Manifestation vers la Préfecture des habitants en colère après l’incendie de l’Usine Lubrizol

Lubrizol : près de 4 000 personnes crient leur inquiétude et leur colère à Rouen

Plusieurs milliers de personnes ont manifesté calmement mardi 1er octobre 2019 à partir de 18 h dans les rues de Rouen, six jours après l’incendie qui a ravagé une partie de l’usine Lubrizol. Parfois venus en famille, les manifestants exigent la transparence totale.
Thomas DUBOIS

PUBLIÉ LE 01/10/2019

Cette fois-ci, pas besoin d’attendre le résultat des analyses. La préfecture a pu mesurer immédiatement, mardi, le niveau aigu d’impatience, d’inquiétude – voire de colère – de la population de l’agglomération rouennaise (et d’ailleurs). Ils étaient des milliers réunis en fin de journée devant le palais de justice de Rouen, pour exiger toute la transparence sur la catastrophe Lubrizol. Des militants syndicaux, des associations, quelques visages connus – Yannick JadotRaphaël GlucksmannOlivier FaureÉric Coquerel, entre autres –, mais aussi de simples citoyens, des familles… Des profils rarement croisés dans les manifestations traditionnelles.

À l’heure où le préfet communiquait sur la liste tant attendue des substances ayant brûlé dans l’incendie de jeudi, entre 3 000 et 5 000 personnes – selon les sources – ont donc calmement convergé vers la préfecture, suite à l’appel lancé par les syndicats et associations environnementales. Parmi elles, Gilbert, venu de Mesnil-Esnard (à l’est de Rouen) avec son brin de lavande noirci et rabougri, témoin de son jardin ravagé. Tomates, poireaux, plantes… « Tout est pratiquement mort », lâche le retraité, avant de rire jaune : « La solution, maintenant, c’est de faire comme le bio, rester cent ans sans cultiver la terre. »

« Dégueulasse ! »

Parmi la multitude de banderoles déployées, flottait celle du syndicat apicole de Haute-Normandie, association qui regroupe essentiellement des producteurs amateurs. « Les ruches de certains collègues se sont retrouvées sous le nuage de fumée, avec des retombées de suie grasse », explique le vice-président du syndicat, Jean-Marie Ledoux, venu manifester en tenue d’apiculteur. S’il est encore trop tôt pour mesurer un éventuel pic de mortalité chez les abeilles suite au nuage Lubrizol, « nous serons fixés dans les prochains jours, assure-t-il. Ce qui nous touche tout de suite, c’est que les abeilles sont en train de récolter du nectar sur les jachères, entre autres, et sur les lierres. Nectar qu’elles vont transformer en miel pour servir de nourriture l’hiver. Donc, si ces provisions sont polluées, on ne sait pas trop ce que ça va donner par la suite. »

« L’écologie toujours sur le dos des mêmes, on n’en peut plus, à la campagne », s’exclame Gilles, débarqué de Saint-Saëns. Une commune qui, affirme-t-il, n’a pas été épargnée non plus. Celui qui revendique son étiquette de « Gilet jaune rural » établit sans problème le face-à-face entre « la pression qu’on nous fout tous les jours » et l’impunité supposée dont profiterait Lubrizol.

« Quand on condamne un industriel à seulement 4 000  [somme dont a écopé Lubrizol pour l’affaire du mercaptan en 2013, NDLR], on lui dit qu’au fond, ce n’est pas très grave de tuer, de polluer. Pour les victimes et tous les gens que l’on accompagne, c’est dégueulasse ! » C’est un Gérald Le Corre en pleurs qui prononce ces mots. Une bonne heure avant le début de la manifestation, le référent santé au travail pour la CGT de la Seine-Maritime, devenu l’un des principaux porte-voix de la colère (là où, curieusement, les syndicats du site Lubrizol restent étonnamment muets), donnait rendez-vous aux médias pour délivrer un long réquisitoire. À l’égard de Lubrizol, quel que soit le niveau de responsabilité établie dans l’incendie – « bien sûr que ça a son importance sur le plan pénal, mais cela n’exonère pas l’entreprise de ses responsabilités » , tout comme à l’égard des derniers gouvernements successifs qui ont « laissé les industriels jouer avec la vie des travailleurs et de la population ».

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« Une sacrée leçon »

Au beau milieu de l’indignation unanime, le syndicat n’en évoque pas moins le sujet qui fâchera potentiellement les alliés écologistes d’aujourd’hui : l’avenir du site industriel. « La CGT se battra pour le maintien des emplois », lance Gérald Le Corre. Sous-entendu : pas question de sacrifier des centaines de salariés sur l’autel de l’émotion collective. Réponse de Yannick Jadot quelques minutes plus tard, le député européen Europe-Ecologie-Les Verts venu serrer la main des leaders CGT : et pourquoi pas déplacer l’usine en y maintenant ses effectifs ?

Mais pour l’instant, il s’agit de tomber à bras raccourcis sur le gouvernement. « On voit à quel point on ne sait pas gérer un accident industriel. C’est une sacrée leçon », se désole Jadot, qui découvrait mardi à Rouen le parfum dont profitent des centaines de milliers d’habitants depuis six jours. « Six jours pendant lesquels on a caché des informations, accuse l’eurodéputé écologiste. Celui qui cultive le climat de peur, c’est bien le gouvernement. Ce que veulent les habitants, c’est être considérés en adultes. »

Pas sûr que les données ésotériques dévoilées mardi soir par les services de l’État suffisent à apaiser la méfiance qui s’est installée dans la population, dont une partie réclame la nomination d’un expert indépendant. Le nombre de plaintes déposées devrait quant à lui augmenter dans les jours à venir. Outre la quarantaine d’ores et déjà répertoriée, « nous constituons actuellement une trentaine de dossiers », confie Nicolas Capron, avocat rouennais croisé dans la manifestation et lui-même plaignant. Mais, prévient-il, l’impatience manifestée dans les rues de Rouen mardi devra s’accommoder du temps judiciaire. « On est parti pour des mois, et même des années. »

Thomas Dubois

Journaliste, service reportage Rouen


Brut était en direct. Le 01/10/2019

4 h

#DIRECT – #Rouen : Manifestation vers la Préfecture des habitants en colère après l’incendie de l’Usine Lubrizol.

Rémy Buisine en direct.

https://www.facebook.com/brutofficiel/videos/863312827385997/

 

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