Alternatives économiques, 20 juin 2019
Le rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites promet des lendemains qui déchantent pour les futurs retraités. Et interroge sur la future contribution de l’Etat dans le régime de retraite de ses agents.
On devrait conseiller aux Français de lire le rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites (COR) présenté aujourd’hui. C’est un exercice, certes austère, voire fastidieux (270 pages sans les annexes) mais combien éclairant. Le citoyen y trouvera quelques éléments de compréhension de sa propre actualité, et aussi des perspectives de son avenir.
Expliquer le présent, éclairer le futur, on ne trouve pas souvent des ouvrages d’une telle ambition. Bien sûr, le lecteur trouvera bien ce qu’il a déjà lu partout : le système français des retraites ne sera pas à l’équilibre avant … 2042. En attendant, le déficit devrait atteindre 0,4% du PIB en 2022, soit 10 milliards d’euros. Ce déséquilibre s’expliquant par la réduction à venir d’agents publics, soit moins de cotisations qui entrent dans les caisses pour des dépenses qui restent stables. L’information qui avait fuité très opportunément deux jours avant le discours de politique générale d’Edouard Philippe, a justifié l’annonce par ce dernier du report de l’âge de départ à taux plein, avec l’introduction d’un « taux d’équilibre » au delà de 62 ans. Autrement dit une décote sur la pension dès lors qu’on part à l’âge égal.
Baisse des pensions
Mais au fait, quels sont les facteurs de cette dégradation ? C’est pour trouver des réponses à ce genre de question que la lecture du COR est nécessaire. En tout cas, ce ne sera pas la faute des retraités eux-mêmes. Page 83, un chapitre est ainsi intitulé : « La part des dépenses du système de retraite dans le PIB baisserait, ou serait stable, à l’horizon 2070, quel que soit le scénario économique envisagé ».
Autrement dit, dans les cinquante années à venir, les retraités « mangeront » au maximum 13,8% du PIB. Mais ils seront 20% de plus d’ici là. Une part gâteau qui ne grossit pas avec davantage de convives à table, le résultat est imparable : les pensions vont décroître. Non pas en absolu, mais en relatif, comme on peut lire page 154 : « la pension moyenne continuerait de croître en euros constants (donc plus vite que les prix) du fait de l’effet noria mais, contrairement au passé, elle augmenterait moins vite dans le futur que les revenus d’activité : entre +25 % et +51 % selon les scénarios pour la pension nette moyenne et entre +69 % et +139 % pour le revenu net d’activité moyen entre 2017 et 2070 ».
A ce stade on ne résiste pas à raconter un échange entendu entre une jeune journaliste et le président du COR lors de la conférence de presse : « comment traduire cela concrètement ? », interroge la consoeur. Et Pierre-Louis Bras de lui répondre : « Par exemple, en 2070, une personne active pourra acheter 2 plaques de beurre et une retraitée une seule… » « Ah bon ? Est-ce si grave ? » A ce moment on s’est retenu de se retourner vers la collègue pour lui dire : « mais la retraitée dont on parle, ce sera toi… »
Clichés sur les riches retraités
C’est à ce genre de remarque qu’on voit à quel point le cliché des retraités dorés sur tranche est ancré dans les esprits. Un lieu commun conforté par les statistiques. Les seniors ont en moyenne un niveau de vie « légèrement supérieur » à celui des ménages. C’est vrai, mais outre qu’il s’agit d’un état récent et surtout transitoire, qui a culminé en 2017 et ne sera bientôt qu’un souvenir, – « selon les scénarios, le niveau de vie relatif des retraités s’établirait entre 91 % et 96 % en 2040 et entre 78 % et 87 % en 2070 », nous dit le COR – , c’est une photo partielle, voire partiale, de la réalité.
Car on compare des retraités à l’ensemble des ménages, actifs, retraités, et les inactifs, dont les handicapés, les ménages avec de nombreux enfants et un seul adulte. Faut-il vraiment s’offusquer qu’après une carrière de 42 ans (bientôt 43, voire plus), on obtienne un revenu équivalent à 105 % de la moyenne ? Tout en gagnant, il faut le surligner, toujours moins qu’un actif. Car les pensions nettes, c’est aujourd’hui 65,8% du revenu moyen des actifs. Et en 2070, ce sera, nous promet le COR, entre 42% et 48%.
Les vieux privilégiés ne le sont pas tant que ça, et discourir du « sort enviable des retraités » d’aujourd’hui, qui après tout, n’ont fait que suivre le célèbre conseil de François Guizot, le président du Conseil des ministres sous Louis-Philippe : « enrichissez vous par le travail et l’épargne » masque donc un choix politique qu’il serait bon de discuter : la paupérisation annoncée d’une partie de la population. Un recul social que le COR exprime sans fard comme le « retour aux conditions existants avant 1980 ». Avant l’épisode socialiste c’était le bon temps ? Vraiment ? Mais non, on sortait à peine de l’époque où Pierre Perret chantait « Cuisse de mouche » dont « la taille est plus mince que la retraite des vieux ».
Eviter la dégradation
Et le mouvement s’accélère sous nos yeux. On lira page 163 du rapport un joli graphique montrant les effets concrets de diverses mesures récentes (sous-indexation, accord Agirc-Arrco qui instaure une décote de 10% pendant les trois premières années de retraite sur la partie complémentaire, hausse des prélèvements…) arrêtées à 2017. Les actuels retraités non cadres perdent 3% de pouvoir d’achat, les cadres entre 6% et 13%. On attendra le rapport du COR 2020 pour constater les dégâts occasionnés par la politique du gouvernement actuel : sous revalorisation des pensions, hausse de la CSG, qui se sont heurtées, à raison, à l’hostilité des Gilets jaunes.
Mais voilà, le consensus est si fort, en particulier dans les médias que le message continue de passer. Signe des temps, dans les scénarios du COR, et à la veille d’une réforme majeure que serait l’unification de la quarantaine de régimes dans un système universel de retraite, aucune voix dans le COR n’a demandé qu’un scénario envisageant une plus forte part des revenus soit accordée aux retraités dans l’avenir. Il n’y faudrait pas grand chose : selon l’économiste Michaël Zemmour, une hausse de 0,3 point de cotisation éviterait une dégradation aussi drastique de la condition des futurs retraités. Mais comme on dit « la question ne sera pas posée »…
Baisse de la part de l’Etat
Il ne faudrait pas être naïf. Le malheur « relatif » des seniors, pourrait faire le bonheur d’autres acteurs. A l’heure où se préparent les arbitrages de la réforme Macron des retraites, le rapport du COR, décidément bien passionnant, nous révèle un des débats qui agiteront les décideurs au moment de trancher : quelle sera la part de l’Etat dans le financement du système ? On trouvera page 93 un chapitre consacré à la chose, sous forme assez elliptique, il faut en convenir. Pour résumer, on dira qu’actuellement l’Etat verse l’équivalent de 2% du PIB dans le système, ce qui couvre les pensions des agents de l’Etat au sens large. Et jusqu’à présent, on pensait qu’il en serait toujours ainsi.
Mais selon un autre scénario, on pourrait aussi calculer la part de l’Etat en proportion de sa masse salariale. Or, selon le COR, la direction du budget du ministère de l’Economie lui a transmis des chiffres qui résultent de la diminution (-120 000 postes) du nombre d’agents publics ainsi que du blocage maintenu des rémunérations. Résultat, la part de l’Etat tomberait rapidement et s’établirait à 1,6% du PIB en 2070. Au prix actuel, 0,6 point représente 13 milliards d’euros d’économie (potentielle) pour le Budget …chaque année.
Un scénario improbable, puisque le nombre de fonctionnaires pourtant en retraite, lui, ne diminuera pas ? Pas si sûr, si l’on considère les principes de la réforme telle qu’envisagée : « un euro cotisé donnera les mêmes des droits ». Or, actuellement l’Etat cotise à plus de 70 % pour ses agents civils et 130% pour les militaires, quand les régimes du privé plafonnent à 28% en moyenne. Et le haut commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, a indiqué un taux unique de 28% pour tous les régimes… Même taux, même pension, même punition ?
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