusement ». Non, pour vous planter un peu plus précisément le contexte à ce moment là (et montrer le côté « potache » / « fait par-dessus la jambe »), nous sommes le 20 juillet, je suis sur la route vers Étretat, à côté de ma fille de 8 mois endormie, conduits par la maman… Je prends des notes sur le Google Doc avec le téléphone, fais une capture d’écran d’un graphique que j’avais twitté il y a 6 semaines : ça sera la partie la plus scientifique de notre étude… Je fais exprès de faire une capture avec les icônes RT et FAV de Twitter, c’est dégueulasse et ça nous fait rire.

Une figure c’est peu, on se dit qu’il en faut d’autres, j’en cherche une autre sur Google Images… C’est @Scintigraphiste qui la trouve ; pas grave, j’ajoute quand même « Courtesy of Google Images ». Pendant qu’on écrit ailleurs, @Scintigraphiste – toujours lui – nous sort une imagerie (on ne se refait pas) qui n’a aucun sens, pour l’étude 3. Voilà pour les figures.

Notre objectif est simple : tout doit être ridicule, du titre aux références, en passant par les références et la moindre phrase de l’article. Si nous réussissons à publier un tel « article », nous aurons répondu à notre question initiale : est-ce que cette revue publie n’importe quoi ?

Nous créons de faux auteurs : W. Oodendijk (le faux-nez de @Damkyan_Omega donc), Didier Lembrouille, Sylvano Trottinetta, Ötter F. Hantome, Nemo Macron (ils ont une députée, nous avons le chien de l’Elysée) et Manis Javanica (alias le Pangolin javanais). Les affiliations sont à l’avenant, ainsi que les contributions ou les remerciements. C’est simple : il n’y a rien qui va !

Le titre initial annonce la couleur : « SARS-CoV-2 was unexpectedly deadlier than push-scooters ». Nous écrivons et ajoutons de plus en plus d’absurdités.

Le 24 juillet (eh ouais, ça ne chôme pas dans la recherche française), @Damkyan_Omega soumet l’article. C’est lui qui est chargé de soumettre et communiquer avec la revue, sous son pseudo « Wooden Dick »… Un travail de magicien là aussi, puisque ses échanges avec les rédacteurs sont également un délice ^^

Dans la plus pure tradition des mauvais auteurs, voici le lien Google Doc vers la première version cet article en pre-printNe vous précipitez pas dessus tout de suite, il y a mieux par la suite… (c’est histoire de vous montrer que nous n’avons fait qu’ajouter des bêtises au fil des relectures, mais que c’était déjà pas mal frappé à la V1 !). Car oui, les relectures vont nous permettre d’ajouter bien d’autres bêtises encore ! C’est la version que nous avons soumise, mais pas encore celle acceptée : l’ajout de « la solution unique » sur le titre, Montcuq, Ikea, Jean-Claude Dusse sont autant d’idioties ajoutées grâce au reviewing, qu’on ne remerciera jamais assez !

Le 28 juillet, on reçoit la demande de paiement (77€ bien dépensés). Je règle ça entre 2 commandes de pizzas (le plus long est de changer

mon mot de passe Paypal jamais utilisé depuis 204).

 

Nous avons opté pour « l’emergency processing charge » pour gagner du temps. La science n’attend pas. (Bon et puis, l’avantage de cette revue, c’est quand même qu’ils soldent leur prédation, de 500$ à 50$, ça valait le coup !)

Le 30, la revue annonce que le peer-reviewing va débuter. Ils nous demandent avant ça de… traduire les figures en français ! Oui, c’est pour ça que j’ai détaillé plus haut : aucune des 3 figures n’a de sens, mais il faut les traduire ! @Scintigraphiste se charge alors d’une traduction volontairement dégueulasse sur Paint, avec un sens du détail dans le mauvais effaçage, la traduction et l’alignement ratés. Un travail d’orfèvre : forcément, ça passe… Finalement, notre article « gagne » encore en « qualité », si on peut dire !

Le lundi 3 août, le reviewing est fini, et nous sommes en révisions mineures… Et là ça devient carrément lunaire ! Le reviewer 1 n’en a rien à cirer, il balance un paragraphe tout fait sur l’hydroxychloroquine. Mais le pire ce sont les reviewers 2 et 3 qui ont visiblement lu (traduit ?) des passages, et font des remarques complètement hors sol (un exemple parmi 1000 : « wikipedia n’est pas une source validée » mais Picsou Magazine, YouTube ou Dropbox, ça passe). Je me charge des corrections avec @Scintigraphiste ; @Damyan_Omega soumet le soir même… et le mardi 4 août, nous sommes en « évaluation finale ».

Là où c’est incroyable, c’est que par exemple sur l’hilarante section 3.2., ces reviewings ont permis d’aller encore plus loin (le « manque de précision » a incité à ajouter le paragraphe sur la tentative infructueuse de profanation de tombe par les auteurs, par exemple…). Ailleurs, dans le résumé, le manque de précision sur « la chaise des auteurs » nous incite à préciser qu’il s’agit d’un modèle Ikea, et que nous avons également travaillé à Montcuq, hommage évident au sketch de Daniel Prévost.

Le jeudi 6 août, c’est maintenant le rédacteur-en-chef qui jette un oeil, et fait quelques remarques (par exemple, il nous dit « les auteurs ont dit que le comité d’éthique étaient eux-même »). Oui, c’est normalement le genre de problème UN PEU rédhibitoire (sachant qu’on parle quand même d’une étude où les auteurs ont tué des gens, et ont tenté d’aller les déterrer sans autorisation pour valider leur hypothèse farfelue).

Rapides réponses, et hop, @Damyan_Omega soumet le tout entre deux coups de pioches sur sa terrasse.

Le samedi 8 août, le rédacteur-en-chef insiste sur un point : « I am president of an ethics committee and never one author can evaluate the ethics from his/her research« . Bon, nous changeons ce point en disant que « en fait, nous n’avons pas participé à la décision de notre comité concernant notre étude, nous sommes sortis à ce moment-là ».

Là encore, dans la pure tradition Guérino-Raoultienne, nous vous partagerons bientôt un Google Doc avec le verbatim lunaire de ces échanges avec les reviewers… (On laisse la primeur à une journaliste !)

Enfin, le mercredi 12 août (19 jours après notre soumission initiale), l’article est définitivement accepté. Il ne s’agit plus que de « valider nos noms et affiliations » (qui n’ont jamais changé). Le lendemain, nous recevons les épreuves, le 14 il faut encore valider le nom des auteurs… (Toutes ces étapes de vérification, c’est vraiment un travail de précision !)

Et l’article est enfin diffusé ce samedi 15 août ! L’assomption de la science vers des sommets inégalés !

Le meilleur article de tous les temps

Après ce long teasing, n’hésitez pas à relire notre « article » publié dans l’Asian Journal of Medicine and Health. Et comme nous avons toujours du mal à croire que tout ça a été possible, voici une capture d’écran de l’article en ligne (au cas où l’article viendrait à être supprimé – pas de panique, j’ai le PDF ici et sur ResearchGate, avec sa traduction française).

Nous l’avons publié dans cette revue auto-proclamée de qualité.

Ils ont pour objectif de publier des articles de grande qualité.
On les a bien aidé dans cet objectif, je pense.
Ouf, on tombe en plein dans les soldes ! – 89 % ! Quelle aubaine ! (En plus, aucun frais de soumission, on ne paie que si nous sommes acceptés, même s’ils demandent ça avant le reviewing pour éviter de s’encombrer dans des options comme le refus).
Juste dingue.

Voilà. Nous espérons (humblement) que ça sera une petite leçon pour scientifiques crédules ou malhonnêtes et journalistes non habitués au principe des revues prédatrices…

Ces revues acceptent et publient n’importe quoi.

Un article publié n’est pas un gage de vérité.

Violaine Guérin, Martine Wonner et leur bande ont fait preuve soit de naïveté (avec d’autres publications acceptées par le passé, c’est une option peu crédible), soit de malhonnêteté. La question est ouverte.

En conclusion : ne laissons pas les auteurs malhonnêtes raconter n’importe quoi, n’importe où.

[ADDENDUM Dimanche 16 août – 18h]

Notre article vient juste d’être rétracté par la revue ! Avec un peu de chance (et nous comptons sur vous qui l’avez lu), cela va provoquer un bel effet Streisand dont nous n’avions même pas vraiment besoin, tant le succès a été incroyable sur les réseaux sociaux (et ici) !

Trente heures plus tard… #RendsLargent

Pour rappel, cet article « à ne pas diffuser » peut se trouver actuellement, soit en tête du billet de blog, soit sur nos pages ResearchGate :

[ADDENDUM Lundi 17 août – 22h]

Bon, la diffusion dépasse un peu nos attentes les plus folles ^^ Dans les commentaires, vous trouverez d’autres blogs qui en parlent (dont le très beau billet de @pioletat, ou celui d’Elisabeth Bik, de RetractionWatch, de Zen Faulkes…). Voici également quelques relais de notre article où nous avons été interviewés :

Et les multiples reprises à travers le monde :

(Nous avons décliné RT France et France Soir… que Florian a rickrollé ^^’)

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