A 60 milliards d’euros, les liquidités restituées aux actionnaires du CAC 40 dépassent le niveau record de 2007. Elles ont augmenté de 12 % par rapport à l’année dernière. Compte tenu des bons résultats 2019 attendus, les dividendes et les rachats d’actions devraient encore progresser cette année.
ERIC PIERMONT / AFP
Les actionnaires des groupes du CAC 40 n’ont jamais été aussi bien rémunérés. En 2019, les champions de la cote parisienne leur ont redistribué plus de 60 milliards d’euros, dont 49,2 milliards sous forme de dividendes, un record, selon la dernière étude annuelle réalisée par les auteurs de la lettre Vernimmen.net. Les rachats d’actions, eux, ont atteint 11 milliards d’euros, un montant comparable à celui de 2018.
Ces versements record sont en très nette hausse (+12 %) par rapport à l’année dernière . Il aura fallu attendre 2018 pour que les distributions aux actionnaires approchent à nouveau leurs niveaux de 2007. Cette fois, ils sont largement dépassés. « Cela rappelle en creux la violence de la dernière crise financière : en 12 ans, les liquidités rendues par les quarante plus grands groupes cotés à Paris ont crû de seulement 0,5 % par an en moyenne », commente Pascal Quiry, professeur à HEC et co-auteur de la lettre spécialisée en finance avec Yann Le Fur.
Un signal positif sur la santé des groupes du CAC 40
Pour lui, cette distribution n’est pas surprenante, «compte tenu des très bons résultats des sociétés du CAC 40 à ce point du cycle. Hors éléments exceptionnels et non récurrents, les résultats nets ont augmenté de 7 % en 2018 ». Cette année-là, les entreprises ont dégagé un total de 88,5 milliards de profits, selon les chiffres compilés par EY pour « Les Echos » . L’activité , l’investissement et les marges opérationnelles étaient dans l’ensemble très bien orientés.
Autre signe positif, au-delà du montant absolu de redistributions : en 2018, la part des rachats d’actions est restée relativement modérée. Ils ont été quasiment deux fois moins importants qu’en 2007 : 10,7 milliards contre 19,2 milliards, il y a 12 ans. « Cela montre une meilleure confiance dans l’avenir immédiat, car un dividende se réduit moins aisément qu’un programme de rachat d’actions », analyse Pascal Quiry. Un dividende ne s’augmente en effet qu’après mûre réflexion. Le risque est trop grand de décevoir les actionnaires en le baissant l’année suivante. Ainsi, lorsque l’environnement s’est dégradé entre 2007 et 2009, les dividendes ont seulement été réduits de 38 à 27 milliards d’euros, alors que les rachats d’actions, eux, ont disparu.
La tendance devrait se poursuivre
« Il est probable que l’an prochain les chiffres que nous publierons seront encore meilleurs compte tenu de la progression des résultats 2019 que l’on entrevoit. » Compte tenu de leur part encore relativement modeste, les rachats d’actions pourraient alors progresser encore plus vite que les dividendes. Ils ne représentent que 18 % du total des redistributions aux actionnaires de 2019. Une proportion inférieure à ce que l’on observait par exemple en 2007, 2008, 2016 et 2018.
Distribution et investissement vont de pair
« Contrairement à ce qu’on entend parfois, aucun groupe du CAC 40 ne choie ses actionnaires au détriment du développement de son activité. »Le débat fait rage , tant en Europe qu’aux Etats-Unis. Les auteurs du Vernimmen se sont donc penchés sur l’investissement en immobilisations corporelles et incorporelles réalisé par les groupes du CAC 40, à l’exclusion des investissements financiers et de croissance interne.
A les entendre, le constat est sans appel. Pour ces sociétés largement internationales – souvent plus des deux tiers de l’activité -, des marges élevées et un endettement modéré « permettent de conjuguer dividendes et investissements dans un cercle vertueux ». L’idée selon laquelle « les groupes du CAC 40 sacrifieraient le montant de leurs investissements au versement de dividendes et aux rachats d’actions pour le plus grand profit d’actionnaires […] est contredite par les chiffres », ajoutent-ils.
En 2018, les entreprises du CAC 40 ont non seulement reversé des liquidités record à leurs actionnaires mais ont aussi investi 82 milliards d’euros, soit 9,7 % de plus qu’en 2017. Autre illustration montrant que distribution et investissements vont de pair : ceux des groupes qui ont procédé aux dix plus gros versements, ont aussi davantage progressé (+16,3 %). « Plus les groupes du CAC 40 ont rendu des liquidités à leurs actionnaires en 2019, plus ils ont accru leurs investissements. »
Seulement 8 sociétés à l’origine de plus de la moitié des versements
Les trois groupes qui redistribuent le plus de capitaux propres à leurs actionnaires sont, comme souvent ces dernières années, Total (8,5 milliards d’euros), Sanofi (3,8 milliards), et BNP Paribas (3,7 milliards). Ils représentent à eux trois 27 % des volumes. En ajoutant cinq autres groupes (3,2 milliards pour Vivendi et AXA, 3 pour LVMH, 2,9 pour L’Oréal et 2,8 pour Engie), la barre des 50 % des fonds redistribués est franchie.
Ce n’est pas un hasard s’il s’agit souvent d’entreprises matures. « Elles génèrent des capitaux propres importants, que leur faible croissance et forte marge rendent inutiles en leur sein. Il est plus sain de les reverser à leurs actionnaires, plutôt que de les gaspiller en surinvestissements ou en placements oisifs de trésorerie et de priver ainsi de capitaux propres d’autres groupes qui en auraient besoin pour se développer et vers qui les dividendes et rachats d’actions de ces mastodontes seront réinvestis. »
Des dividendes en actions pour préserver la structure financière
« Aucun groupe du CAC 40 n’a dû s’endetter au-delà du raisonnable pour verser un dividende », poursuit le co-auteur du Vernimmen. Les groupes soucieux de ne pas mettre sous tension leur structure financière ou de préserver intacte leur capacité à réaliser des opérations de croissance externe – dans l’ensemble les groupes du CAC 40 sont peu endettés – ont souvent choisi de verser leur dividende en actions.
Total , notamment – qui n’a pas réduit son dividende depuis 1981 – ,y a eu recours à hauteur de 1,8 milliard (sur un total de 7,8 milliards de dividendes). Le paiement en actions lui a ainsi permis de maintenir son dividende constant en dépit des variations des cours du pétrole. De quoi satisfaire des actionnaires comme les fonds de pension américains et britanniques, qui ont besoin de recevoir des flux de trésorerie réguliers pour remplir leurs engagements en matière de retraite.
Société Générale, Publicis et Carrefour ont, eux, payé la majeure partie de leurs dividendes en actions. « Ce sont autant de débours de trésorerie évités pour ces groupes. » Le cas d’Atos est particulier. L’entreprise de services informatiques a versé 2,4 milliards de dividendes en actions en 2019 pour poursuivre la scission avec son ancienne filiale Wordline. Il a ainsi distribué 23,5 % du capital de Worldline à ses propres actionnaires, réduisant ainsi sa participation à 27,3 %.
Des rachats d’actions dus pour moitié à Total et Vivendi
Les sociétés du CAC 40 ont racheté pour 10,7 milliards d’euros de leurs propres actions, ce qui représente 0,6 % de leur capitalisation boursière. Au total, 16 groupes ont procédé à des rachats d’actions significatifs, c’est-à-dire d’au moins 100 millions d’euros.
Mais les 10,7 milliards d’euros de rachats d’actions s’expliquent surtout par Total et Vivendi, qui ont à eux deux réalisé la moitié de ces opérations. Une partie des rachats d’actions de Total neutralise la dilution induite par ses dividendes payés en actions. Vivendi, de son côté, restitue des liquidités suite à des cessions d’actifs (Ubisoft). « Le groupe s’efforce aussi de conforter la position de l’actionnaire minoritaire contrôlant, Bolloré », explique Pascal Quiry. Quatre groupes – Safran, Vinci, L’Oréal, et Accor – ont consacré entre 500 millions et 1 milliard d’euros chacun aux rachats d’actions.
VIDEO. Mais au fait, à qui appartient le CAC 40 ?
Les dividendes progressent plus vite que les résultats nets
En 2019, les dividendes ont progressé plus vite que les résultats nets courants : +13 % contre +7 %. Les auteurs de l’étude expliquent que 40 % de la hausse des dividendes est liée aux choix de quatre groupes, « trois – Kering, LVMH et L’Oréal – en raison de l’excellence de leurs performances opérationnelles, et un – Engie – en raison d’un effet de rattrapage ». Le groupe énergétique avait réduit son dividende par action de 53 % depuis 2013.
Les taux de distribution (dividendes) des entreprises du CAC 40, eux, restent sables. Le taux moyen a progressé d’un point à 47 %. En tenant compte des rachats d’actions et des dividendes extraordinaires, ce taux de distribution recule légèrement, à 58 %, soit un point de moins qu’en 2018.
Sophie Rolland
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