La mesure phare de l’hiver 2018 figure toujours dans la liste des revendications… Mais elle ne semble plus au coeur des préoccupations de nombreux manifestants.
Ce sont trois petites lettres qui ont fait débattre la France. À l’hiver 2018, le référendum d’initiative citoyenne (RIC) fait son entrée dans le glossaire politique hexagonal. Derrière cet acronyme, la possibilité, pour les membres du corps électoral, de déclencher un référendum sur l’adoption ou la suppression d’une loi, le départ d’un responsable politique durant son mandat ou une révision constitutionnelle.
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Bien qu’existant dans 36 pays, le RIC est considéré en France comme une vieille revendication des militants de la « démocratie réelle », dont personne ne parle vraiment. Comprenant qu’ils ont une carte à jouer, ses partisans diffusent leur message dans les groupes Facebook de gilets jaunes. Grâce à ce lobbying, et aux interventions du controversé professeur d’éco-gestion Étienne Chouard, défenseur de la mesure depuis le milieu des années 2000, le RIC s’offre une popularité inédite au sein du mouvement. Jusqu’à devenir, en quelques semaines, la revendication phare des gilets jaunes – celle qui doit permettre d’obtenir toutes les autres.
Preuve de son succès, elle fait sortir de ses gonds le Premier ministre, Édouard Philippe – « le RIC, ça me hérisse », lâche-t-il en janvier – avant de finalement susciter une réponse d’Emmanuel Macron, qui assouplit en mai les conditions du référendum d’initiative populaire (RIP), un processus similaire mais différent à plusieurs égards du RIC. Sans convaincre les manifestants.
« Une refonte totale du système politique »
À la veille de l’acte 53, le RIC semble au premier abord toujours aussi populaire parmi les gilets jaunes. Bien qu’elle ne soit pas à l’ordre du jour, la mesure était partagée à l’unanimité par les manifestants présents lors de la dernière Assemblée des assemblées à Montpellier début novembre. Elle tient aussi la première place dans la liste des revendications des gilets jaunes issues du « Vrai débat » (consultation concurrente du « grand débat »), que quatre figures ont proposé de porter en main propre à Emmanuel Macron.
Dans un live Facebook réalisé début novembre, le populaire Maxime Nicolle, alias « Fly Rider », le présentait lui aussi comme l’une des principales demandes des gilets jaunes, tout en insistant sur la nécessité de mettre « fin à la corruption » et que l’ensemble de la population puisse « bien vivre ».
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Le RIC a sa place « dans le cadre d’une refonte totale du système politique vers une démocratie plus participative et moins représentative », confirme aussi à L’Express Jérôme Rodrigues, autre figure du mouvement, qui estime néanmoins que la mesure « doit être étudiée et bien travaillée » pour que « la peine de mort ou l’avortement ne soient pas remis en question » – hypothèses qui avaient alimenté les critiques à l’hiver dernier.
Des initiatives locales
Passionnés par l’idée, certains sont même allés jusqu’à organiser des scrutins en faveur de sa promotion, voire à l’utiliser directement. L’association Article 3, créée en 2013 pour défendre la mesure, a séduit plusieurs gilets jaunes qui ont fondé des antennes locales cette année. S’inspirant de l’exemple du village de Saint-Clair-du-Rhône – où un scrutin sur le principe même du RIC a été organisé en janvier dernier -, une poignée de ces antennes ont aussi soumis la mesure au vote en posant cette question : « Êtes-vous favorable au RIC en toutes matières ? ». Le « oui » fut à chaque fois écrasant, mais avec un nombre de participants relativement réduit.
Fin octobre, les habitants d’un quartier de Grenoble se sont également inspirés des gilets jaunes pour organiser un référendum d’initiative citoyenne afin de tenter d’empêcher la démolition partielle d’un grand ensemble. Le scrutin s’est tenu du 14 au 20 octobre avec le soutien des gilets jaunes et de l’association Droit au logement Isère (DAL 38). Résultat : un taux de participation (23%) comparable à celui des élections européennes dans le quartier (22%), et un vote à 70% contre les démolitions. Sans grand effet néanmoins, puisque « sur ce projet, les choses sont signées et enclenchées », a balayé Maryvonne Boileau, conseillère municipale (EELV).
Si l’intérêt pour le RIC n’est pas retombé, c’est parce que les concessions économiques faites par le gouvernement n’ont pas étanché de la soif de participation des gilets jaunes. Pour déboucher sur un RIP, une pétition doit en effet être lancée par un cinquième des parlementaires (185 sur 925) puis recueillir le soutien de 10% du corps électoral (4,7 millions de signatures), et ne pas être examinée par les deux assemblées sous six mois.
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En résumé, « tout est fait pour que ça ne soit pas fait », estime Jérôme Rodrigues, devenu l’un des symboles des violences policières après avoir été blessé à l’oeil lors de l’acte XI à Paris. Et d’ajouter : « Le RIC aujourd’hui, c’est comme le Père Noël, ça n’existe pas. » Le militant n’est pas près d’être détrompé. Après cinq mois de collecte, la pétition référendaire contre la privatisation des Aéroports de Paris, première du genre, patauge avec moins d’un million de signatures. Et ce, à quatre mois de la clôture du dossier.
Un recentrage sur les revendications économiques
Alors, où est passé le RIC ? Sur les pancartes comme dans les discussions, force est de constater que l’élan de l’hiver 2018 (y compris dans les médias) est quelque peu retombé. Dans les groupes Facebook liés au mouvement, le RIC ne fait plus autant débattre. Outre les messages consacrés aux violences policières, les revendications y apparaissent recentrées sur les enjeux économiques, comme au début des manifestations : réforme de l’assurance-chômage, hausse du prix du tabac, du gaz et du ticket de métro francilien…
Nombreux sont les gilets jaunes qui ont annoncé leur volonté de rejoindre la grève interprofessionnelle contre la réforme des retraites du 5 décembre pour une « convergence des luttes ». « On ne porte pas le même maillot mais on a le même objectif », juge Jérôme Rodrigues. Quitte à oublier le RIC, loin du combat contre la réforme des retraites lancé par la RATP ?
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« J’aurais voulu que le mouvement renverse le système et qu’une assemblée constituante puisse proposer le RIC aux Français, mais je pense que la population n’a pas encore assez le couteau sous la gorge pour déclencher une révolution », estime Luc*, l’un des organisateurs d’un scrutin sur le RIC à Toulouse. « Tout le monde gueule ‘le RIC’, mais moi je dis ‘le frigo d’abord' », abonde Jérôme Rodrigues. Et de conclure : « Tant que les gens auront la peur de ne pas finir leur mois, on ne pourra pas leur enseigner une nouvelle façon de faire, les intéresser à des sujets plus constructifs, car ils n’auront pas la tête à ça. » LIRE NOTRE DOSSIER COMPLET
* L’interlocuteur n’a pas souhaité que son nom de famille apparaisse pour protéger son anonymat
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