Politique sécuritaire : Christophe Castaner empêtré dans les polémiques sur les violences policières

2019-08-04  Europe solidaire

Le ministre de l’intérieur, qui, jusqu’à présent, s’est surtout attaché à défendre pied à pied les forces de l’ordre, doit prouver qu’il est aussi en mesure de les contrôler.

La critique a été soufflée du bout des lèvres, au terme d’une semaine marquée par la découverte du corps de Steve Maia Caniço au fond de la Loire, lundi 29 juillet. « Il y a un questionnement sur l’utilisation des lacrymogènes (…) sur l’opportunité d’avoir déclenché l’usage des lacrymogènes », a lâché Christophe Castaner, vendredi 2 août, à la veille de rassemblements en hommage au jeune homme de 24 ans et de manifestations contre les violences policières.

C’est la première fois que le ministre de l’intérieur émet publiquement des réserves sur les modalités de l’intervention des forces de police pour mettre fin à une soirée sound system, dans la nuit du 21 au 22 juin, sur le quai Wilson à Nantes, au cours de laquelle Steve Maia Caniço a disparu dans des circonstances encore inconnues à ce jour.

Le locataire de Beauvau ne fait que reprendre à son compte les critiques formulées à bas bruit dans le rapport de l’IGPN publié mardi 30 juillet, mettant en cause la stratégie décidée par le commissaire présent lors de l’opération – son obstination à faire cesser à tout prix la musique avait été génératrice de tensions, écrivent les enquêteurs.

Mais alors que le premier ministre Edouard Philippe s’était servi du même document, mardi, pour écarter tout lien entre l’action des forces de l’ordre et la mort du jeune homme, la variation de ton demeure notable.

Utilisation politique d’un rapport de l’IGPN

Christophe Castaner vient de traverser la semaine la plus compliquée depuis son arrivée au ministère de l’intérieur. Et c’est une gageure d’écrire cela tant les épisodes houleux se sont multipliés au cours de cette année marquée par les « gilets jaunes ».

L’annonce – autant pressentie que redoutée – de l’authentification de la dépouille de Steve Maia Caniço a cependant fait basculer cette affaire nantaise dans une autre dimension, de celle qui transforme les maroquins en strapontins.

M. Castaner sait que les explications données mardi par Edouard Philippe ne sauraient être suffisantes. L’utilisation politique d’un rapport de l’IGPN pour disculper les forces de l’ordre de tout soupçon, à peine quelques heures après la confirmation officielle de la mort du jeune homme, n’est pas une réponse satisfaisante. Et pas seulement pour les proches de Steve, qui se sont émus par le biais de leur avocate de l’absence de délai de décence.

Ce document, sur lequel repose la communication gouvernementale, n’est qu’une enquête administrative prédisciplinaire, pour laquelle aucune des personnes présentes ce soir-là, hormis les policiers et les agents de la protection civile, n’a été entendue. Conclure publiquement à l’absence de responsabilité des forces de l’ordre sans avoir auditionné les personnes qui sont tombées à l’eau au moment de l’intervention, voilà qui jette une ombre sur la volonté d’impartialité affichée des autorités dans cette affaire.

Un crédit entamé

La question sous-jacente est celle de la confiance et Christophe Castaner doit batailler, de ce point de vue, sur trois fronts : politique, policier et populaire.

Côté gouvernemental, il semble pour le moment bénéficier de celle du couple exécutif, malgré les appels à la démission de l’opposition qui ont redoublé dans la semaine, après que le ministre de l’intérieur a qualifié le saccage d’une permanence parlementaire La République en marche d’« attentat ».

Il s’appuie sur son statut de proche d’Emmanuel Macron, même si, dans l’entourage du chef de l’Etat, certains laissent entendre que la relation s’est distendue. L’épisode de la Pitié-Salpêtrière – il avait assuré que des casseurs s’en étaient pris à l’hôpital parisien, avant de faire machine arrière – et celui de l’escapade filmée en boîte de nuit au soir d’une mobilisation des « gilets jaunes » ont entamé son crédit.

Edouard Philippe compose pour le moment avec cette donne. Le premier ministre a pris en main la gestion de l’affaire de Nantes lors d’une conférence de presse au langage double, destinée aussi bien à soutenir son ministre qu’à le reléguer au second plan.

Une vision très musclée du maintien de l’ordre

Dans les rangs de la police nationale, M. Castaner conserve un certain crédit. Avec son soutien sans faille au plus fort des critiques sur l’usage de l’armement intermédiaire – lanceurs de balles de défense (LBD), grenades de désencerclement, gaz lacrymogènes –, il s’est acheté quelques mois de tranquillité. L’attelage avec le secrétaire d’Etat Laurent Nunez est fonctionnel, à ceci près que ce dernier jouit parfois auprès de la troupe d’une cote plus élevée que celle de son chef, ce qui est rarement gage de durabilité.

Côté syndical, on ne voit pour le moment aucune urgence à changer un ministre qui défend les policiers et qui, surtout, a cédé sur les revendications salariales lors d’une négociation éclair en décembre 2018. Avec cinq ministres en cinq ans, les forces de l’ordre ont cessé de croire aux vertus des remaniements.

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Reste le plus important, la confiance des citoyens. En la matière, Christophe Castaner part avec un capital déjà bien entamé auprès d’une partie de la population. Son déni des violences policières et sa vision très musclée du maintien de l’ordre, en réponse à la mobilisation des « gilets jaunes », elle-même empreinte de violence, ont été clivants dans l’opinion : certains approuvent estimant que force doit rester à la loi même si le coût est élevé, quand d’autres considèrent qu’un cap inédit a été franchi dans la brutalité de la part des autorités.

L’affaire de Nantes vient s’inscrire dans ce contexte de polémiques devenues quotidiennes sur l’usage de la force par les policiers. Fallait-il utiliser trente-trois grenades lacrymogènes, dix grenades de désencerclement et douze cartouches de LBD pour faire cesser une fête au bord de l’eau ?

L’enquête se chargera de répondre à cette question, mais elle s’annonce longue et compliquée, tant sur le plan administratif que judiciaire. En attendant, Christophe Castaner, qui jusqu’à présent s’est surtout attaché à défendre pied à pied l’institution policière, doit prouver qu’il est également en mesure de la contrôler.

Nicolas Chapuis

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