François Asselineau est accusé par un ancien collaborateur de harcèlement et d’agression sexuelle. Alors que la victime a porté plainte mardi, le président de l’UPR est poussé vers la sortie par son bureau national. «Libération» a recueilli des témoignages accablants.
Après avoir crié à la tentative de putsch et à la machination politique, François Asselineau, confiné dans sa maison de campagne de la Nièvre, s’est enfermé dans ses habituelles explications juridiques alambiquées. Le président de l’Union populaire républicaine (UPR), formation qui prône le «Frexit», est accusé par un ancien collaborateur de harcèlement et d’agression sexuelle. La victime présumée, âgée de 26 ans, a déposé une plainte mardi au commissariat de sa ville d’origine, dans l’Allier. Il a aussi pris contact avec un avocat parisien. Mathieu (1), qui a travaillé à l’UPR entre septembre 2019 et mars 2020, en qualité à la fois d’attaché de presse et de chauffeur de François Asselineau, affirme que ce dernier l’a manipulé pendant des mois et plusieurs fois embrassé contre sa volonté.
Les accusations du jeune homme, «incongrues et mensongères, auquel j’apporte le démenti le plus catégorique», a fait savoir Asselineau, viennent alourdir des semaines de crise au sein du mouvement. 20 membres de son bureau national, sur 28 (hors président), ont convoqué leur dirigeant au sujet d’une série de «faits d’une exceptionnelle gravité». Dans une lettre envoyée le 17 avril à François Asselineau, révélée quelques jours plus tard par le Figaro, ces militants de la première heure évoquent une démission «inéluctable» de leur «président-fondateur» : «Des documents et des témoignages indiquant l’existence de relations particulières et plus qu’insistantes de votre part à l’égard [de collaborateurs], dans le cadre professionnel, ont été source de graves souffrances psychologiques.»
0,9% des suffrages
«Ce sont des méthodes fascistes, dignes de la Stasi, d’une extraordinaire violence. Qui est-ce qui, en ce moment, à intérêt à démolir l’UPR alors que mes analyses sont de plus en plus présentes ?» s’est défendu Asselineau, sur Beur FM. «Il n’y a pas d’homme politique qui, lorsqu’il prend de la notoriété, ne fasse l’objet d’attaques», a ajouté l’énarque de 62 ans. Inspecteur général des finances, François Asselineau a fondé l’UPR il y a treize ans. Sa formation, à la base militante hétéroclite mais qui n’a aucun élu, réunit aujourd’hui 14 817 adhérents, selon le récent décompte d’une source interne ayant accès aux fichiers. L’homme, connu aussi bien pour ses longues conférences sur l’Europe, que ses raccourcis historiques servant un discours aux accents parfois paranoïaques, mais «extrêmement sourcé», selon ses supporteurs, a été candidat à la présidentielle 2017, où il a obtenu 0,9% des suffrages.
En réponse au bureau national, Asselineau – qui a refusé nos demandes d’interviews –, a affirmé que «Mathieu a révélé au fil des semaines un comportement tendant au déséquilibre». Puis il a convoqué un congrès, lequel pourrait se tenir le 6 juin prochain. «F.A.», son surnom à l’UPR, compte se présenter à sa réélection, lors d’un vote à distance, avec derrière lui une liste pour remplacer le bureau national «dissident». Une «précipitation qui vise à éviter de parler du fond», analyse un membre.
La réaction de l’instance est inédite dans un mouvement à la verticalité imposante. Le bureau national de l’UPR n’existe que pour la forme, ne pèse sur aucune décision interne. Plusieurs des signataires avaient cherché à discuter avec Asselineau courant avril, sans que celui-ci en accepte le principe. «Il y avait urgence à agir, car on avait des éléments qui disqualifient notre candidat pour la prochaine présidentielle. Il fallait essayer de sauver notre projet avant qu’ils soient sur la place publique», considère un membre du bureau national.
Moment festif
De façon assez paradoxale, tout a explosé à l’UPR le soir du Brexit, le 31 janvier. Le parti a organisé un événement dans une salle attenante à ses bureaux du 26 rue Basfroi, à Paris. La formation veut fêter en grande pompe la sortie du Royaume-Uni de l’UE, avec une série de discours et un décompte à minuit. Ce qu’elle fait : des dirigeants souverainistes ont été invités, notamment l’ex-FN Florian Philippot, Nicolas Dupont-Aignan (DLF), ou encore Jean-Frédéric Poisson, du Parti chrétien-démocrate. Malgré quelques réticences de départ, l’événement, rendu possible notamment par le travail de mises en relation de Mathieu, se passe bien. Photo de famille : pour un soir, Asselineau se voit au centre du jeu politique. «Il a l’air heureux, il se montre avec plein d’invités, certains viennent alors qu’ils ne sont pas annoncés», raconte un témoin. Le même décrit Mathieu «affairé à papillonner au milieu, très content de lui. Persuadé d’être un élément clef. Il a été en contact avec certains chefs de partis. Il vit un peu son moment». Les choses se passent puis l’UPR rend la salle, on se retrouve au siège, en face, pour un verre de l’amitié, on trinque à la cuvée UPR, un champagne. Moment festif. Soirée bouclée à 3 heures du matin.
Problème : plus tôt, dans l’après-midi, un incident a provoqué des tensions entre François Asselineau et son attaché de presse, qui aura des répercussions plus tard : alors que tout le monde est en train de préparer la salle pour la fête, le jeune homme est encore au restaurant avec des amis. «F.A.» l’incendie : «Tu es où, tout le monde t’attend, connard je vais te virer» ; Mathieu répond : «Continue comme ça, et demain l’UPR n’existera plus. Vive la France !»
Un after est organisé non loin, dans une location Airbnb, rue du Moulin-Joly, à 25 minutes à pieds. Le lieu a été booké par un adhérent que tout le monde connaît à l’UPR où on l’appelle «le Suisse». Une trentaine d’adhérents s’y rend. Petit fond sonore, ambiance bon enfant. Mais Mathieu paraît agité. Quand un militant lui demande ce qui cloche, il prend plusieurs salariés à part et les emmène dans une chambre. Ce qu’il va leur raconter va les faire «tomber de leur chaise», rapporte l’un d’eux. Le jeune homme alors âgé de 25 ans dit être harcelé par Asselineau depuis des mois, il n’en «peut plus», ça le «gêne et lui pourrit la vie. F.A. me met la pression, il m’envoie des trucs bizarres», raconte Mathieu. Le «président» l’appellerait tous les jours, lui ferait des avances. Une fois, il lui aurait caressé la main alors qu’il conduisait la voiture du parti. Et une autre, il l’aurait embrassé sur la bouche alors qu’il dormait sur le siège passager. «A chaque fois, je lui dis d’arrêter, mais ça le fait marrer.» Un matin, chez un couple d’adhérents qui a accueilli les deux hommes en marge d’un déplacement près de Bourg-en-Bresse, Mathieu aurait surpris François Asselineau l’observer en train de faire sa toilette, par une fenêtre donnant sur sa salle de bains. «J’ai vu sa grosse silhouette à quelques centimètres de la vitre floutée derrière moi, rapporte Mathieu. Quand je l’ai engueulé, il a nié.»
«J’ai un QI de 162»
Lorsqu’il fait ce récit, Mathieu «a l’air choqué. Choqué et énervé, raconte une personne présente dans la chambre. On voit qu’il n’est vraiment pas bien, il a une sorte de craquage. En même temps, il rapporte des trucs hallucinants, je le regarde et c’est la sidération. Je me dis : « Ces choses paraissent tellement délirantes qu’il exagère forcément. » D’autant plus que ses confessions sortent de nulle part». Ce qu’ignore encore ce cadre, c’est que Mathieu s’est déjà confié à des proches. «Il m’a dit très tôt ses craintes de travailler avec une personnalité pour le moins complexe, dont les sentiments pourraient franchir les bornes de la simple amitié. Tout bien pesé, il a fait le pari qu’une relation tant amicale que professionnelle avec François Asselineau était possible, et qu’il saurait, dans tous les cas, la contenir dans des limites du raisonnable», assure un ami, dans un témoignage envoyé à Libération.
Pour prouver ses accusations, Mathieu montre sur son téléphone des textos et des vidéos de cette soirée arrosée, au restaurant le Cru Rollin, à Paris, où Asselineau s’est lâché. Il veut que les autres voient «l’autre visage» du président de l’UPR. Puis Mathieu fait lire un mail, que des observateurs qualifieront après coup de «tentative d’emprise».
Un dimanche, le 1er décembre 2019, l’attaché de presse s’est rendu à une visite au moulin de Claude François, dans l’Essonne. Et y a pris des photos pour les envoyer à Asselineau et le faire enrager. D’habitude, c’est avec lui qu’il pratique ce genre d’activités culturelles. «J’ai bien fait d’y aller sans toi», lui dit-il. En réaction, l’énarque lui envoie ceci : «Si j’avais un QI de 60, j’aurais déjà oublié que c’est toi qui avais pris l’initiative de me proposer d’y aller ensemble. Tu connais le problème : je n’ai pas un QI de 60. […] Si j’avais un QI de 100, je ferais une scène ponctuée de reproches, je te révélerais que j’ai pleuré comme un enfant abandonné. […] Seulement voilà : j’ai un QI de 162. Pour ce qui concerne notre relation quasi surnaturelle, le processus psychique qui t’anime et celui qui m’anime échappe à nos volontés conscientes. […] En bref, je te manque et tu me manques. […] Depuis ma toute petite enfance, je ne supporte pas que quelqu’un qui me fait une promesse, quelle qu’elle soit, ne la tienne pas. Je vis cela comme une trahison.»
«J’ai lu ces choses ahurissantes en termes de relation particulière, c’était psychologiquement perturbant», raconte une femme présente chez le «Suisse». «On ne peut pas arriver à avoir ce genre de rapport dans un contexte professionnel normal. C’est trop décalé. J’ai dit à Mathieu : « Ça a l’air douloureux, si tu ne le supportes plus, c’est à toi de mettre une limite. Si besoin, tu dois te faire aider, et si tu as été dans une situation compliquée, tu dois porter plainte. Si tout ce que tu dis est vrai, réagi. »»
«Relation socratique»
La jeune femme se méfie : Mathieu n’a pas très bonne réputation à l’UPR. L’embauche du jeune homme à un poste aussi proche du président, sans qualifications, sur la foi de son bagou, n’a pas été vue d’un bon œil en interne. Mathieu a arrêté l’école à 16 ans, n’affiche sur son CV que des petits boulots, il a bossé à l’usine, a été menuisier, peintre en bâtiment, a travaillé en Ephad. Il ne doit son poste d’attaché de presse-chauffeur qu’à la seule décision de François Asselineau. Les deux hommes se connaissent depuis une rencontre au Sommet de l’élevage de Clermont-Ferrand, en 2017, année de l’adhésion de Mathieu à l’UPR. De fil en aiguille, et à force de rencontres, ils sont devenus amis. Asselineau promène Mathieu dans Paris, lui fait découvrir les arènes de Lutèce, la Grande mosquée, le Père Lachaise. Le jeune homme se dit impressionné par celui «qui a été candidat à la présidentielle». Il présente Asselineau à sa grand-mère, ses parents, ses amis. «J’étais fier de me balader avec lui, c’est quand même quelqu’un d’important», raconte Mathieu. Il est embauché le 16 septembre 2019. «C’est après, que l’enfer a commencé.» Jusqu’à ses accusations du 31 janvier 2020, personne ne remarque rien.
Le jeune homme a quand même cherché à en parler au secrétaire général de l’UPR, Benjamin Nart, proche d’Asselineau. Il est allé le voir dans son bureau, au moins deux fois, mi-janvier. «Jusqu’à présent tout s’était bien passé. Mais Mathieu raconte que François le harcèle, qu’il ne peut plus le supporter. C’est assez flou à l’époque. Il lui dit : « Tu as 25 ans tu sais te défendre, tu lui mets une tarte », raconte une source à la direction. A l’époque, il ne parle pas de harcèlement sexuel.» Nart a «un peu sauté sur l’occasion pour lui trouver une porte de sortie, car ce n’était pas un collaborateur en qui il avait confiance. Il lui a dit : « Soit la situation est supportable et tu supportes, soit non et on trouve une solution. »» Mathieu lui montre le mail du «moulin». Sa réaction : «Cela faisait querelle sentimentale. Cela fait penser à une relation socratique, sans la dimension sexuelle.»
Mot d’excuse
Une scène va contredire les impressions de ce collaborateur. Elle a été racontée par des adhérents de l’UPR à son bureau national. Ils ont aussi rédigé un témoignage à l’attention de la police. Ce à quoi ils ont assisté les aurait «marqués pour longtemps».
2 mars 2020. Mathieu, qui ses mis en retrait de l’UPR depuis quelque temps, a invité des amis du parti à dîner chez lui, dans son petit appartement au centre de Paris. Le studio de 17 m2 est chichement décoré, Mathieu le loue 765 euros par mois. François Asselineau s’est porté garant pour le dossier. Dans la pièce unique, il y a «trois fois rien, un microcoin cuisine, un canapé, deux tabourets». Au bout d’un certain temps, Mathieu apprend à ses invités ce qui s’est passé le soir du Brexit. «Il nous dit être victime de harcèlement. Qu’il reçoit une pluie de mails, de messages d’Asselineau, racontent des témoins à Libération. Pendant qu’on prenait l’apéritif, F.A. tentait d’ailleurs de le joindre, on lui dit qu’il pouvait le rappeler devant nous.»
Mathieu téléphone donc au président de l’UPR et active son haut-parleur. L’échange va durer quarante-cinq minutes. «On a assisté à une conversation indescriptible, tant elle était malsaine, glauque. C’était délirant, pervers.» A l’autre bout du fil, François Asselineau a l’air de «simuler des pleurs» : «Je t’ai cherché toute la journée, je me sens mal, je suis très angoissé par la situation.» Puis, devant la froideur de Mathieu, il va subitement changer de ton. Débute une série de reproches : «ce n’est pas bien d’aller raconter que je te harcèle. Je t’aime, et toi aussi, tu m’aimes». L’autre répond que non. Asselineau : «là, tu dis ça parce que tu n’es pas lucide. Tu es rarement lucide d’ailleurs.» Il veut désormais passer chez Mathieu. «J’entends un homme qui n’a plus aucun sanglot dans la voix, une voix sans affect, qui tente de s’imposer», raconte un témoin. «Toutes les phases de la manipulation y passent.» Comme il n’obtient rien, l’homme politique va encore changer de registre. Asselineau aborde maintenant la question du contrat de travail de Mathieu, en CDD jusqu’à fin mars. «Tu en es où des dossiers ? Je ne te paye pas à rien foutre !» Et soudain fait cette proposition : «J’aimerais pouvoir te garder, mais les autres ne vont pas vouloir que je t’impose si tu ne me signes pas cette lettre.»
La lettre en question est un mot d’excuse qu’Asselineau a rédigé à la place de Mathieu, dans lequel il revient sur ses accusations du 31 janvier 2020. Il hurle : «Tu vas me le signer parce que François Asselineau te le demande !» Son contenu : «Monsieur le Président, je vous [présente] mes excuses sincères et tous mes remords pour la conduite inacceptable que j’ai eue dans les heures suivant [la grande fête du Brexit]. Vous savez que fréquenter les hautes sphères de la politique est très nouveau pour moi. […] Je me suis hélas laissé entraîner à outrepasser mon rôle. Ayant abusé d'[alcool], j’ai craqué nerveusement. J’ai porté contre vous des accusations qui sont à la fois mensongères et abjectes. Avec le recul, je suis honteux et je me rends compte de la gravité de mon comportement. Je me dois de porter à votre connaissance que je souffre parfois de troubles bipolaires de comportement. […] Je vous suis infiniment reconnaissant de m’avoir donné une chance pour sortir de la condition très modeste de mon milieu et d’avoir donné un sens à ma vie.»
Mathieu refuse de signer le document. Avant qu’il raccroche, François Asselineau lui lance : «Tu n’es rien sans moi».
(1) Le prénom a été changé à sa demande.
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