Les autorités s’inquiètent de la radicalisation de certains Gilets jaunes lors du confinement. Le service central du renseignement est sur le qui-vive.
Aziz Zemouri
Dès la fin du confinement, le 11 mai, des militants qui se réclament du mouvement des Gilets jaunes ont tenté de se rassembler, notamment à Paris. Les mesures de déconfinement prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire proscrivent pourtant ce type de regroupements. Le Service central du renseignement territorial (SCRT) qui suit les mouvances politiques radicales n’a pas été surpris pour autant.
Dans la partie prospective de sa note sur « l’impact du Covid-19 sur la mobilisation des mouvances contestataires » datée du 6 mai, le Renseignement faisait déjà état de ce retour : « Le sujet de l’après-confinement est de plus en plus évoqué. Les Gilets jaunes font preuve d’une certaine prudence : ils craignent une contamination par le virus dans l’hypothèse de futurs rassemblements et ne veulent pas se lancer dans la “bataille contre le gouvernement les premiers” en dépit de leur impatience de manifester sur la voie publique. » Certains aimeraient relancer la mobilisation : « La deuxième vague arrive, celle des Gilets jaunes et de la haine de ce pouvoir… ! ! ! »
Gilets jaunes anti-État
Au premier jour du déconfinement, répondant à un appel diffusé sur Facebook, une quarantaine de Gilets jaunes se sont rassemblés, lundi, place de la République. À leur tête, un fiché S, connu du Renseignement, comme « militant anti-État, susceptible de commettre des actions violentes à l’occasion de manifestations de voie publique ». Il a été placé en garde à vue pour outrage et rébellion. Ses camarades, eux, se sont dispersés à l’arrivée des policiers de la Direction de l’ordre public et de la circulation, par « crainte [aussi bien] de la contamination que de la verbalisation », ironise un gardien de la paix sur place.
Le lendemain, un autre Gilet jaune connu pour sa virulence antiflic a été interpellé au saut du lit. Stephane L., 40 ans, avait tagué « ACAB 1312 [all cops are bastards NDLR] » sur la façade du siège du syndicat Alliance-Police nationale. Enquêtant sur un incendie de cabane sur les Champs-Élysées lors d’une manif de chasubles ocre et sur un appel au suicide des forces de l’ordre, les enquêteurs de la sûreté territoriale ont établi des rapprochements entre ces trois délits et l’auteur a été interpellé.
Les raisons de la colère
Les agents du Renseignement ont noté les principaux motifs de la colère post-confinement des Gilets jaunes. Ils mettent en avant « la contradiction entre la prolongation de l’état d’urgence sanitaire et le déconfinement » : « État d’urgence sanitaire prolongé et à côté de ça, on envoie nos gosses comme chair à canon à l’école. » L’absence de quarantaine pour les Européens entrant en France les choque : « Macron autorise les Européens à venir et circuler librement dans toute la France et on nous interdit de faire plus de 100 kilomètres. » S’insurgeant contre la vente de masques par la grande distribution, certains Gilets jaunes, par le biais des réseaux sociaux, évoquent l’hypothèse d’actions contre les supermarchés qui en proposent.
La méthode est indiquée sur leurs réseaux sociaux : « Il existe des actions de blocage de caisse : des chariots sont remplis de masques, se positionnent au niveau des caisses pour les bloquer, et il y a un refus de débloquer tant que la grande surface ne les a pas cédés (le tout accompagné d’un mégaphone expliquant l’action au client qui nous entoure). » Selon les ex-RG, les plus radicalisés d’entre eux surfent sur le thème de « l’effondrement du capitalisme » et invitent le « peuple travailleur » à décider de tout en formant des « comités de travailleurs sur chaque lieu de travail et sur les lieux de vie » et en élisant des « délégués responsables et révocables ». Ils dénoncent également la réouverture des écoles, évoquant que « leur seul et unique but est de remettre les parents au travail pour sauver leur économie capitaliste, responsable de la destruction des hôpitaux ».
Bientôt des « modes opératoires de plus en plus violents » ?
Stéphane Espic, 49 ans, Gilet jaune de la première heure, avoue s’être radicalisé au fur et à mesure du mouvement et considère que le Covid-19 est une « foutaise. Voire un génocide (sic) organisé. Avec du désinfectant pur essentiel, des gants et un masque, je suis paré contre le virus. »
Il est de nouveau convoqué à la police judiciaire. Il a été interpellé le 30 avril alors qu’il dégradait la permanence du député et patron de LREM Stanislas Guerini dans le 17e arrondissement. Sûr de son impunité, il n’a pas hésité à agir en plein jour. Les enquêteurs ont pu remonter le fil de toutes ses exactions grâce aux vidéos contenues dans son smartphone. « Faut que je trouve un chalumeau pour cramer ces drapeaux de l’Union européenne », l’entend-on dire dans l’une d’elles.
Au total, l’ex-chef d’entreprise retourné vivre chez ses parents, ainsi qu’il l’a précisé à la police, sera convoqué au tribunal en septembre pour huit délits du même type. « Je n’ai pas attendu la fin du confinement pour continuer, même si, dès le 11 mai, j’étais déjà dans la rue. On me reproche des violences verbales, mais aucune violence physique. Je revendique mes actes. »
Aux Renseignements, on pointe une possible récupération du mouvement des Gilets jaunes par plus radicaux encore. « Les mouvances contestataires radicales espèrent plus que jamais pouvoir tirer profit de la crise sanitaire liée à la pandémie du Covid-19 comme elles l’avaient fait de la crise des Gilets jaunes qui était devenue, au fil des semaines, une contestation antisystème, tant sur le plan des revendications que sur celui des modes opératoires, de plus en plus violents. »
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