« C’est comme ça que mon message passera » : des « gilets jaunes » racontent pourquoi ils prônent le « pacifisme » malgré les violences
Ils déplorent, d’un côté, la répression policière et, de l’autre, la violence des manifestants. Franceinfo a rencontré ces « gilets jaunes » pris entre le marteau jaune et l’enclume bleue.
Dominique a eu « la peur de [sa] vie ». Le 15 décembre dernier, en pleine manifestation des « gilets jaunes » sur les Champs-Elysées, cette assistante sociale de 53 ans sort son appareil photo pour immortaliser l’instant quand le groupe de personnes en face d’elle se met à hurler. « Je me suis retournée pour voir ce qu’il se passait. Et là, je me suis retrouvée nez à nez avec un bouclier de CRS. » Trop tard pour éviter la charge. « Je suis tombée par terre et j’ai été piétinée par une policière. »
La quinquagénaire s’en sort avec les deux genoux en sang et une côte fêlée. « Ça aurait pu être pire », mais cinq mois plus tard, le souvenir est encore douloureux. « Ils m’ont chargée alors que j’étais totalement inoffensive ! Ça a fait naître en moi une colère dont je n’imaginais même pas l’existence », bouillonne-t-elle encore. Pas question pour autant de céder à la violence. « Ça ne réglera rien, bien au contraire. Quoi qu’il arrive, je resterai toujours profondément pacifiste. »
« Des haineux, des ultras, des factieux »
S’ils ont tendance à passer sous les radars médiatiques, davantage tournés vers les nombreuses violences qui émaillent les manifestations, certains « gilets jaunes » continuent de prôner la non-violence et le dialogue avec les forces de l’ordre. « Rester pacifiste, c’est un chemin de croix », s’amuse Didier, ancien syndicaliste dans la région nantaise et engagé dans le mouvement depuis la première heure.
Si on devient violents, la seule chose qu’on va réussir à faire, c’est décrédibiliser le mouvement. Ça ferait trop plaisir à Castaner qui depuis des mois essaie de tous nous faire passer pour des factieux.à franceinfo
Didier fait référence à un discours prononcé le 21 mars par le ministre de l’Intérieur, quelques jours après une manifestation parisienne particulièrement violente. Lors de la cérémonie d’investiture du nouveau préfet de police de Paris, le premier flic de France dégaine. « Samedi, sur les Champs-Elysées, il n’y avait pas de manifestants. Il n’y avait que des haineux, des ultras, des factieux. Des gens venus pour casser, pour détruire, pour agresser. » Un réquisitoire devenu un leitmotiv. « Il n’y a plus de revendications, il n’y a que des radicalités », répète-t-il le 26 avril sur le plateau de franceinfo.
Avant de rejoindre les défilés lillois, Carole Lecouvez n’était pas sereine. Cette femme de 46 ans, qui travaille dans le social, s’est longtemps mobilisée à Cambrai (Nord) où les rassemblements de « gilets jaunes » étaient calmes, mais de petite taille. « En allant manifester à Lille, je craignais de tomber sur des black blocs et des ‘gilets jaunes’ radicalisés. J’avais raison, car j’ai vu des personnes cagoulées tout casser sur leur passage. Je me suis sentie en danger », explique-t-elle.
Dominique refuse le terme de « radicalisation ». « Je préfère parler de personnes déterminées à aller jusqu’au bout. J’ai bien vu une évolution chez les ‘gilets jaunes’, mais je l’ai aussi constatée du côté des forces de l’ordre qui sont de plus en plus agressives. » Elle continue : « Il y a des policiers qui veulent en découdre. Une fois, j’ai même vu des gendarmes calmer des flics de la BAC parce qu’ils étaient trop violents. C’est dire. »
J’ai toujours pensé que les policiers étaient là pour défendre la veuve et l’orphelin. Là, c’est la première fois que je me dis que les forces de l’ordre peuvent être une menace pour mon intégrité physique.à franceinfo
Comme elle, plusieurs « gilets jaunes » non violents expliquent avoir pris conscience des risques qu’ils couraient en allant manifester. Dimitri, « gilet jaune » de Toulouse, a été choqué par la tournure qu’a prise le rassemblement. « J’étais avec ma copine sur la place du Capitole. On était sans casque, sans lunettes, complètement pacifistes. Et d’un coup, la police s’est mise à nous gazer. On s’est réfugiés dans une petite rue, mais on n’a pas vu qu’une vingtaine de CRS fonçaient vers nous », confie le trentenaire.
Il raconte avoir évité de peu un coup de matraque. « Si un manifestant ne nous avait pas prévenus, on se serait fait tabasser. » Depuis, Dimitri ne se déplace plus tous les samedis, même s’il affirme « être toujours mobilisé ».
Se faire taper dessus, c’est émotionnellement compliqué. J’essaye de prendre un peu de recul pour ne pas devenir cinglé.à franceinfo
Malgré cet épisode, Dimitri affirme rester « résolument pacifiste ». De même que Dominique, qui continue de s’investir corps et âme dans le mouvement. « Je refuse de ne pas y aller à cause de la peur. Par contre, j’interdis à mon mari et à mes enfants d’y aller, rit-elle. Avant de reprendre, plus sérieuse : « Le combat que nous menons me semble si important que je culpabilise si je n’y vais pas. Je me battrai jusqu’au bout. Et plus je vais y aller, plus je serai pacifiste. C’est comme ça que mon message passera. »
« Trop naïfs », voire « masochistes »
Force est de constater que ces engagements non violents se font de plus en plus rares. En parcourant les groupes Facebook liés au mouvement, on découvre une multitude de débats entre une minorité de « pacifistes » et des « gilets jaunes » plus remontés. Au fil des commentaires, les seconds moquent les premiers qu’ils considèrent comme « trop naïfs », voire « masochistes ». « Je les comprends. Leur colère est légitime. Moi-même, j’essaye de calmer mes proches qui n’en peuvent plus de se faire taper dessus », raconte Dimitri.
Avec cette répression violente, le gouvernement est en train de créer un monstre. Plus que des black blocs, nous allons finir avec des factions ultra violentes qui vont s’armer et attaquer la police.à franceinfo
Pas facile de continuer à défendre l’apaisement pour ces « derniers pacifistes », pris entre le marteau jaune et l’enclume bleue. « On se retrouve à faire le grand écart entre les « gilets jaunes » qui n’en peuvent plus et des policiers qui nous prennent pour cible alors qu’on manifeste calmement, regrette Didier. Les samedis, je passe mon temps à essayer de calmer tout le monde. »
Chaque week-end, Carole Lecouvez tente de faire l’intermédiaire entre les manifestants et les forces de l’ordre. Dans les défilés, elle a longtemps arboré un gilet portant les inscriptions « Respect des ‘gilets jaunes’ et des forces de l’ordre. Non-respect du ministre de la non-paix », sobriquet dont elle aime affubler le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner. Pour la femme de 46 ans, le salut des « gilets jaunes » ne peut passer que par le dialogue avec la police. Et, elle l’espère, par un ralliement.
Je suis née dans une famille d’uniformes et je sais qu’ils souffrent, comme les ‘gilets jaunes’ souffrent. Je crois qu’il faut tendre la main aux policiers pour qu’ils nous rejoignent.à franceinfo
Pour ça, cette habitante du Nord s’active sur les réseaux sociaux où elle est entrée en contact avec plusieurs membres et syndicats de forces de l’ordre. « Je leur explique que tous les « gilets jaunes » ne les détestent pas. Que beaucoup ont conscience de la difficulté de leurs conditions de travail. » « Ces histoires de suicide dans la police m’ont beaucoup choquée, continue Dominique. La stratégie du gouvernement, c’est de nous opposer systématiquement aux policiers. C’est ce qu’ils ont fait en mettant en exergue les 10 ou 15 personnes qui leur ont hurlé ‘suicidez-vous’. La réalité, c’est que pendant longtemps, en manif, les gilets jaunes criaient ‘ne nous regardez pas, rejoignez-nous’. »
« Castaner doit répondre de ses actes »
Tous les « gilets jaunes » interrogés par franceinfo réclament la démission de Christophe Castaner, condition sine qua non pour parvenir à un apaisement. « C’est lui le responsable de tout ça, accuse Didier. Jamais nous n’avons connu un ministre de l’Intérieur aussi autoritaire. » Même son de cloche pour Carole Lecouvez : « Il doit répondre de ses actes, tout comme les membres des forces de l’ordre qui ont joué aux cow-boys pendant les manifestations. C’est la seule solution pour retrouver la paix. »
Dimitri craint que ce soit un vœu pieux. « Des manifestations, j’en ai fait pas mal et j’ai bien vu qu’il y avait un durcissement depuis la mobilisation contre la loi Travail. Mais là, c’est la première fois que j’assiste à quelque chose d’aussi violent. « , s’inquiète le Toulousain. Avant de conclure : « C’est aussi pour ça que je reste convaincu que le pacifisme est la seule solution. Car, même si nous parvenons à destituer ce gouvernement par la force, on perpétuera un système qui est basé sur la violence. »
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