Près de cent cinquante manifestations sont prévues jeudi pour protester contre le projet de loi sur le statut des agents de la fonction publique, présenté à l’Assemblée à partir du 13 mai.
C’est la quatrième journée nationale d’action dans la fonction publique depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, après celles du 10 octobre 2017 et des 22 mars et 22 mai 2018. Mais « c’est la première fois que le gouvernement se retrouve confronté à toutes les organisations syndicales qui rejettent un projet de loi », relève Mireille Stivala (CGT), évoquant une « situation inédite ».
Les neuf syndicats de la fonction publique (CGT, CFDT, FO, FSU, Solidaires, UNSA, FA-FP, CFE-CGC, CFTC) dénoncent une réforme à « la portée très grave », tant pour les agents que pour l’avenir des services publics. Au contraire, le gouvernement a présenté son texte, qui facilite notamment le recours aux contractuels, comme une nécessité pour rendre l’administration « plus attractive et plus réactive » face aux « nouvelles attentes » des Français.
Mobilisation dans la durée
Les syndicats ont d’ores et déjà prévenu que la journée de jeudi ne serait « qu’une étape » d’une mobilisation « dans la durée » pour « dire non » à ce projet de loi présenté en conseil des ministres le 27 mars et demander au gouvernement qu’il « ouvre enfin des négociations sur de nouvelles bases ».
Près de 150 manifestations sont prévues dans toute la France, selon les syndicats. A Paris, le cortège s’élancera à 14 heures de la place Denfert-Rochereau, à destination des Invalides. « Des appels à manifester ont été lancés dans de nombreux secteurs, bien au-delà de la fonction publique », qui rassemble quelque 5,5 millions d’agents dans ses trois versants (Etat, hospitalière, territoriale), a dit à l’AFP Baptiste Talbot, secrétaire général de la fédération CGT des services publics.
Ils concernent la chimie et le commerce, mais aussi les cheminots ainsi que les retraités, qui manifesteront aux côtés des enseignants, des soignants, des douaniers, des agents des finances publiques ou encore des fonctionnaires territoriaux, pour défendre leurs missions et des services publics de qualité.
Chez les enseignants, le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer a dit tabler sur une grève d’« une certaine importance », anticipant un taux de grévistes « d’environ 15 % » dans le primaire, « moins » dans le secondaire.
Une « forte mobilisation est attendue dans les établissements hospitaliers », a déclaré à l’AFP Patrick Bourdillon de la CGT santé/action sociale, qui a déposé un préavis de grève national reconductible « spécifique aux urgences et aux Samu ». Depuis plusieurs semaines, des mouvements de grève essaiment aux urgences, notamment celles de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) mais aussi de Nantes, Strasbourg et Lyon, où les soignants réclament plus de moyens pour faire face à l’engorgement des services. « On a atteint un point de non-retour », a ajouté M. Bourdillon, dénonçant des services « en train d’exploser ».
« Passage en force »
Sur le projet de loi, les syndicats critiquent « un passage en force » du gouvernement, qu’ils accusent de vouloir une fonction publique alignée sur les règles du privé, au détriment du statut de fonctionnaire et de l’indépendance des agents. Bernadette Groison (FSU) parle de « désaccord profond avec l’orientation choisie par le gouvernement sur l’avenir de la fonction publique » et Gaëlle Martinez (Solidaires) d’un texte « qui fait l’unanimité contre lui ».
A la CFDT, Mylène Jacquot cite « l’élargissement du recours au contrat » comme un « vrai désaccord » tandis qu’à FO, Christian Grolier dénonce la surdité d’un « gouvernement anti-fonctionnaires » et que Luc Farré (UNSA) voit dans le texte une « boîte à outils » pour « privatiser à terme la fonction publique ».
Le projet de loi sera au menu de l’Assemblée nationale à compter de lundi 13 mai en première lecture. Le gouvernement souhaite le faire adopter avant l’été pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2020. Le projet de loi s’inscrit dans un objectif de suppression de 120 000 postes de fonctionnaires d’ici à 2022.
Le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, a qualifié d’« atteignable » cet objectif le 26 avril, alors qu’Emmanuel Macron s’était dit la veille prêt à « l’abandonner », demandant au gouvernement « son analyse d’ici à l’été ».
Fonction publique : ce que contient le projet de loi
Le gouvernement vante une « transformation profonde de la fonction publique ». Les syndicats y voient surtout une « dégradation ».
L’ambition est de nouer « un nouveau contrat social » avec les fonctionnaires. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, et Olivier Dussopt, son secrétaire d’Etat, ont présenté en conseil des ministres, mercredi 27 mars, un projet de loi visant à réformer la fonction publique.
M. Dussopt a conduit des discussions avec les neuf organisations représentatives pendant un an. Le projet demeure cependant fidèle à la feuille de route fixée par le premier ministre, Edouard Philippe, en février 2018. En présentant les grandes lignes du texte, en février 2019, le secrétaire d’Etat a dénoncé un excès de « normes et de lourdeurs », évoqué une « transformation profonde de la fonction publique » et tenté de déminer un éventuel conflit social : « Cette réforme n’est pas celle de la fin du statut ou de la “casse” du service public. C’est, au contraire, celle d’un statut modernisé. »
« Les réformes dégradent le service public »
Les syndicats sont d’accord pour reconnaître l’ampleur de la réforme, mais ils n’en font pas la même lecture que le gouvernement. « Non, ces réformes ne sont pas portées par la volonté d’un meilleur service public, mais bien par des principes de coupes budgétaires, dénoncent-ils dans un communiqué, mercredi 27 mars. Les réformes dégradent le service public, loin des promesses de “modernisation”. » Sept d’entre elles ont demandé aux fonctionnaires d’organiser des rassemblements mercredi. Elles appellent à une journée de mobilisation et de grève le 9 mai.
Que contient le projet de loi ? L’un des points sensibles est la réforme des instances de dialogue social. « Est-on véritablement efficace quand on a aujourd’hui 22 000 instances de dialogue dans la fonction publique ? », avait interrogé Edouard Philippe, en février 2018. Pour l’exécutif, la réponse est manifestement non. Après le conseil des ministres, mercredi, Gérald Darmanin a précisé que « la moitié » de ces instances disparaîtraient et évoqué « une sorte de pendant des ordonnances travail pour le public ». Les missions des commissions administratives paritaires, qui se prononcent aujourd’hui sur toutes les décisions individuelles concernant la carrière des fonctionnaires, seront modifiées : elles deviendront une instance de recours, sauf en matière disciplinaire. Le gouvernement déplore que les mutations connaissent parfois aujourd’hui « un délai de huit à quatorze mois ». De même, les comités techniques (CT) et les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) fusionneront. Pour les syndicats, c’est un casus belli.
Autre terrain sensible que le gouvernement s’apprête à fouler : le recours accru aux contractuels, un agent sur cinq aujourd’hui. Mercredi, Gérald Darmanin a parlé de « généralisation du contrat, qui n’est pas la fin du statut, mais qui peut être une alternative au statut ». Les administrations pourront embaucher davantage de contractuels et ceux-ci pourront même dorénavant occuper des postes de directeurs. Un « contrat de projet », à durée déterminée, sera créé pour des missions spécifiques. Le gouvernement s’engage en contrepartie à améliorer la situation des contractuels, et notamment les plus précaires.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit des mesures pour faciliter les mobilités de fonctionnaires entre fonctions publiques et vers l’extérieur. Mercredi, Gérald Darmanin a de nouveau évoqué un « plan de départ volontaire », expression qui avait fait polémique il y a un an, alors que son secrétaire d’Etat s’échine à préciser qu’il n’y aurait pas un plan global, mais plusieurs plans de départ. L’accompagnement des agents dont l’emploi est supprimé sera renforcé. Le dispositif comprend « un accompagnement personnalisé » et la création d’« un congé de transition professionnelle ». Le projet évoque notamment le détachement des fonctionnaires dans le cas où des missions seraient confiées au privé. Une rupture conventionnelle sera expérimentée pour les contractuels. « Nous allons favoriser les départs volontaires vers le privé, a indiqué M. Dussopt, mercredi, avec des dispositifs qui existent en droit commun et que nous allons renforcer. » Ces dispositions doivent notamment aider le gouvernement à tenir la promesse d’Emmanuel Macron de supprimer 120 000 postes sur la durée du quinquennat.
Résultats professionnels
Autre chantier, la rémunération au mérite. Le texte prévoit que le salaire des contractuels pourra être fixé en tenant compte de leurs résultats professionnels mais aussi de ceux de leur service. Le sujet est cependant moins détaillé qu’annoncé. Le sujet devrait être approfondi dans le cadre de la réforme des retraites. C’est ce que souhaitaient les syndicats.
Le texte rappelle, en outre, que le temps de travail annuel obligatoire est de 1 607 heures et que, par conséquent, tous les accords dérogatoires qui ont été adoptés, notamment dans les collectivités locales, doivent être révisés.
De même, un « volet déontologie » prévoit de renforcer l’examen de potentiels conflits d’intérêts lorsqu’un fonctionnaire revient dans le secteur public après une expérience dans le privé.
Le projet de loi met également en musique une partie des mesures de l’accord sur l’égalité femmes-hommes dans la fonction publique, signé en novembre entre M. Dussopt et une partie des syndicats. Il s’agit entre autres du rétablissement du jour de carence pour les femmes enceintes mais aussi d’imposer aux administrations l’élaboration d’un plan d’action, ou encore de maintenir les droits à avancement lors d’un congé parental.
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