24 Juillet 2019 – 09:53 par Henri Sterdyniak
L’objectif réel de la réforme des retraites, qu’Emmanuel Macron et son gouvernement veulent imposer, est de garantir la stabilité (voire la baisse) de la part des retraites publiques dans le PIB, de passer du système actuel fournissant certaines garanties aux salariés en termes de taux de remplacement et d’âge de départ à la retraite à un système flexible permettant d’utiliser les retraites comme variable d’ajustement des finances publiques. Comme pour l’allocation chômage, le système est étatisé, le rôle des syndicats est réduit. C’est le rôle du rapport Delevoye de masquer cet objectif par un tour de bonneteau, en détournant l’attention vers l’universalité et la contributivité du nouveau système.
Ce nouveau système serait plus contributif, donc plus juste. C’est oublier qu’un système d’assurance sociale doit être redistributif, assurer des taux de remplacement plus élevés aux revenus les plus faibles, tenir compte de la pénibilité de la carrière et des possibilités de rester en emploi. Dans ce cadre, il doit être rétributif, récompenser, dans une certaine mesure, l’évolution de carrière. Il est légitime que deux ingénieurs qui prennent leur retraite au même âge et au même salaire aient le même niveau de pension, même si l’un a commencé comme technicien. Il n’est pas forcément légitime que le niveau de la retraite dépende de la situation entre 18 et 25 ans. Là aussi, l’insistance sur la contributivité est un tour de bonneteau pour masquer la baisse du niveau des retraites. Par ailleurs, il existe une différence d’espérance de vie (à 35 ans) entre un cadre et un ouvrier de 6,5 ans (pour les hommes), de 3 ans (pour les femmes). Un système qui l’oublie ne peut pas être considéré comme juste.
Le projet de réforme s’accompagne de critiques du système actuel, de ses 42 régimes, de ses injustices. Il faut cependant rappeler que le système actuel fournit un niveau de pension parmi les plus élevés des pays de l’OCDE, qu’il assure aux retraités un niveau de vie équivalent à celui des personnes d’âge actif, cela à un âge satisfaisant et que dans de nombreux pays (Royaume-Uni, Pays-Bas, Danemark, Finlande, …) un système de retraite publique peu généreux s’accompagne de nombreux régimes complémentaires de branches ou d’entreprise. Les défauts du système proviennent de l’incohérence des réformes précédentes. Ainsi, la réforme Balladur de 1993, en désindexant l’évolution des retraites de celle des salaires, a-t-elle fait dépendre l’équilibre du régime général du taux de croissance des salaires réels; ainsi, la réforme des pensions de réversion de 2003 a-t-elle introduit une condition de ressources pour le seul régime général ; ainsi, en 2003, le gouvernement s’est-il incliné devant Bruxelles et a-t-il réduit à 2 trimestres par enfant la majoration de la durée de cotisations pour les mères travaillant dans la fonction publique au lieu de 8 dans le secteur privé. Il n’est pas nécessaire de passer à un système par point pour corriger ces injustices.
Le rapport compare le régime envisagé avec les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR), qui anticipent une stabilisation, voire une légère baisse, de la part des dépenses de retraites dans le PIB (de 13,8% en 2018 en 2050 à 13,4% dans la variante à 1,3% de croissance annuelle de la productivité du travail), cela malgré une hausse de 26,5% du ratio « nombre de retraités sur nombre d’actifs ». Cette stabilisation serait obtenue grâce à une forte baisse du niveau relatif des retraites, le ratio pension moyenne/salaire moyen devant passer de 64,4% à 50,9% (-21%). Le rapport Delevoye se donnant le même objectif (ne pas augmenter la part des retraites dans le PIB), il doit obligatoirement aboutir au même résultat : faire baisser fortement le niveau relatif des retraites.
En sens inverse, la réforme réaffirme le principe de la retraite publique par répartition. Le champ laissé à la capitalisation existe, mais est relativement limité : les salaires au-dessus de 120 000 euros par an, les revenus des indépendants au-dessus de 40 000 euros. En revanche, le système proposé incite au développement de la capitalisation puisqu’il ne garantit pas un niveau minimum satisfaisant pour le taux de remplacement, ce qui ne réduit pas l’incertitude pour les salariés sur le niveau de la retraite et peut les amener, soit à privilégier l’épargne individuelle, soit à réclamer, dans les plus grandes entreprises, le renforcement des dispositifs de retraite supplémentaire.
Le rapport Delevoye annonce que « les employeurs et les salariés qui le souhaitent pourront compléter le niveau de retraite par la mise en place de dispositifs collectifs d’épargne retraite ». Il serait contraire au principe d’équité que ces dispositifs, réservés en fait aux seuls salariés bien payés des grandes entreprises du secteur privé, bénéficient d’avantages fiscaux.
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