Syndicaliste éborgné en 2016 : un CRS renvoyé aux assises

Par Ismaël Halissat — 
Laurent Théron, syndicaliste blessé lors d’une manifestation contre la loi travail, en 2016. Photo Greg Sandoval. AFP

Laurent Théron avait été gravement touché au visage par l’éclat d’une grenade de désencerclement, à Paris, lors de la mobilisation contre la loi travail. Les juges d’instruction ont pris leur décision contre l’avis du parquet, qui avait requis un jugement en correctionnelle du policier auteur du lancer.

Pour les deux juges d’instruction, Matthieu Bonduelle et Carine Rosso, il s’agit bien d’un crime. Dans leur ordonnance de mise en accusation, datée de lundi et consultée par Libération, ils renvoient aux assises le policier Alexandre M., 51 ans, pour «violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente». En l’espèce, la perte de l’usage d’un œil. Un élément clairement établi dans la procédure. Dans ses réquisitions, le parquet avait pourtant mis en doute le caractère irréversible de cette blessure. Un point juridique essentiel, car l’infraction serait alors rangée dans la catégorie des délits. Le parquet, qui n’a pas été suivi par les juges d’instruction, avait donc requis un renvoi devant le tribunal correctionnel.

Le 15 septembre 2016, place de la République à Paris, Laurent Théron reçoit un galet de grenade de désencerclement (GMD) à pleine vitesse dans le visage. Bien qu’opéré en urgence, le manifestant a perdu l’usage de son œil droit. Le syndicaliste souffrait aussi de multiples fractures des os du visage. L’enquête avait notamment permis de découvrir que le CRS ayant lancé la grenade n’était ni formé au maintien de l’ordre ni même habilité à utiliser cette munition.

«Disproportionné»

Dans leur ordonnance, les juges d’instruction concluent que le lancer de cette grenade n’était pas légalement justifié : «Au moment du lancer de la GMD, à 16h53, Alexandre M. et sa compagnie n’étaient ni assaillis, ni encerclés, ni même réellement pris à partie, étant séparés de plusieurs mètres de manifestants épars.» Le policier était notamment à 14 mètres de Laurent Théron. Un lancer «disproportionné» vu les circonstances, ajoutent les deux magistrats.

Dans son réquisitoire, le parquet estimait que s’il existait bien une «perte actuelle» de son œil droit, celle-ci ne correspondait pas à une infirmité permanente. Et qu’il existait une possibilité de se faire poser un implant. Un raisonnement sévèrement taclé par les deux juges d’instruction : «Le raisonnement du ministère public, qui opère une confusion entre des notions juridiques distinctes tout en se référant à des considérations d’opportunité, ne saurait être suivi.» L’ordonnance de mise en accusation conclut qu’il «résulte sans la moindre ambiguïté du rapport d’expertise médicalo-ballistique que Laurent Théron est définitivement aveugle de l’œil droit».

Pour Julien Pignon, l’avocat du manifestant, la position du parquet était «incompréhensible juridiquement» : «Par un tour de passe-passe qu’on a du mal à comprendre, si ce n’est du fait de son embarras, le ministère public soutenait que la perte d’un œil n’était pas une infirmité permanente. La réalité des faits est rétablie, il s’agit bien de faits relevant d’une qualification criminelle.» Egalement contacté, l’avocat d’Alexandre M., Laurent-Franck Liénard, annonce sa volonté de faire appel de l’ordonnance.

Ismaël Halissat

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