Le coronavirus et la montgolfière des marchés d’actions

L’épidémie du coronavirus a déclenché à partir de fin février une chute importante des cours des actions sur les principales bourses du monde (CAC 40, Dow Jones, Nasdaq, Euronext, Nikkei…) Pour interpréter cette chute, il faut commencer par situer la place des actions dans la machine de production capitaliste.

Les actions sont les titres de propriété de ces entreprises. Si je détiens une action, je détiens en quelque sorte un morceau de cette entreprise, un morceau de son capital. L’entreprise me verse en échange un dividende qui correspond à une partie de la plus-value extorquée sur l’exploitation de la force de travail.

L’action est donc un « droit de tirage » sur la plus-value. Lorsqu’une entreprise a besoin d’investir, elle peut émettre ces actions, que les capitalistes financiers (banques, fonds d’investissements…) et d’autres entreprises non-financières achètent sur le « marché primaire » (marché où les entreprises émettent leurs actions). L’argent provenant de cet achat revient donc à l’entreprise qui pourra investir.

Mais une fois cette opération réalisée, les actions s’échangent ensuite sur le « marché secondaire » et leur prix (« cours boursier ») peut varier en fonction du rapport entre offre et demande, sans dépendre directement de la rentabilité du capital qu’elle représente. C’est pourquoi Karl Marx parlait à propos des actions en bourse de « capital fictif », qui donne l’impression de pouvoir s’auto-valoriser en dehors de la production de valeur réelle dans le procès de production.

Il permet dans un premier temps de financer un investissement, puis devient dans un second temps le support de la spéculation.

Lorsque ces cours atteignent des sommets, et que les spéculateur-ices se rendent peu à peu compte qu’ils ne correspondent pas à cette rentabilité réelle (situation de « bulle spéculative »), un événement perturbateur peut faire s’effondrer les cours en semant la panique : les détenteurs d’actions revendent massivement leurs actions, mais personne n’est là pour les racheter. Leur prix (« cours boursier ») chute donc drastiquement.

Prenons le CAC40 : le CAC 40 est un indice boursier fait à partir de l’évolution des cours des actions des 40 entreprises françaises les plus importantes. Sa chute récente, la plus forte en si peu de temps (15% en quinze jours) enregistrée depuis la crise de 2007-2008, intervient  après une hausse importante depuis 2012      (voir      graphique    ci-dessous).

Le CAC 40 de 1980 à mars 2020.

Cette hausse de cours boursier depuis 2012 s’explique notamment par le fait que la masse monétaire distribuée depuis 2008 par les banques centrales pour atténuer les effets de la crise a plus été utilisée pour spéculer sur les marchés d’action que pour investir dans l’appareil productif qui présente encore aujourd’hui une rentabilité (taux de profit) insuffisante pour les capitalistes.

Individuellement, ils génèrent un « profit fictif » en revendant plus cher des actions qu’ils ont achetées moins cher, mais aucune valeur n’a été créée puisqu’il s’agit comme nous l’avons vu d’un capital fictif.

Contrairement à ce que racontent certains éditorialistes de BFM Business, le coronavirus n’est donc pas la cause principale de cet effondrement boursier. Il n’en est que le détonateur, puisqu’il arrive dans un contexte où actions étaient déjà en quelque sorte « survalorisées », comme elles l’étaient d’ailleurs dans les périodes qui ont précédé les deux dernières crises1.

Il ne s’agit pas d’une simple « correction » passagère, mais du prélude à une crise majeure qui se prépare, attendue et crainte de l’aveu même des institutions financières internationales depuis quelques mois.

Le coronavirus signe peut-être la fin d’un cycle qui n’a fait qu’exacerber les contradictions qui avaient mené à la crise de 2007-2008.

Dans ce contexte, l’intervention des banques centrales via la baisse des taux directeurs2 ne peut qu’avoir au mieux l’effet d’un coup de gaz dans une montgolfière déchirée. Chaque coup peut faire remonter temporairement le ballon, mais d’une part il agrandit la déchirure en le faisant gonfler, et d’autre part, il n’y a plus beaucoup de gaz dans le réservoir de la nacelle : les taux directeurs des banques centrales sont déjà très bas !

Rémi Grumel

1 – Crise de la « bulle internet » en 2000 et crise des subprimes en 2007-2008.

2 – Le principal taux directeur d’une banque centrale est un taux auquel elles fournissent de la monnaie aux banques commerciales. Ainsi, plus les taux directeurs sont bas, et plus la masse monétaire en circulation à la recherche de placement est grande. C’est pourquoi, dans un contexte de faible profitabilité des investissements productifs, une baisse des taux directeurs a tendance à faire monter les valeurs boursières.

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