DÉCRYPTAGE
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L’hécatombe pourrait être encore plus forte que prévu. Et les femmes risquent d’en être les premières victimes. Selon une note de l’Unédic, dévoilée dans la presse début juillet, la réforme de l’assurance chômage présentée mi-juin par le gouvernement pourrait entraîner une baisse des allocations pour 1,2 million de personnes et un retard, voire une suppression pure des droits, pour 500 000 chômeurs – des chiffres contestés par la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. En cause, le durcissement des conditions d’accès à l’assurance chômage et de renouvellement des droits annoncé par l’exécutif, ainsi que la refonte des règles de calcul de l’allocation. Pour être indemnisé, il faudra désormais avoir travaillé au moins six mois au cours des vingt-quatre derniers mois, contre quatre mois sur vingt-huit aujourd’hui. L’indemnisation, elle, sera calculée à partir du revenu moyen mensuel, et non pas en se basant sur les seuls jours travaillés, comme jusqu’alors. Un changement qui touchera prioritairement les travailleurs précaires – et notamment les travailleuses – en emploi discontinu.
Si la réforme est présentée par l’exécutif comme un outil de lutte contre la précarité et la multiplication des CDD, elle va, selon ses détracteurs, accroître au contraire la précarisation des moins nantis. «C’est une réforme inique tournée contre les précaires», pointe la CGT. Et notamment «contre les femmes». Parmi elles, «les femmes isolées ne pouvant cumuler des heures de travail équivalentes à un temps plein» feront partie des «grands perdants de cette réforme», abonde la Coordination des associations d’aide aux chômeurs par l’emploi (Coraace). Une double peine pour toutes celles qui sont déjà en première ligne de la précarité.
A première vue, à l’heure actuelle, la situation des femmes au chômage – qui représentent 51% des allocataires de Pôle Emploi – est comparable à celle des hommes. En 2018, le taux de chômage des femmes (9,1%) n’était ainsi que très légèrement supérieur à celui des hommes (9%), selon l’Insee. Mais l’écart se creuse lorsqu’on regarde plus en détail les conditions de chômage. Selon Pôle Emploi, 48,7% des demandeurs d’emploi inscrits fin 2018 en catégorie A, c’est-à-dire sans aucune activité, étaient des femmes. En revanche, elles étaient beaucoup plus nombreuses (56%) que les hommes à cumuler leur chômage avec une activité réduite, c’est-à-dire à être répertoriées dans les catégories B et C de Pôle Emploi… justement dans le viseur de la réforme du gouvernement.
S’ajoutent à cela d’autres caractéristiques «qui n’apparaissent pas toujours de manière évidente au simple examen des statistiques du nombre de demandeurs d’emploi», estime un rapport parlementaire sur la «séniorité des femmes», présenté en juin 2019 par les députées Marie-Noëlle Battistel (PS) et Sophie Panonacle (LREM). Et de pointer, notamment, le sous-emploi. «Les femmes, surreprésentées dans l’emploi à temps partiel, ont subi des réductions de la durée du travail et de la rémunération», notent les deux élues. Selon l’Insee, en 2018, près d’une femme sur trois travaillant était à temps partiel (29,3%), contre seulement 8,4% des hommes. «Or ce chômage à temps partiel n’apparaît pas dans les statistiques», poursuit le rapport. Les femmes sont aussi plus nombreuses à sortir des radars de Pôle Emploi sans avoir retrouvé du travail. Selon le même rapport, la part des abandons de recherche d’emploi au cours des dix-huit mois suivant l’inscription (sans reprise d’emploi), est 1,6 fois plus élevée pour les femmes (5% des inscrites en décembre 2014) que pour les hommes (3%).
«Cumul de petits boulots»
Quand elles travaillent, les femmes sont par ailleurs les premières concernées par les bas salaires : elles représentent 62,4% de l’ensemble des salariés payés au smic. Elles occupent aussi plus souvent que les hommes des emplois en CDD – 12,6% contre 8,4%, selon l’Insee, même si l’écart se réduit si l’on prend en compte l’intérim, où les hommes sont plus nombreux. «Les femmes sont majoritaires dans de nombreux secteurs marqués par le cumul de petits boulots, comme la garde d’enfants, le nettoyage, ou encore l’aide à domicile», pointe la sociologue Odile Merckling. Conséquence, en partie, de toutes ces différences, en moyenne, les femmes gagnent 9% de moins que les hommes à travail égal. Ce pourcentage monte à 27% tous postes confondus. Une inégalité qui pèse, de fait, sur le niveau des indemnités chômage auxquelles elles peuvent prétendre : en moyenne, les allocations des femmes sont près de 20% plus faibles que celles des hommes. Là où ces derniers perçoivent en moyenne 1314 euros brut mensuels, les femmes doivent se contenter de 1 068 euros. L’écart passe même à 31% pour les 60 ans et plus. Et ces montants devraient encore baisser avec la réforme.
Seule bonne nouvelle, saluée par les syndicats : le gouvernement a renoncé à modifier les règles d’indemnisation des assistantes maternelles. Mais, dans l’ensemble, l’évolution est «inquiétante» pour la sénatrice PS et ancienne ministre des familles et des droits des femmes, Laurence Rossignol, qui alerte sur les «conséquences sur les revenus des femmes» de la réforme. Et d’ajouter : «Depuis deux ans, le gouvernement nous raconte qu’il fait des femmes une grande cause nationale. […] L’analyse de la réforme du chômage […] sur la condition sociale des femmes risque d’être assez redoutable.»
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