Sophie Binet (CGT) : « Cette réforme des retraites est l’inverse d’une réforme féministe »

[ad_1] Regards 2019-12-13

Sophie Binet est dirigeante confédérale de la CGT en charge de l’égalité femmes/hommes.

Regards. Lundi 16 décembre se tiendra à la Maison des métallos un meeting sur la réforme des retraites et son impact sur les droits des femmes. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Sophie Binet. C’est un meeting à l’initiative des signataires de la tribune parue dans Le Monde le 29 novembre où les féministes – qu’elles soient syndicalistes, du milieu associatif, personnalités politiques – vont décrypter et analyser les conséquences de la réforme des retraites pour les femmes et débattre de la mobilisation des femmes.

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Sur Twitter, Clémentine Autain appelle à « refuser une contre-réforme des retraites dont les premières victimes seront les femmes ». En quoi cette réforme va pénaliser plus durement les femmes ?

Sur trois points principaux : premièrement, le gouvernement fait reculer les mécanismes qui, aujourd’hui, limitent les inégalités de pensions, c’est-à-dire les droits familiaux et les pensions de réversion. Il y a des mesures très concrètes qui vont exclure beaucoup de femmes de leurs bénéfices. Sur les pensions de réversion, c’est toutes les femmes entre 55 et 62-64 ans qui n’y auront plus accès. Sur les droits familiaux, le gouvernement supprime les majorations de durée d’assurance de deux ans à chaque enfant. Il supprime également la majoration de 10% pour les parents de plus de trois enfants et remplace cela par une majoration de 5% par enfant – 7% pour le troisième enfant. Mais quand on fait les comptes, on voit que la majorité des femmes y perdront, qu’elles aient un, deux ou trois enfants. Au total, cela fera 17% de majoration, à se partager en deux, soit 8,5% par parent, et non plus 10… Et comme, en plus, elles perdent la majoration de durée d’assurance. Deuxièmement, la prise en compte de toute la carrière pour le calcul des pensions fait que les périodes de temps partiel ou d’interruption de carrière se paieront cash – et ne pourront plus être neutralisées comme aujourd’hui où on ne tient compte que des six derniers mois ou des 25 meilleures années. Troisièmement, comme le dit clairement le gouvernement, il faudra travailler toujours plus longtemps. Or, allonger les périodes de travail, c’est pénaliser les femmes puisqu’elles ont structurellement des carrières plus courtes, du fait de la famille. Une réforme féministe, c’est tout l’inverse. Ce n’est pas allonger les durées de travail pour les hommes et pour les femmes. C’est prendre en compte le fait que les durées de carrière sont très différentes – en plus du fait que les femmes ont la double journée avec les tâches domestiques. L’horizon féministe, c’est d’allonger un peu le temps de travail des femmes en mettant fin au sous-emploi, au temps partiel, etc., et de réduire celui des hommes pour qu’ils s’occupent autant des enfants que les femmes. Une réforme féministe réduit les durées de travail sur la semaine et sur la vie entière.

« Édouard Philippe nous prend pour des quiches. Il ne répond en rien à nos critiques, mais pire, il se permet d’affirmer que les femmes seront les grandes gagnantes. Faut pas nous prendre pour des abruties non plus ! »

Pourtant, Édouard Philippe l’assure : « Les femmes seront les grandes gagnantes du régime universel »

J’ai l’impression qu’il nous prend pour des quiches. Faut pas nous prendre pour des abruties non plus. Franchement, je savais qu’il ne retirerait pas l’ensemble de sa réforme, mais je m’attendais à ce qu’il en corrige certains aspects, au moins sur les droits familiaux et la réversion. Or, là, il bouge un truc minimal pour répondre aux critiques familialistes de la droite – comme si c’était eux dans la rue – et par contre il ne répond en rien à nos critiques, mais pire, il se permet d’affirmer que les femmes seront les grandes gagnantes. Faut pas se moquer du monde.

En moins d’un mois, on a vu 150.000 personnes manifester en France contre les violences faites aux femmes, 1,5 million contre la réforme des retraites. Faites-vous un lien entre ces deux luttes qui pourraient, a priori, n’en avoir aucun ?

Tout à fait. Pourquoi est-ce que les femmes ont autant de difficultés à sortir des phénomènes d’emprise ? Parce qu’elles n’ont pas d’indépendance économique. Garantir l’indépendance économique des femmes, c’est leur permettre d’échapper à ces phénomènes. Quand les femmes retraités ont des pensions de 40% inférieures à celles des hommes, forcément quand elles sont victimes de violences, elles sont assignées. Dans l’autre sens, c’est aussi les violences sexistes et sexuelles qui assignent les femmes dans des positions d’infériorité au travail, dans la vie, qui les empêchent d’avoir un vrai déroulement de carrière. Les inégalités font système : les inégalités professionnelles ont pour conséquence les violences et les violences ont pour conséquence les inégalités professionnelles.

Propos recueillis par Loïc Le Clerc

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