Le rendez-vous est donné dans un squat écolo de l’est parisien. À l’étage, dans une pièce sombre, sur des chaises et canapés de deuxième ou troisième main, les 22 participants prennent place. Ils sont là pour apprendre à ne pas toujours respecter les lois, dans les règles de l’art, sans violence.
En face d’eux, trois formateurs, qui ont l’âge moyen de leurs « élèves », vont leur donner les rudiments de la désobéissance civile. Ils sont militants d’Extinction Rebellion (XR), mouvement qui a moins d’un an d’existence dans le monde mais qui grandit aussi vite que la planète se meurt.
XR débordé par le nombre de militants intéressés par ce mode d’action
À tour de rôle, ils se présentent ; certains utilisent leur pseudo du forum, d’autres leurs vrais prénoms. La plupart n’ont jamais milité. Tous veulent désormais « passer à l’action, arrêter de regarder les bras croisés sans rien faire ».
Le dogme d’Extinction Rebellion est la non-violence, « d’abord parce que ça marche », explique Artus, un des trois formateurs. « C’est notre stratégie. On peut aller vers le rapport de force, mais toujours sans violence ».
C’est cette marque de fabrique non violente qui a fait connaitre XR au plus grand nombre. Le 28 juin dernier, alors que des militants ont entrepris de bloquer à la circulation le pont Sully à Paris, en pleine canicule, ils sont délogés avec force et dans un déluge de gaz lacrymogènes. Aucun des manifestant n’a réagi à cette riposte policière.
La vidéo fait grand bruit. XR s’est fait un nom en France. Dans la foulée, la mouvement enregistre un millier d’adhérents supplémentaires. En décembre dernier, le forum comptait plus d’un millier de militants. Aujourd’hui, ils sont environ 7 500.
Ne pas confondre dégradations et violences
Le stage de désobéissance civile prend ensuite une tournure plus concrète sur la volonté de chacun de passer à l’action. Un débat mouvant est organisé. En résumé : les participants se déplacent entre quatre points cardinaux : Violent / Pas violent / Je ferai / Je ne ferai pas.
Parmi les cas de figure proposés : que faire si l’action est de coller des autocollants sur une vitrine d’agence bancaire ? S’il faut empêcher des salariés d’aller au travail… ?
À eux de se déplacer en fonction des types d’actions qui leur sont soumis. La méthode peut paraître au début étonnante, mais elle permet de libérer la parole : qu’est-ce que la violence réelle ? La violence contre les personnes morales existe-t-elle ? Comment ne pas franchir le cap entre dégradations et violences ?
Très vite, la question de fond de XR est posée : quelle différence entre légalité et légitimité ? Et sa variante : ce qui est légitime est-il toujours légal ?
Nauli, militante qui a rejoint XR il y a un mois, explique qu’il « y a une forme de violence quand on sort de la loi. Chacun doit composer avec ça. »
Il faut s’affranchir des règles qu’on a en tête.
À 26 ans, elle envisage son engagement progressif, mais est déjà certaine d’avoir trouvé un mode d’expression qui lui convient.
J’ai pensé longtemps que le vote était le meilleur moyen d’expression citoyenne, j’ai compris que non. Je ne vote plus. Je suis en colère contre les politiques. Ici, je suis persuadée que la désobéissance civile va me permettre de m’exprimer comme je l’entends.
Désobéir mais jusqu’où ?
L’urgence climatique pousse ces primo militants à repenser leur place dans la société. Ce réveil citoyen veut contraindre les politiques, les entreprises, à prendre toutes les dispositions nécessaires pour sauver la planète. « Le but est de recruter de plus en plus de monde, pour prendre nos actions de plus en plus acceptables. Et au final aller plus loin » affirme Paul, l’un des formateurs de cette journée d’apprentissage.
Mais aller jusqu’où ? « Certains seront probablement un jour arrêtés, en garde à vue », affirme Mathilde, une autre formatrice en charge des questions juridiques. « Il y a une notion de sacrifice chez certains, pas dans le sens martyr. Mais dans le sens où _même si ça ne marche pas, on aura au moins essayé de faire quelque chose_« .
La riposte policière en question
Le blocage du pont Sully en juin dernier est encore un souvenir vif pour les militants XR, nouveaux comme anciens. L’image de policiers, bombes lacrymogènes en main, face à des manifestants stoïques, assis, immobiles et subissant les vagues de gaz, a suscité une émotion collective. « La preuve que la non-violence marque les esprits » insiste Artus.
N’empêche que l’ampleur de la réponse policière inquiète beaucoup les participants. Pierre, comédien de 24 ans, est bien placé pour en parler. Il a porté un gilet jaune l’hiver passé, avant de rejoindre XR. Pour lui « la réplique policière n’est pas un frein. Il y a de la peur mais elle n’est pas bloquante. _Ici on apprend à ne surtout pas répondre à la violence. On doit canaliser. Par exemple, on ne parle pas d’ennemi en face de nous, mais d’adversaire_, on nous apprend à leur parler, à échanger, à contourner la violence. Je n’avais jamais entendu ça, c’est très important », conclut le tout frais militant de XR. Il a rejoint le mouvement le mois dernier.
Un mouvement de blocage mondial en préparation
« Extinction Rebellion » accélère ces journées de formations à la désobéissance civile pour préparer le temps fort du mouvement. La semaine du 7 octobre sera celle de la R.I.O pour Rébellion Internationale d’Octobre.
En d’autres termes, des blocages sont attendus dans des grandes villes du monde entier : New York, Los Angeles, New Delhi, Londres et Paris.
Des militants de toute la France se réuniront à Paris pour des blocages de lieux et endroits symboliques, toujours dans l’idée de presser le gouvernement à agir contre le dérèglement climatique. Mais il y aura aussi des actions plus petites, initiées par quelques dizaines de personnes, venues des groupes locaux qui mèneront leurs propres actions. C’est la structure horizontale d’Extinction Rebellion qui veut ça, si bien que même les personnes les plus investies ne sauront pas exactement ce qui va passer au cours de cette semaine de mobilisation.
L’objectif est de préparer les actions au mieux, avant ce rendez-vous car la non-violence, même si elle semble passive, en réalité se prépare.
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