L’économiste rappelle à quel point « on est en retard sur la question des risques environnementaux et sociaux, qui ne se voient pas de la même manière qu’une épidémie, mais dont on sait à long terme la gravité ».
« Il ne suffit pas de dire “il faut changer le système économique”, il faut décrire quel autre système économique. » Pour l’économiste Thomas Piketty, la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 doit nous amener à définir de nouveaux critères de décision en matière de gouvernance économique mondiale.
> Voir l’intervention de Thomas Piketty en vidéo :
Mardi 10 mars avait lieu à Paris l’avant-première du film « le Capital au XXIe siècle », de Justin Pemberton et Thomas Piketty, d’après le best-seller de l’économiste, paru au Seuil en 2013. Lors du débat, en présence de l’auteur, qui accompagnait la séance, la pandémie de Covid-19 fut logiquement évoquée. Et Thomas Piketty de revenir sur le passé :« Dans l’histoire, ce qu’on voit, après les crises financières, c’est que tout dépend de la réaction politique, et de la trajectoire qui est suivie après les crises. »
Certes, après le « traumatisme » des deux guerres mondiales et de la crise des années 1930, rappelle-t-il, un nouveau système économique s’est mis en place, « avec la sécurité sociale, l’impôt progressif, un nouveau droit du travail, des droits syndicaux, et même, dans certains pays, un véritable pouvoir au sein des conseils d’administration des entreprises ».
Cependant, cette métamorphose n’a pu avoir lieu que grâce à une « transformation intellectuelle, qui, elle, était en préparation depuis le XIXe siècle ».
Une telle mobilisation pour le changement est-elle à l’œuvre aujourd’hui, pour nous permettre de déboucher sur une nouvelle société ? Réponse de l’économiste :
« Beaucoup moins que ce qui était le cas fin XIXe siècle-début XXe siècle, où il y avait un puissant mouvement socialiste, syndical, social, qui préparait le terrain pour un autre monde. »
Retard sur les risques environnementaux et sociaux
Les crises, elles, sont pourtant au rendez-vous. « Là, il y a un virus, c’est très important, une crise sanitaire. » Mais le Covid-19 est pourtant loin d’être le seul écueil à menacer l’économie mondiale. Explications :
« Il y a quelque chose d’assez étonnant dans la façon dont on décide d’un seul coup d’arrêter toute activité économique, alors qu’il y a encore quelques mois, quand certains disaient : “Mais vous savez, les émissions carbone sont complètement au-delà de tout ce qu’on est censé faire d’après l’accord de Paris”, tout le monde disait : “Ah oui ! Mais l’économie ne supporterait pas de faire quoi que ce soit qui puisse trop baisser les émissions carbone”. »
Pour Thomas Piketty, cela montre à quel point on est « en retard sur la question des risques environnementaux, des risques sociaux […] qui ne se voient pas de la même manière qu’une épidémie, mais dont on sait à long terme la gravité ».
Quid du capital naturel ?
Tout espoir n’est pas perdu :
« Potentiellement, il y a un moteur pour le changement, notamment avec les jeunes générations – mais pas seulement – qui prennent de plus en plus conscience de la nécessité de changer le système économique. »
Cependant, « il ne suffit pas de dire “Il faut changer le système économique’”, il faut décrire quel autre système économique, quelle autre organisation de la propriété, du pouvoir dans les entreprises, quels autres critères de décision. Il faut remplacer le produit intérieur brut, et la maximisation du produit intérieur brut, par d’autres notions ».
Quid des dégâts qui sont faits sur le capital, en particulier sur le capital naturel ? Quid de la répartition mondiale des émissions carbone ? Quid des inégalités face aux conséquences du réchauffement ? Ce sont des questions sur lesquelles il est tout aussi essentiel de se pencher, conclut Thomas Piketty.
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