- MEDIAPART
- 17 AOÛT 2019
- PAR PIERRE SASSIER
- BLOG : LE BLOG DE PIERRE SASSIER
« Si on continue comme ça, une partie de notre civilisation risque de s’effondrer« . En prononçant ces paroles au cours d’un entretien sur France Inter, vous faites encore preuve d’optimisme en disant « une partie ». Car les prévisions du GIEC, selon les termes de son dernier rapport, se font du plus en plus apocalyptiques : celui-ci dépasse la seule question du climat pour dénoncer également la surexploitation des sols et des forêts qui compromet non seulement la lutte contre le réchauffement climatique, mais aussi nos conditions de vie.Comme pour illustrer le propos, nous avons appris il y a quelques jours que le jour du dépassement était évalué cette année au 29 juillet, contre le premier août l’année dernière et le 25 septembre il y a dix ans. Cela signifie que la terre s’approche dangereusement de la désertification !
Ce constat alarmant est accompagné de très mauvais signaux de la part des politiques : d’abord la ratification du CETA par la chambre des députés le jour même où la jeune Greta Thumberg était reçue à l’assemblée, sur invitation d’un groupe de 162 députés de toute tendance, alors que les experts considèrent cet accord comme climaticide.
Voici, reproduite in extenso, la belle déclaration d’intention de ces élus qui : «Nous, député(e)s élu(e)s de sensibilités politiques variées, mais réunis par la conviction que la transition écologique et solidaire ne peut plus attendre, avons décidé d’unir nos forces pour que soient portées et votées des avancées nouvelles à la hauteur des enjeux. Nous serons guidés par la prise en considération de la transition dans l’ensemble des politiques publiques menées. Une seule boussole : l’intérêt général présent et futur.» Après avoir reçu Greta dont le discours tient essentiellement en une phrase : « écoutez les scientifiques », 79 d’entre eux ont montré qu’ils n’y avaient rien compris en votant pour un traité commercial (CETA) jugé néfaste pour l’environnement par les expertsmandatés par le Gouvernement. Sans surprise, ces votes en faveur du CETA, venaient majoritairement des godillots du parti présidentiel qui, guidés par la peur de déplaire au Président et instrumentalisés par les lobbies, ont obéi le petit doigt sur la couture du pantalon. 35 de ces 162 députés se sont abstenus et 11 n’ont pas jugé le sujet assez important pour honorer l’Assemblée Nationale de leur présence. Il aurait suffi que la moitié d’entre eux aillent jusqu’au bout de leur démarche pour que le CETA ne soit pas adopté. On peut bien, avec la France Insoumise, parler d’une incohérence qui domine ce vote.
Revenons maintenant au deuxième signal négatif envoyé par la politique : il s’agit, cette fois-ci, de la convention citoyenne dont vous vous apprêtez à être le garant. On peut pressentir en réalité un enfumage XXL à l’égal de celui du soi-disant « grand » débat : il s’agit de réunir 150 citoyens représentatifs de tous les âges et de tous les milieux sociaux pour les faire plancher sur la transition énergétique. Vous parlez d’un évènement qui a valeur de sondage mais, d’un point de vue statistique, il est permis de penser qu’un échantillonnage aussi restreint retire à l’opération toute signification.
Interviewé à ce sujet sur France Inter (lien en début de l’article), vous commencez par un état des lieux inspiré du dernier rapport du GIEC : Avec 50 ans d’avance, René Dumont a titré un de ses livres « nous allons vers la famine » et nous y arrivons : la trajectoire actuelle du réchauffement climatique, malgré l’accord de Paris que tous les pays transgressent, est de +5° d’ici la fin du siècle, ce qui signifie, selon vos propres dires, que bon nombre de pays deviendraient inhabitables et que seulement un milliard d’hommes pourront vivre sur notre planète. Par l’impact qu’il a sur les terres arables et sur les forêts, le réchauffement climatique menace la sécurité alimentaire mondiale. Cette insécurité concerne aussi l’eau, car « un quart de la population mondiale sera en situation extrême de manque d’eau dans les années qui viennent« .
Vous déclarez à juste titre le modèle économique actuel incompatible avec les mesures qu’il faudrait prendre pour arriver seulement à atteindre les objectifs de l’accord de Paris, mais vous ne semblez pas réellement croire que Macron soit prêt à ne faire ne serait-ce que l’amorce d’un changement. Alors la question vous est posée au cours de l’entretien : pourquoi apportez-vous votre caution morale à ce qui n’est rien d’autre qu’une opération de Green Washing des pouvoirs publics ? On peut comprendre que la politique de la chaise vide ne soit pas pour vous une alternative satisfaisante, mais à jouer ce jeu, vous risquez de vous retrouver dans la situation de Nicolas Hulot, obligé de démissionner après une indigestion de couleuvres. Aussi votre participation ne peut être crédible que si vous la soumettez à certaines conditions :
Puisque vous vous déclarez contre EuropaCity, l’une d’entre elles serait la suspension des travaux de la gare du triangle de Gonesse au moins jusqu’à ce que le tribunal administratif ait statué sur le recours déposé par le CPTG contre le permis de construire de cette gare. Les arguments ne manquent pas en faveur de cette mesure : d’abord, la ligne 17 n’arrivant pas sur le triangle avant 2027, on peut se demander pourquoi tant de hâte si ce n’est une tentative de passage en force. De plus, le triangle de Gonesse ayant été rendu à sa destination de terres agricoles par le Tribunal Administratif de Pontoise, il est contraire à cette décision juridique de vouloir construire cette gare sur un terrain non constructible, même si, contre tout bon sens, le permis de construire de la gare court toujours. Mais on ne doit polariser sur EuropaCity qui n’est que la partie immergée de l’iceberg : si vous avez connaissance d’autres projets inutiles qui serait dans la même situation juridique, ils doivent faire l’objet de la même approche.
Une autre serait également un moratoire sur l’extension T4 d’ADP, qui, outre les nuisances accrues pour les riverains, doit intensifier un trafic aérien dont l’impact carbone n’est plus à démontrer. Toujours au sujet d’ADP, que le Gouvernement accepte de renoncer à cette opération de sabotage délibéré qui accompagne la collecte des signatures en faveur du référendum contre une privatisation qui ferait perdre à l’État le contrôle du trafic aérien.
Cela semble peu au regard de tout ce qu’il y a à faire. Mais cela est dans la logique des choses. Et si le Gouvernement repousse ces conditions, c’est aussi l’infime raison de croire à la sincérité de la démarche qui s’en va.
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