Violences : «La fatigue des forces de l’ordre ne peut pas être une excuse»
Pour Marion Guémas, de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, la police française devrait s’inspirer de la Suède.
Marion Guémas est chargée des questions relatives à la police à l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat). Elle a écrit le rapport de l’ONG sur le maintien de l’ordre en France publié ce mercredi.
La situation française actuelle est-elle tellement spécifique qu’elle justifierait un maintien de l’ordre agressif et un usage sans précédent des armes dites intermédiaires comme le lanceur de balles de défense (LBD) ?
Lorsque j’ai été reçue par le cabinet du ministre de l’Intérieur ou des responsables policiers, ils ont toujours commencé par me dire qu’il n’y avait jamais eu autant de violence dans les manifestations. Mais les archives et les études qui ont été menées sur le sujet attestent de l’inverse. Il y a eu par le passé des manifestations tout aussi violentes à une époque où les forces de l’ordre étaient beaucoup moins bien équipées. Peut-être que les agents ressentent ça, mais ce n’est pas exact. Ce sentiment correspond sûrement à la pacification de notre société, avec un paradoxe : il justifie, à l’inverse, la violence des policiers. De la même façon que pour l’aspect historique, des gens qui sont violents, qui détruisent du mobilier urbain, cela existe dans d’autres pays. En revanche, il est vrai que le mouvement des gilets jaunes a duré dans le temps et a épuisé les forces de l’ordre, mais la fatigue ne peut pas être une excuse.
Des modèles alternatifs se sont pourtant développés ces dernières années…
La doctrine KFCD, dont les quatre principes cardinaux sont knowledge («connaissance»), facilitation, communication, differenciation, s’est développée dans plusieurs pays après le projet européen Godiac, lancé à l’initiative de la Suède et au cours duquel plusieurs manifestations ont été observées. Là où cette doctrine a été mise en œuvre, la conflictualité a baissé. Elle repose sur une autre psychologie des foules que celle utilisée en France et encourage une différenciation dans la réponse policière. Par exemple, en application de cette doctrine, des pays estiment que les gaz lacrymogènes qui vont toucher indifféremment les gens peuvent avoir un fort effet de solidarisation contre la police. Ce sont également des pays qui mettent d’autant plus de moyens dans la communication quand ils ont en face d’eux des manifestants sans interlocuteur. A l’inverse, en France, c’est un élément qui va justifier de ne pas dialoguer avec les manifestants.
Lors de vos différents échanges avec les autorités, avez-vous senti un intérêt pour ces autres doctrines de gestion des foules ?
La police française avait été sollicitée, il y a près de dix ans, pour participer au projet Godiac, mais avait décliné la proposition. Quand j’ai rencontré le policier suédois qui l’a piloté, il n’a pas su m’expliquer pourquoi la France avait refusé. Je ne sais pas si la situation serait différente désormais si un programme similaire était de nouveau lancé en Europe. Le problème réside surtout dans le fait que la police française ne veut pas réfléchir à la place des sciences sociales dans la formation. Tandis qu’à l’inverse, les dépenses pour l’armement des forces de l’ordre ont explosé. Tout cet argent aurait pu être utilisé tout à fait différemment, notamment pour améliorer les contacts avec la population. Une problématique qui n’est d’ailleurs pas spécifique au maintien de l’ordre.
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