Féminicides : plusieurs centaines de personnes mobilisées à Paris

Parmi les manifestants, 74 portaient des couronnes de fleurs, soit le nombre de féminicides recensés depuis le 1er janvier.

Le Monde avec AFP Publié le 06/07/2019

Lors de la manifestation contre les féminicides le 6 juillet à Paris. PIERRE BOUVIER / LE MONDE

A Perpignan, dans la nuit du vendredi 5 au samedi 6 juillet, une femme de 32 ans a été tuée à l’arme blanche à son domicile. Selon les premiers éléments de l’enquête, elle serait morte lors d’une dispute, et son mari, suspecté de ce crime, est en garde à vue. Trois des quatre enfants du couple étaient présents dans l’appartement, selon le journal L’Indépendant. Deux jours plus tôt, jeudi 4 juillet, une femme de 20 ans, enceinte de trois mois, est morte frappée par son conjoint à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Le 27 juin, à Vaulx-en-Velin (Rhône), une femme de 29 ans a été tuée à coups de marteau par son mari, qui s’est ensuite pendu.

Il s’agit des trois dernières victimes de féminicide parmi les 74 dénombrées en France depuis le début de l’année, selon un collectif. Exigeant des mesures concrètes pour lutter contre les féminicides, le monde politique et la société civile sont montés au créneau ces derniers jours, par des pétitions, des tribunes ou des appels à la mobilisation.

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Pierre Bouvier@pibzedog
Dans l’assistance figuraient la chanteuse Yael Naim et les actrices Julie Gayet, compagne de l’ancien président François Hollande, et Muriel Robin. Cette dernière a appelé les manifestants à observer symboliquement « 74 secondes de bruit et de colère », et interpellé le président Emmanuel Macron. « Vous avez parlé de cause nationale : où en êtes-vous ? Combien coûte la vie d’une femme ? » « Je veux une réponse », a martelé la comédienne, qui a incarné à l’écran Jacqueline Sauvage, condamnée – avant d’être graciée par François Hollande – pour le meurtre de son mari violent.
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Le collectif à l’origine du rassemblement avait signé une tribune dans Le Parisien dimanche 29 juin. « Nous ne nous tairons plus », assuraient les signataires. La parution de ce texte a été suivie de nombreuses réactions, à commencer par celle de la sénatrice socialiste Laurence Rossignol. L’ancienne ministre des droits des femmes de François Hollande a écrit lundi aux ministres de la justice et de l’intérieur pour demander une enquête administrative sur les féminicides survenus depuis le 1er janvier qui, « souvent »« auraient pu être évités », selon elle.

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« Non-assistance à femmes en danger »

Lundi également, le Haut Conseil à l’égalité (HCE, une instance consultative indépendante) s’était « porté volontaire » pour « identifier les parcours et les éventuels manquements qui ont conduit au meurtre » de ces femmes.

Mercredi, la comédienne Eva Darlan et le magistrat honoraire Luc Frémiot ont lancé une pétition sur la plate-forme change.orgintitulée « Non assistance à femmes en danger », dans laquelle ils appellent également à une « enquête conjointe » des ministères de la justice et de l’intérieur. Le texte a recueilli plus de 5 300 signatures.

Youssef Badr, porte-parole du ministère de la justice, a reconnu, jeudi sur BFM-TV, un « vide juridique » concernant les personnes placées en garde à vue et remises en liberté sous contrôle judiciaire, mais a assuré que le ministère était « en train de finaliser » l’écriture d’un texte comblant ce vide.

Jeudi, c’était au tour d’un collectif féministe d’appeler, dans une tribune publiée dans Le Monde, à prendre « cinq mesures immédiates » pour lutter contre les féminicides. Les signataires appellent notamment à « donner la consigne ferme aux commissariats et gendarmeries qu’aucune femme victime de violence au sein du couple ne reste sans réponse » et à augmenter le nombre d’ordonnances de protection attribuées en France (1 300 par an actuellement, contre 20 000 en Espagne).

Vendredi, c’est dans Libération que plus de 150 sénateurs ont interpellé le gouvernement. « Où est la grande cause du quinquennat ? », demandent les signataires de ce texte, en référence au terme utilisé en novembre 2017 par Emmanuel Macron pour désigner l’égalité entre les femmes et les hommes. Les 150 parlementaires appellent à une plus grande utilisation des bracelets électroniques dits « antirapprochement » pour prévenir les féminicides, la création de places d’hébergement d’urgence et un meilleur accompagnement des associations qui luttent contre les violences faites aux femmes.

Soixante-treize décès depuis le 1er janvier 2019

Le secrétariat d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes a rappelé, vendredi dans un communiqué, les actions mises en place depuis le début du quinquennat, notamment le lancement d’une plate-forme de signalement en ligne et la loi dite « Schiappa », datée d’août 2018, « renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ». Dès lundi, Nicole Belloubet avait dit vouloir « généraliser » le bracelet électronique antirapprochement.

La page Facebook « Féminicides par compagnons ou ex » a recensé soixante-treize décès depuis le début de l’année 2019. Cent trente femmes sont mortes en 2017 en France tuées par leur conjoint ou ex-conjoint, contre 123 en 2016, selon des données communiquées par le ministère de l’intérieur.

« Et les violences faites aux enfants ? », s’est interrogée, vendredi dans un communiqué, l’association La Voix de l’enfant, qui, tout en dénonçant les violences faites aux femmes, rappelle qu’« un enfant meurt tous les cinq jours de violences familiales en France », une réalité qui, déplore-t-elle, « ne fait pas l’objet de la même attention de la part des médias ». En 2017, 25 enfants ont été tués dans le cadre de violences conjugales, selon le ministère de l’intérieur.


Les féminicides, un combat de société

Editorial. En moyenne depuis dix ans en France, 140 femmes meurent sous les coups de leur conjoint. Emmanuel Macron devrait faire la lutte contre ces crimes une « grande cause nationale ».

Publié aujourd’hui  le 06/07/2019

Editorial du « Monde ». Le mot a fait son apparition dans le débat public : un « féminicide » est le meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme. Depuis 2016, l’ONU souligne dans ses rapports que c’est « la forme la plus extrême de violence contre les femmes et la plus grande manifestation de l’inégalité hommes-femmes ». Rendu visible grâce au compteur réalisé par des militantes féministes, le phénomène des féminicides conjugaux, pour ne parler que d’eux, est en augmentation constante. Dans la nuit du 26 au 27 juin, à Vaulx-en-Velin (Rhône), une femme a été tuée à coups de marteau par son conjoint. Depuis le 1er janvier, tous les deux jours – contre trois auparavant –, une femme est assassinée par son conjoint ou son ex-compagnon. Depuis le début de l’année, 73 de ces féminicides ont déjà été recensés, ce qui laisse entrevoir une aggravation quand on connaîtra les chiffres officiels de 2018. En 2017, 151 femmes sont mortes sous les coups de leur (ex-)conjoint.

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Ces statistiques donnent le vertige et pourraient laisser croire que le phénomène s’est banalisé dans une sorte d’indifférence, comme si la société avouait son impuissance. Pourtant, les pouvoirs publics ne sont pas inertes. Des mesures ont été prises depuis les ordonnances de protection, les bracelets électroniques d’éloignement interdisant au porteur de menace de dépasser un périmètre donné, ou encore les « téléphones grave danger » (TGD), qui permettent de bénéficier d’une assistance immédiate grâce à un boîtier spécial. Mais elles se révèlent nettement insuffisantes face à un danger en forte croissance. On a recensé 3 332 ordonnances de protection en 2018 contre plus de 20 000 en Espagne, et 3 000 TGD contre 10 000 chez notre voisin espagnol. Depuis 2017, le gouvernement de Madrid montre l’exemple, et il a réussi à faire baisser le nombre de féminicides.

Moyens insuffisants

En France, l’arsenal mis en place est souvent mal appliqué et les moyens financiers sont insuffisants. Alors que, selon un rapport publié par des associations en 2018, 506 millions d’euros seraient nécessaires chaque année pour accompagner les femmes victimes de violences, seuls 79 millions ont été engagés. De nombreuses femmes, parmi lesquelles certaines se trouvent clairement en danger de mort, n’osent pas porter plainte ou jugent une telle démarche vaine ou humiliante. Nicole Belloubet, la ministre de la justice, a demandé, le 21 juin, une enquête à l’inspection générale de la justice pour rechercher dans des dossiers passés les signaux d’alerte qui auraient pu être négligés et repérer les fautes ou les manquements qui auraient pu empêcher les passages à l’acte.

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Mme Belloubet a pris la mesure de la gravité de la situation en annonçant un changement radical de doctrine. Un texte de loi est en préparation pour généraliser le « dispositif électronique de protection anti-rapprochement » à tout le territoire et plus en amont du cycle de violences conjugales, sans attendre la condamnation de l’auteur ou même l’ouverture d’une information judiciaire. Le bracelet électronique pourra être imposé avant un jugement. Ces décisions étaient nécessaires et elles devraient être bien accueillies.

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