Après la mort du livreur, l’avocat des policiers a tenté de justifier l’usage de la force face aux vidéos accablantes fournies par des témoins.
De nombreuses zones d’ombre entourent toujours les circonstances exactes du décès de Cédric Chouviat, 42 ans, mort d’une «fracture du larynx» après un contrôle routier à Paris. Saisis d’une enquête pour «homicide involontaire», deux juges d’instruction sont désormais chargés de faire la lumière sur le drame, qualifié de «bavure policière» par les proches de la victime.
Vendredi 3 janvier, il est un peu moins de 10 heures lorsque le coursier s’apprête à effectuer une livraison dans le XVe arrondissement. Pour s’y rendre, il passe par le quai Branly (VIIe) et longe la Seine à bord de son scooter. A l’intersection avec l’avenue de Suffren, il est arrêté par une patrouille de quatre policiers issus d’une unité de secours de la Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP), trois hommes et une femme.
«Provocation».Selon leur avocat, Thibault de Montbrial, les quatre fonctionnaires étaient en voiture quand ils ont aperçu Cédric Chouviat, son portable à la main. L’un des officiers aurait alors baissé la vitre en lui criant «téléphone !», mais le livreur se serait contenté d’opposer «un geste méprisant» aux policiers, qui décident de le contrôler quelques mètres plus loin. Le père de cinq enfants aurait alors adopté «une attitude de provocation verbale et physique» à l’égard des forces de l’ordre. Toujours selon leur avocat, les fonctionnaires s’apprêtaient à quitter les lieux après l’avoir verbalisé, mais la situation se serait envenimée lorsque le coursier est revenu à la charge, avant d’être à nouveau interpellé pour outrage.
C’est à ce moment que Cédric serait tombé, entraînant dans sa chute les officiers et causant de «vives douleurs aux deux genoux» de l’un d’entre eux, selon un rapport de police cité par le Parisien. Les fonctionnaires auraient alors fait pivoter Cédric Chouviat en le mettant à plat ventre et en lui passant difficilement les menottes, avant de lui demander de s’asseoir. Ils auraient alors remarqué à son visage bleui que le coursier, face contre terre et toujours casqué, se trouvait en arrêt cardiaque. Thibault de Montbrial assure pourtant n’avoir «noté aucun geste disproportionné» de la part des fonctionnaires, qui «ont le soutien absolu et total de l’ensemble de la chaîne hiérarchique». Il précise que le coursier était «très défavorablement connu des services de police» et avait accumulé «une trentaine de PV de circulation en 2019», précisant que ces éléments n’étaient pas connus des policiers lors de son interpellation.
«Clé d’étranglement».De leur côté, les avocats de la famille de Cédric Chouviat, Arié Alimi, William Bourdon et Vincent Brengarth, ont pu dresser une tout autre chronologie des événements grâce des témoignages et vidéos recueillis à la suite d’un appel à témoin, lancé sur Twitter. Une chronologie en «opposition à la communication officielle de la préfecture de police», insistent-ils. Sur la première vidéo, enregistrée par un automobiliste à quelques mètres de la scène, on peut voir Cédric Chouviat, portable à la main, filmer les quatre officiers. «Comme s’il cherchait à se constituer une preuve de cette interpellation», assure Arié Alimi. Le livreur a l’air remonté. L’un des fonctionnaires tente de le tenir à distance. Cédric Chouviat n’en démord pas et revient à la charge. Des témoins sur place affirment alors «qu’un officier lui fait une clé d’étranglement pour l’amener au sol», un détail jusque-là omis par les policiers. Une deuxième vidéo montre le coursier, visage contre terre, menotté, les mains dans le dos. Sur lui, trois gardiens de la paix exercent un plaquage ventral, ou «décubitus ventral», pratique dangereuse fortement décriée par des ONG (lire ci-contre). Dans ce même extrait, la victime, toujours casquée, se débat, jusqu’à l’épuisement. Ses jambes finissent par se figer. Dans une dernière vidéo, les policiers entament un massage cardiaque. En vain. Cédric Chouviat, inconscient, est alors évacué par les pompiers à l’hôpital Georges-Pompidou et placé sous respiration artificielle.
Pour la famille de la victime, l’arrestation de Cédric Chouviat marque le début de six heures de flou total. Son père, qui est aussi son patron, s’aperçoit grâce au système de géolocalisation de la société que le scooter de son fils est à l’arrêt dans le VIIe arrondissement, loin de l’adresse de livraison où il est attendu, dans le XVe arrondissement. Il envoie alors un autre coursier sur place, qui lui rapporte avoir vu des ambulances. Christian Chouviat découvre que le scooter a été transporté au commissariat du VIIe, où se rend aussitôt la femme du livreur.
«Cerveau endommagé».«Par deux fois, les policiers lui mentent, explique Arié Alimi. Ils lui disent qu’ils ne savent pas qui est M. Chouviat et qu’ils n’ont pas le scooter dans leurs locaux.» Pourtant, la géolocalisation certifie à la famille la présence de la moto à cette adresse. Son épouse revient à la charge une troisième fois. Elle est reçue par un gradé et la policière présente lors de l’interpellation de son mari. «On lui dit que Cédric Chouviat a été très virulent lors de son contrôle et a fait un malaise cardiaque alors qu’il était menotté», reprend Arié Alimi. Elle se rend alors à l’hôpital. «Les médecins lui annoncent qu’il est dans un état critique, que son cerveau est très endommagé», poursuit-il. Cédric Chouviat meurt dimanche à 3 h 30.
«Une fracture du larynx suppose une intervention très violente, abonde un pneumologue, expert devant les tribunaux. Un plaquage ventral seul ne peut l’expliquer, il faut un choc avec un objet qui sert de point d’appui. En l’occurrence, ce peut être l’effet combiné du plaquage et du choc avec le casque.»
Des investigations médico-légales complémentaires doivent être diligentées par le parquet, dont les résultats sont attendus dans les prochains jours. L’instruction devra alors déterminer s’il existe ou non un lien de causalité établi entre son interpellation et le décès de Cédric Chouviat.
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