Les hospitalisations surviennent quelques jours après la contamination, les admissions en réanimation une à deux semaines après, et les décès encore plus tard. Il faut étendre les tests au-delà des cas identifiés, explique l’épidémiologiste Catherine Hill.
L’épidémie de Covid-19 continue de sévir en France, comme le montre l’apparition de nouveaux foyers. Le confinement a freiné l’emballement initial qui faisait doubler les nombres de cas et de morts tous les trois jours, mais rien n’est gagné. Comme on teste plus largement autour des personnes malades qu’on ne le faisait avant le 11 mai, on identifie des foyers selon le principe de base des maladies infectieuses qui se transmettent de personne à personne : autour de chaque cas, on a de grandes chances d’en trouver d’autres.
Dans certains pays, l’épidémie est contrôlée et on n’observe plus que de rares foyers sporadiques. Les meilleurs contrôles ont été observés notamment à Taïwan (7 décès pour 24 millions d’habitants), en Australie (100 décès), et en Corée du Sud (263 décès). Une différence de stratégie très importante entre ces pays et la France réside dans la couverture de la population par les tests RT-PCR [tests virologiques à partir d’un prélèvement naso-pharyngé par écouvillonnage] au début de l’épidémie. Cette couverture peut être mesurée par la proportion de tests positifs. Le 20 avril par exemple, dans ces trois pays les tests positifs ne représentaient que 1 % ou 2 % de l’ensemble des tests réalisés. Au contraire, en France, 33 % des tests réalisés étaient positifs, ce qui veut dire qu’on ne testait que des personnes qui avaient des symptômes et dont la contamination était probable.
Indicateurs imparfaits
On fournit chaque jour les nombres de cas d’hospitalisations, d’admissions en réanimation et de décès. Ces nombres sont assez approximatifs, voire pour certains impossibles : le 19 mai, le nombre de décès dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) était censé être négatif. Le nombre quotidien de cas ne peut pas permettre de surveiller l’épidémie dans la mesure où la stratégie de tests par RT-PCR a changé : en testant les contacts des cas identifiés, on va détecter plus de cas, et notamment des asymptomatiques qui échappaient à la surveillance auparavant.
Les autres indicateurs ne sont pas parfaits, mais ils peuvent être utiles si on regarde leur évolution. La surveillance de la variation des hospitalisations, des admissions en réanimation ou des décès à l’hôpital reflète assez bien la propagation du virus. Le problème est que ces indicateurs sont en retard par rapport aux contaminations : les hospitalisations surviennent quelques jours après la contamination, les admissions en réanimation peut-être une à deux semaines après, et les décès encore plus tard. Plus d’une semaine après le déconfinement, il faut savoir si les contaminations augmentent et, si oui, à quelle vitesse. Pour surveiller de près l’épidémie, il manque une estimation de la proportion de la population contagieuse dans les différentes régions du pays. Ce serait le bon indicateur de l’évolution de la situation et cela permettrait d’insister sur la nécessité de réduire les contacts de chacun.
La stratégie actuelle ignore une grande partie des contaminations par les porteurs asymptomatiques
La stratégie actuelle consiste à identifier les personnes symptomatiques et à isoler et tester leurs contacts, mais elle n’insiste pas sur la rapidité nécessaire à la détection de ces cas et de leurs contacts. En règle générale, les contaminations se produisent cinq jours avant ou cinq jours après les premiers signes de maladie : si un patient symptomatique est testé deux jours après son premier symptôme, il peut donc avoir contaminé d’autres personnes pendant les sept jours précédents. Il en est de même pour ses contacts s’ils sont identifiés quelques jours plus tard puis testés positifs. Par ailleurs, cette stratégie ignore une grande partie des contaminations par les porteurs asymptomatiques ; or la moitié des contaminations sont dues à ces porteurs. Le port du masque est essentiel : en effet, une personne contagieuse mais qui ne se sait pas contagieuse réduit nettement le risque de transmettre le virus si elle porte un masque. C’est un geste altruiste.
Aujourd’hui, on fait plus de tests RT-PCR en France qu’auparavant, mais la couverture de la population reste insuffisante car le virus est partout. Il faudrait tester beaucoup plus largement. C’est possible, notamment en faisant des tests groupés : on prélève des échantillons par exemple chez 20 personnes, on divise chaque prélèvement en deux, et on rassemble les prélèvements numéro 1 de chaque personne dans un seul tube dans lequel on recherche le virus. Si le résultat est négatif, chacune des 20 personnes est présumée négative ; si le résultat est positif, on peut tester un par un les échantillons numéro 2. Si le virus n’est pas très fréquent, ce système réduit considérablement le nombre de tests nécessaires.
Une solution simple
Une autre solution qui a le mérite de la simplicité est de rechercher le virus dans les eaux usées : si on ne trouve pas de virus dans les égouts à la sortie d’une petite ville, c’est probablement qu’aucun habitant n’est positif. A contrario, si le virus est retrouvé dans les égouts, on peut faire un prélèvement en amont dans le circuit des eaux usées pour trouver les habitants à tester en priorité.
C’est ainsi qu’on pourra réduire la circulation du virus. Identifier les personnes guéries en faisant des tests sérologiques peut être utile dans les environnements de travail, mais si on restreignait la population des travailleurs aux personnes guéries, les entreprises seraient quasiment vides. Les chercheurs de l’institut Pasteur estiment que, le 11 mai, 2,8 millions de personnes étaient immunisées en France, ce qui ne représente que 4,4 % de la population. Le virus peut donc encore contaminer des millions de personnes.
Catherine Hill (Epidémiologiste)
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