« Effondrement ? Sauve qui peut le monde », l’internationale de la collapsologie
Alfred de Montesquiou et Julien Blanc-Gras explorent la galaxie disparate des « effondristes » sur trois continents avec nuances et sans la ridiculiser.
La crise pandémique a rendu très palpable cette texture si particulière de l’Histoire : il est des moments où tout s’accélère, où l’improbable devient la norme et l’inimaginable une banalité. Et, comme les trains, ces épisodes peuvent en cacher d’autres. Ainsi, sortis du confinement, nous allons probablement rentrer assez vite dans un deuxième grand huit historique : celui du réchauffement climatique. Les signes de la catastrophe sont déjà parmi nous (désertification, incendies, inondations, etc), mais comme les tout premiers cas déclarés du Covid, ils nous paraissent, en Europe, encore lointains, presque anecdotiques. Or, on l’a vu, tout peut changer rapidement.
Il est une poignée de gus, en passe de devenir les hérauts d’une contre-culture, qui répètent cela depuis un bon moment déjà. On les appelle les effondristes ou collapsologues et leur ligne mélodique est maintenant bien rentrée dans les oreilles : notre civilisation « thermo-industrielle », fondée sur les énergies fossiles, la consommation et la croissance, arrive à son terme. La direction est bloquée, nous n’arriverons pas à amorcer une transition écologique d’ampleur suffisante pour éviter la dégradation brutale de nos conditions de vie. Il faut, dès aujourd’hui, préparer l’après.
Montrer le zeitgeist, l’esprit de l’époque
Critiqués par de nombreux chercheurs, qui y voient une simplification à outrance du désastre écologique, ces thèmes ne s’en répandent pas moins dans le grand public. C’est cette galaxie – disparate – que s’efforce d’explorer le documentaire « Effondrement ? Sauve qui peut le monde », réalisé par Alfred de Montesquiou et Julien Blanc-Gras. L’exercice est casse-gueule : il s’agit de montrer le zeitgeist, l’esprit de l’époque, tout en marquant la différence entre des survivalistes – parfois d’extrême droite – qui stockent de la boustifaille lyophilisée et des armes de poing, des collapsologues animés par une veine plus communautaire, qui s’installent à la campagne et se lancent dans la permaculture, des néo-ruraux (ou wanabee néo-ruraux) qui trouvent dans les low tech un agréable contrepoint à leur vie de cadre et, enfin, le mouvement plus large des jeunes qui se livrent à la désobéissance civile pour tenter, encore, d’infléchir les politiques publiques.
Pour réaliser ce tour de force, ce documentaire – un peu fourre-tout, il faut le reconnaître, mais c’est aussi son charme – nous amène sur trois continents. D’abord, le plus spectaculaire : les survivalistes américains et leur approche « bourrino-burnée ». Les accros du sujet reconnaîtront certains des personnages de la série « Familles Apocalypse » (mention spéciale à Larry Hall qui a construit un bunker de luxe dans un ancien silo nucléaire au Kansas). Les réalisateurs partent ensuite à la rencontre de Piero San Giorgio (auteur très très à droite de manuels d’autonomie), puis à celle de l’inévitable Yves Cochet (l’ancien ministre de l’Environnement prépare sa calèche). On glisse ensuite sur Pablo Servigne, devenue la star des collapsos, avant de suivre la dessinatrice Sixtine Dano au sein d’Extinction rébellion. Une dernière partie s’intéresse à l’éducation des enfants, à l’adaptation des villes (comment éviter les îlots de chaleur).
Une forme de « catastrophisme éclairé » : prendre au sérieux la catastrophe pour qu’elle n’arrive jamais
Ainsi, on s’intéresse, en quelque sorte au plus individualiste (et du plus à droite) pour aller vers le plus collectif (et le plus à gauche, si ces mots ont encore un sens). Cette progression écrase parfois des différences de taille. L’individualisme des preppers américains, pro-flingues, pro-riches, est bien montré, mais le fait que le réchauffement n’est qu’une de leur crainte parmi d’autres (éruptions solaires, attaque chimique, bombe nucléaire, etc.) n’apparaît que fugacement. De même, les sympathies d’extrême droite de Piero San Giorgio sont-elles évoquées, mais sa « Base Autonome Durable » (une ferme dans la Suisse bucolique) nous ferait presque oublier sa veine idéologique.
En revanche, le documentaire évite le piège classique du traitement médiatique de l’effondrement : ridiculiser ces mouvements. Bien sûr, on se pose quelques questions sur ces Français partis en Indonésie apprendre les rudiments de la survie dans la jungle (peu de risques de croiser des varans dans l’Hexagone, même en cas de chaos généralisé). Mais le film montre bien ce mélange si particulier d’abattement, de résolution mais aussi de joie de vivre et d’être ensemble que suscite l’effondrisme. Autre nouveauté : alors que jusqu’à récemment le rôle des « experts » était de rappeler « qu’attention, l’homme est créatif, qu’il y a toujours eu des millénarismes, que Tintin et Philippulus, etc. », ceux qui apparaissent à l’écran sont plus nuancés sur le phénomène. C’est d’ailleurs ce qui fait flipper. Le seul espoir reste, se dit-on, dans une forme de « catastrophisme éclairé » : prendre au sérieux la catastrophe pour qu’elle n’arrive jamais.
Mardi 12 mai à 20h50 sur France 5. Documentaire d’Alfred de Montesquiou et Julien Blanc-Gras. (2020), 70 min.
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