«Ça fait un mois, c’est très long. Un mois sans réponse et avec l’impression d’être délaissés.» Aliyah, 20 ans, est devenue l’une des porte-parole d’une lutte dont elle se serait bien passée. «Un mois, c’est aussi le temps, pour que déjà, certains oublient», se désole-t-elle sur le bout de terrain vague où Steve Caniço, 24 ans, a été vu pour la dernière fois. Comme la plupart des proches du jeune homme, elle porte un tee-shirt blanc avec une question : «Où est Steve ?» Depuis un mois, ni la justice, ni la préfecture, ni même le ministère de l’Intérieur n’ont pu y répondre. «Ils savent très bien qu’ils sont en tort, leur silence ça me met en colère, mais je préfère encore ça que plus de mensonges», fustige-t-elle. Plusieurs enquêtes sont en cours.
Comme Aliyah, près de 500 personnes se sont rassemblées samedi après-midi à Nantes sur le quai Wilson. C’est là, le soir de la Fête de la musique, vers 4 h 30, qu’une quinzaine de policiers sont intervenus pour disperser des fêtards. Pendant plus de vingt minutes, des grenades lacrymogènes ont été lancées en direction de la foule et du fleuve. Pendant cette charge, une dizaine de personnes sont tombées dans l’eau et, depuis, Steve Caniço a disparu. Son corps n’a pour l’instant pas été retrouvé.
«Haine contre la police et le gouvernement»
Chacun de ceux présents ce soir-là a désormais un souvenir amer à partager. Mark, 22 ans, répète que Steve devait rentrer avec lui, «mais il a préféré rester encore un peu». Il n’a pas insisté et a quitté la fête sans lui : «La tristesse est partie, maintenant c’est de la haine que j’ai contre la police et le gouvernement. Pendant cinq ans, j’ai voulu devenir gendarme, mais maintenant j’ai envie de voir les forces de l’ordre tomber.» Jérémy, 24 ans, fait, lui, partie des personnes qui ont chuté dans la Loire au moment de la charge policière : «Plus le temps passe, plus je repense à ce moment et je me dis que j’aurais peut-être pu faire quelque chose quand on a entendu que quelqu’un s’était noyé.» Il avait déjà lui-même secouru une autre personne blessée à l’épaule qui peinait à nager.
Vers 16 heures, debout sur l’un des rochers qui sépare le terrain vague de la route, Aliyah est la première à empoigner le mégaphone : «Le 21 juin, danser est devenu un délit.» Puis vient Pierre, 21 ans : «Steve, nous danserons pour toi jusqu’au bout de la nuit, jusqu’au bout du monde.»Et Maël, 19 ans : «Sache Steve que la police fait tout pour t’oublier, ça va être un combat long à mener, Steve, je t’aime.»
Gilets jaunes
Dans la foule, Bernadette, 69 ans, est présente. Cette gilet jaune est venue de Rochefort (Charente-Maritime) avec deux amies rencontrées pendant le mouvement social. La retraitée avait d’abord pensé à organiser une marche dans sa ville. «Il y a une escalade dans la bêtise policière», juge-t-elle. Plusieurs autres gilets jaunes sont présents. Comme Géraldine, 48 ans, venue avec un carton rempli de roses cueillies dans son jardin. «Toute la ville devrait venir ici», estime cette habitante de Nantes. Jérôme Rodrigues, l’un des leaders de la contestation, a aussi fait le déplacement et diffuse le rassemblement en direct avec son téléphone.
Dans l’après-midi, plusieurs personnes se rapprochent du bord du fleuve et discutent de la dangerosité d’une chute. Comme le 22 juin à l’aube, la marée est basse et le courant puissant. «Si tu tombes de là, la tête la première, tu peux te tuer», constate une femme. Une grande chaîne humaine est formée à cet endroit sur plus d’une centaine de mètres. La bande de Steve Caniço demande une minute de silence. Pour eux, plus de doute, leur ami est mort là, emporté par les flots de la Loire.
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