L’élevage français est en danger

L’Humanité, 20 août 2019

Alors que les coûts de production sont en train d’augmenter sensiblement et durablement, le prix des bovins de boucherie est orienté à la baisse dix mois après le vote de la loi EGALIM à travers laquelle le président Macron promettait aux éleveurs qu’il serait possible de construire les prix  en tenant compte des coûts de production. Comme si cela ne suffisait pas, les accords de libre échange  avec le Canada et les pays du Mercosur sont de nature à accroître les difficultés  des éleveurs français.

Les déversements de paille et de fumier devant les permanences  de plusieurs députés du groupe La République En Marche (LaREM) ont marqué le milieu de l’été. Ces députés ont approuvé par leur vote l’accord de libre échange  conclu avec le  Canada. Ils l’ont fait au moment ou la Commission européenne, en toute fin de mandat, venait de conclure un autre accord de libre échange, cette fois avec les quatre pays de Mercosur que sont l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. Tous ces pays veulent augmenter leurs exportations de produits agricoles en  Europe à la faveur de  la baisse, voire de la suppression, des droits de douanes sur les viandes bovines, porcines et de volailles, ainsi que sur les céréales,  le sucre de canne et l’éthanol.

Des prairies transformées en paillassons

Mis en cause par l’action des paysans, des députés du groupe LaREM ont tenté de minimiser les conséquences du seul accord  avec le Canada, en oubliant le contexte dans lequel ils l’ont majoritairement  approuvé. Or, cette approbation est intervenue au moment où plusieurs facteurs aggravants sont en train de fragiliser l’élevage  en France. Le premier de ces facteurs est la sécheresse  qui a transformé les prairies en paillassons  dans la plupart de nos régions d’élevage. Il en résulte  une augmentation du prix de revient de chaque kilo de viande bovine et ovine, comme d’ailleurs de chaque litre de lait  de vache, de brebis et de chèvre. Car il faut entamer dès l’été et l’automne les réserves de fourrages prévues pour l’hiver et augmenter les achats de nourriture du bétail durant les mois à venir faute de pouvoir  en produire assez sur sa ferme.

Un veau laitier vendu 100€ contre 180€ en 2018

Parallèlement, la consommation de viande à tendance à diminuer au fil des ans tandis que l’offre risque d’augmenter dans les prochains mois. En effet, certains éleveurs diminueront la taille de leur troupeau afin de réduire les achats d’aliments. Cette « décapitalisation » risque  de prendre de l’ampleur dans les prochaines semaines alors que les cours sont déjà trop bas. En ce mois d’août,  à Bourg-en-Bresse,  le kilo de vache de réforme de race mixte cote  3% de moins que l’en dernier à pareille époque. A Châteaumeillant, le broutard charolais de dix mois vendu à l’exportation pour l’engraissement cote 7% de moins que l’an dernier à la même date. Du côté des veaux mâles laitiers de race Prim’ Holstein destinés à l’engraissement, le prix moyen d’un animal de 50 à 60 kilos est actuellement de 100€ au lieu de 150€ en juin 2019 et 180€ en juillet 2018.

Dans leur dernier bulletin  d’information, « Les entreprises  française de la viande » indiquent ceci :  « A l’aval, malgré les bonnes intentions affichées pendant les Etats Généraux de l’Alimentation, le prix semble  plus que jamais rester la seule variable d’arbitrage  des acheteurs (…). A  l’export, vu le niveau très bas des cours mondiaux, il est illusoire  de vouloir  rivaliser avec les marchés préemptés par les pays  à l’activité exportatrice industrialisée (…) Sur le marché intérieur, la compétition est tout  aussi intense. Approvisionner  et satisfaire notre propre marché   est devenu un défi à relever chaque jour. Car  dans l’assiette des Français, la viande  est de plus en plus allemande, espagnole, polonaise,  irlandaise ect. Les distorsions de concurrence  pénalisent les entreprises françaises  engagées dans la meilleure réponse aux attentes  sociétales (sécurité sanitaire, qualité, traçabilité, proximité, bien-être animal), alors même que les Français optent massivement  pour le meilleur prix sans ergoter ».

La situation particulière de la France

Pour saisir  le bien fondé de cet argumentaire, il faut connaître la situation particulière de l’élevage bovin en France. Notre pays nourrit d’un côté 3,7 millions de vaches laitières  et de l’autre près de 4 millions de vaches de races à viande, comme la charolaise et la limousine. La viande de ces dernières est de meilleure qualité que celle des laitières. Mais  la viande   des laitières de réforme coûte moins cher  et alimente aussi bien les rayons des grandes surfaces que la restauration collective, fut-ce en faisant croître les importations dans le but de faire baisser les cours.

Telles est la réalité du marché européen de la viande   aggravée par la mondialisation des échanges  près de deux ans  après le discours du président Macron à Rungis  le 11 octobre 2017. Ce jour-là il avait posé la question suivante : « Quels sont aujourd’hui nos défis ? Nous avons les défis du prix qui touchent tous les acteurs de la chaîne (…) Celui de la souveraineté alimentaire  qui est un objectif que nous devons poursuivre  à l’échelle du pays, mais plus largement  de l’Europe. Celui aussi de la santé de nos concitoyens ». Dans ce même discours, Emmanuel Macron faisait cette promesse aux paysans : « Nous modifierons la loi pour  inverser cette construction du prix qui doit pouvoir partir qui doit pouvoir partir des coût de production».

Du fait des conséquences durables des sécheresses de 2018 et de 2019,  les coûts de production de la viande et du lait des herbivores  sont en hausse sensible  et durable. Mais les prix de marché ne suivent pas cette hausse des coûts. Ils sont en baisse concernant la viande. Dit autrement, la loi EGALIM voté définitivement  par la majorité parlementaire le 2 octobre  2018 n’a pas été conçue  pour tenir compte des coûts de production concernant la formation des prix. Il n’est donc pas étonnant  que le monde paysan demande des comptes aux députés du groupe LaREM.

Gérard Le Puill

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