L’Obs, 16 avril 2020
Que ce soit aux Etats-Unis ou en Seine-Saint-Denis, les premières victimes de la pandémie de coronavirus sont les plus démunies. Agissant tel un révélateur, le virus s’est introduit dans les failles de notre société… et les a soulignées.
On le pressentait depuis le début, c’est désormais une évidence. Cette pandémie, qui s’est abattue en Chine puis sur les pays les plus riches de la planète, est d’abord et surtout une maladie de pauvres. Après le personnel soignant, en première ligne, ce sont en effet les sans-grade, les caissières, les éboueurs, les aides à domicile, les femmes de ménage, les livreurs, tous les invisibles, les précaires, ceux dont les conditions de vie sont les plus difficiles, qui vont payer le plus lourd tribut au virus. Dans son allocution lundi, Emmanuel Macron a semblé en avoir pris la mesure :
« Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. »
Les « premiers de corvée »
Soudain devenus essentiels, ces « premiers de corvée » sont aussi les plus exposés. A plusieurs titres. D’abord parce que les métiers qu’ils exercent, en contact direct avec les autres, les mettent forcément en risque. Pour eux, pas de télétravail possible. Entre la peur d’être infectés et celle de se retrouver sans revenu, entre le Covid et la misère, le choix est vite fait… Actifs ou non, ils sont pour la plupart contraints de s’entasser dans des logements exigus, où la promiscuité favorise la contagion.
Enfin, dans un pays où l’écart d’espérance de vie entre les 5 % les plus riches et les 5 % les plus pauvres est de 13 ans – l’un des plus élevés d’Europe –, ce sont eux, aussi, qui ont le plus de probabilité de développer diabète, hypertension artérielle, surpoids, autant de facteurs aggravants du Covid-19. On le sait désormais : en cas de contamination, l’obésité, ce problème sanitaire majeur dont les plus défavorisés, condamnés à la malbouffe, sont aujourd’hui les principales victimes, fait exploser le risque de subir une intubation. 83 % des malades admis en réanimation sont en surpoids ou obèses. Terrible constat. Agissant tel un révélateur, le virus s’est introduit dans les failles de notre société… et les a soulignées.
Aux Etats-Unis, les Noirs sont les grandes victimes de l’épidémie
Le phénomène, en vérité, est global. Aux Etats-Unis, plusieurs études montrent que ce sont les Noirs qui sont les grandes victimes de l’épidémie, avec, dans certains Etats, deux fois plus de risques d’être contaminés, et trois fois plus d’en mourir. A Chicago, la population afro-américaine représente un tiers des habitants, mais plus de 70 % des malades. Dans le Michigan, ils sont 14 % de la population, mais 40 % des victimes… En France, il est interdit de collecter ces données ethniques ou sociales. En outre, la couverture santé, accessible à tous, et le chômage partiel – du moins pour les salariés – atténuent quelque peu cette cruelle réalité.
Il reste que début avril, le directeur de la Santé annonçait un « excès de mortalité exceptionnel » en Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre de l’Hexagone. C’est aussi l’un des plus denses. Ici, les conditions de logement – appartements HLM trop petits, marchands de sommeil, foyers de travailleurs bondés, bidonvilles – ont fait flamber la propagation du virus. Il y a aussi moins de soignants, moins de lits en réanimation que dans les départements voisins. Mortifère équation. En une semaine, le nombre de décès y a bondi de 63 %. Bien plus qu’à Paris ou dans le Val-d’Oise voisin…
Ces inégalités sociales ont-elles été prises en compte lors de la décision des mesures de confinement ? On a stigmatisé les habitants des quartiers populaires, accusés de ne pas respecter les contraintes de distanciation sociale. Une pluie d’amendes leur est tombée dessus. Comme s’ils avaient vraiment le choix. Triple peine pour les pauvres.
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