Gilets jaunes : un 23e samedi politisé et très surveillé

Par Kim Hullot-Guiot et Charles Delouche — 
A Paris, le 20 avril 2019, acte XXIII des gilets jaunes. Photo BOBY pour Libération

L’acte XXIII de la mobilisation a été particulièrement encadré par les forces de l’ordre, ce qui n’a pas empêché de nouvelles dégradations à Paris.

Le 23e samedi de mobilisation des gilets jaunes aura été ambivalent, animé par des manifestants déterminés et massivement encadré par les forces de l’ordre. La situation place de la République à Paris, en fin d’après-midi, où débouchait l’un des deux cortèges du jour symbolisait cette ambiguïté : on y voyait à la fois des magasins dégradés, des poubelles incendiées et des affrontements entre les plus radicaux et les CRS, et à quelques mètres de là, un climat festif et très politique dans les rangs des plus modérés.

Certains manifestants criaient «suicidez-vous, suicidez-vous !» aux forces de l’ordre, alors que la police est touchée par une vague de suicides sans précédent. Mais l’on entendait aussi des «Ne vous suicidez pas, rejoignez-nous !» Au total, 27 900 personnes ont défilé dans toute la France dont 9 000 à Paris, selon les chiffres du ministère de l’intérieur. Une mobilisation en léger recul puisqu’ils étaient la semaine dernière 31 100 à battre le pavé dont 5 000 dans la capitale, selon la même source. Présenté comme l’ultimatum n°2 après la journée du 16 mars dernier, la journée s’est globalement bien déroulée, verrouillée par un déploiement policier massif et mobile. Vendredi, Christophe Castaner avait annoncé un samedi «compliqué», une déferlante de black blocks et de casseurs. En fin de matinée, l’Exécutif faisait savoir que le ministre de l’Intérieur déjeunait avec Emmanuel Macron à l’Elysée. Façon de souligner l’implication du chef de l’Etat et de pouvoir revendiquer ce succès relatif en terme de maintien de l’ordre. Alimenté dans la soirée par les chiffres communiqués par Beauvau : 20 518 contrôles préventifs, 227 interpellations et 182 gardes à vue. Plusieurs blessures ont été signalées coté manifestants et quatorze membres des forces de l’ordre ont été blessés selon le ministère.

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Acte XXIII : les deux visages

«Je repars pas sans avoir pété une vitre»

La journée avait démarré un peu plus au sud de la capitale, vers Bercy. La police avait bloqué l’accès au ministère de l’Economie et des Finances, obligeant les manifestants à passer par les quais, parfois accompagnés par les klaxons encourageants des automobilistes. L’atmosphère a quelque chose d’ambiguë. Alors que certains huent copieusement les forces de l’ordre, un manifestant s’adresse à elles : «Non, c’est bien, protégez-nous !»

Devant l’AccorHotels Arena, même ambivalence : l’ambiance bon enfant évoque celle des rassemblements sportifs populaires, avec Marseillaise gaiement chantée, chasubles jaunes agrémentés des numéros de département dont chacun est originaire, fumigènes jaunes, camion de sandwichs et vendeur de sifflets coiffé d’un chapeau tricolore. A quelques mètres, aux abords du ministère, dont l’accès est bloqué par des camions de police, davantage de manifestants ont le visage caché par des capuches et des foulards. L’institution qui gère les finances publiques est pour eux une cible politique. On entend des bruits de pétards et des «ça va péter, ça va péter». Un jeune homme, bravache, lance en souriant à ses amis : «De toute façon, moi je repars pas sans avoir pété une vitre».

Acte 23,les gilets jaunes se rassemblent en début de matinée à Bercy, le 20 avrilDes gilets jaunes rassemblés à Bercy, acte XXIII. Photo BOBY pour Libération

«Ca y est, tu as bien pris tes gaz ? Ma femme, si elle a pas eu sa dose de gaz, elle dort mal le soir !», lance un homme, rigolard, alors que les premières lacrymogènes viennent d’être lancées, en début d’après-midi, boulevard de la Bastille. C’est qu’au bout de la 23e manifestation, certains gilets jaunes ont pris leurs habitudes. Dès que l’air se gorge d’effluves poivrés, chacun remonte son masque ou plonge son nez dans un foulard. Sur un côté du boulevard, les streets medics aident un homme à nettoyer ses yeux chargés de larmes à coups de sérum physiologique. Mais le reste des manifestants, à peine ébranlés, poursuivent leur route comme si de rien n’était.

«Je ne suis pas très rassurée, je n’aimerais pas me retrouver au milieu de ça, dit Michèle, qui a rejoint le mouvement en décembre. Mais les black blocks sont politisés, ce n’est pas forcément des casseurs comme dirait Castaner». Cette assistance maternelle et autoentrepreneuse, venue de l’Essonne avec son époux retraité, craint de devoir travailler plus longtemps pour avoir une retraite correcte. Elle manifeste «pour la justice sociale, pour nos petits enfants. On alerte sur le climat et sur les injustices. Ma fille travaille en milieu hospitalier, elle n’a pas les moyens de s’occuper des gens. Elle est en train de faire un burn-out.»D’Emmanuel Macron, qui doit s’exprimer jeudi prochain, elle n’attend pas grand-chose. Elle dit apprécier les analyses de Natasha Polony et s’interroger sur son vote aux Européennes. «Je ne me suis jamais autant intéressée à la politique que depuis que je manifeste !»

Ludovic, un informaticien venu de Grenoble, proche de la France Insoumise, n’attend pas grand-chose non plus des annonces de la semaine prochaine : «Macron ne fait que des plans de com’ pour éteindre un feu dont il ne connaît pas la teneur. Il faut améliorer le système de santé, arrêter de donner des milliards aux plus riches, faire vivre le service public. Mais Macron n’a aucune idée de ce qui se passe dans ce pays.» A ses côtés, Odette, nouvellement retraitée, qui réside elle à Saint-Etienne, dit se mobiliser «contre l’injustice générale. Les grandes fortunes s’enrichissent et les gens n’arrivent plus à manger de leur travail. Moi, si je n’avais pas déjà acheté un petit appartement avant ma retraite, je serais à la rue. Pour les jeunes, ça va être plus difficile, avec la culture Uber, la casse de la sécurité sociale et des services publics.»

Acte 23. Une passante boulevard Jules Ferry face à plusieurs allumages de feu après intrusion des black bloc lors de la marche des gilets jaunes, à Paris, le 20 avril.Boulevard Jules Ferry, acte XXIII, à Paris. Photo BOBY pour Libération

Place de la République : «le 1er mai sera chaud»

Alors que le cortège afflue vers République, la tension monte. Boulevard Richard-Lenoir, le cortège est divisé en plusieurs groupes, des gaz lacrymogènes sont tirés à Oberkampf. Des poubelles et des motos sont incendiées. Certains manifestants ont préféré venir directement au point de rassemblement du soir, sous la statue de la place de la République. Des passants surpris détalent dans les halls d’immeuble. Quand elle ne travaille pas le week-end, Christelle, la trentaine, essaie de venir le plus possible manifester le samedi. «Avec un si beau soleil, c’est plaisant de visiter Paris. Et aujourd’hui c’est un peu le cinquième anniversaire du mouvement. C’est spécial.»

Le long de l’avenue de la République, Sophie et son amie se retrouvent coincées, prises aux piège par les volutes de fumée noire épaisse qui émanent des poubelles et barricades incendiées. Depuis plusieurs samedis elles se sont constituées un petit groupe d’amis. «J’ai 57 ans et je ne viendrai jamais seule en manifestation. C’est beaucoup trop dangereux et j’interdis à mes enfants d’y aller.» Le petit groupe refuse de rallier la place de la République, «car après ça devient trop violent». Alors que les mouvements répétitifs tendent la situation, le petit groupe de gilet jaune fait la rencontre de Yanis, un jeune habitant du quartier. «Je ne suis pas gilet jaune, mais j’aide les gens, je connais bien le quartier», raconte-t-il un joint à la main. La petite troupe emprunte un parking sous-terrain et ressort de l’autre côté. «On va boire un coup !»

Sur la place de la République, les casseurs s’en prennent aux boutiques, les forces de l’ordre vont et viennent par petits groupes. Un jeune homme est violemment projeté au sol. Clef de bras, genou sur la tête. Il est finalement emmené à l’écart, sous les lazzis des manifestants. A chaque charge, les forces de l’ordre ressortent de la foule avec un manifestant et viennent se retrancher derrière la ligne faite par leurs collègues. Aux alentours de 16 heures, Gaspard Glantz, le journaliste fondateur du média indépendant Taranis News est interpellé. La raison affichée serait un outrage à agent, après que le reporter ait reçu une grenade.

Avec son look tout droit venu des sixties, Victor est un gilet jaune irréductible et, à 51 ans, le benjamin de sa bande d’amis. Lunettes de soleil sur le nez et cheveux gominés, les bras bardés de tatouage, il observe le spectacle qui se déroule sous ses yeux, place de la République. «Il y avait beaucoup plus de monde au début, mais en divisant le cortège en trois ils ont réussi leur coup.» Pas bien loin, un homme contemple la place qui baigne dans les nuages de gazs lacrymogènes. Policier municipal, il essaie de venir dès qu’il peut à Paris pour manifester. «Le 1er mai sera chaud. Tout le monde est remonté. Et pas que les gilets jaunes. Tous ceux qui en ont marre.»

Kim Hullot-Guiot Charles Delouche

ACTE XXIII, LES DEUX VISAGES

Par Boby

Une partie des gilets jaunes ont défilé ce samedi 20 avril à Paris de Bercy à République pour entamer l’acte XXIII. La marche a démarré dans le calme pour se tendre dans l’après-midi suite à l’intrusion de black blocs dans le cortège. Des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ont alors démarré dans les rues adjacentes à la place de la République. Récit photo par Boby pour «Libération».

Acte XXIII, Jérôme Rodrigues galvanise les gilets jaunes se rassemblant en début de matinée à Bercy, le 20 avril.

Acte XXIII, Jérôme Rodrigues galvanise les gilets jaunes se rassemblant en début de matinée à Bercy, le 20 avril.

Photo Boby pour Libération

Acte XXIII, les gilets jaunes se rassemblent en début de matinée à Bercy.

Acte XXIII, les gilets jaunes se rassemblent en début de matinée à Bercy.

Photo BOBY pour Libération

Acte XXIII.

Acte XXIII.

Photo Boby pour Libération

Acte XXIII, à Bercy.

Acte XXIII, à Bercy.

Photo Boby pour Libération

Acte XXIII.

Acte XXIII.

Photo Boby pour Libération

Acte XXIII.

Acte XXIII.

Photo Boby pour Libération

Acte XXIII, à Bercy.

Acte XXIII, à Bercy.

Photo BOBY pour Libération

Acte XXIII. Allumages de feux par des black blocs en marge du cortège des gilets jaunes, le 20 avril.

Acte XXIII. Allumages de feux par des black blocs en marge du cortège des gilets jaunes, le 20 avril.

Acte XXIII. Boulevard Jules-Ferry, après plusieurs allumages de feux par les blacks blocs.

Acte XXIII. Boulevard Jules-Ferry, après plusieurs allumages de feux par les blacks blocs.

Photo Boby pour Libération

Acte XXIII. Une passante observe les feux.

Acte XXIII. Une passante observe les feux.

Photo BOBY pour Libération

Acte XXIII. Boulevard Jules-Ferry.

Acte XXIII. Boulevard Jules-Ferry.

Photo BOBY pour Libération

Acte XXIII. Boulevard Jules-Ferry.

Acte XXIII. Boulevard Jules-Ferry.

Photo BOBY pour Libération

Acte XXIII. Place de la République.

Acte XXIII. Place de la République.

Photo BOBY pour Libération

Acte XXIII, Maxime Nicolle, place de la République, le 20 avril

Acte XXIII, Maxime Nicolle, place de la République, le 20 avril

Photo BOBY pourLibération

Acte XXIII. Place de la République. Des tensions entre forces de l' ordre et manifestants en fin de journée.

Acte XXIII. Place de la République. Des tensions entre forces de l’ ordre et manifestants en fin de journée.

Photo BOBY pour Libération

Acte XXIII. Fin du mouvement de la marche des gilets jaunes à République, le 20 avril.

Acte XXIII. Fin du mouvement de la marche des gilets jaunes à République, le 20 avril.

Photo BOBY pour Libération

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