Coronavirus : la prime de la discorde qui fait monter la tension dans les Alpes-de-Haute-Provence

Le personnel de l’hôpital de Digne-les-Bains qui était en première ligne face à l’épidémie ne va pas toucher la prime de 1 500 euros. Une incompréhension qui met le feu aux poudres

Par Jérémy Michaudet

L’hôpital de Digne-les-Bains était celui de référence pendant cette période de coronavirus dans les Alpes-de-Haute-Provence.PHOTO ARCHIVES STÉPHANE DUCLET

Annoncée par Emmanuel Macron le 25 mars, cette prime (jusqu’à 1 500 euros nets) vise à récompenser les personnels médicaux et médicaux-sociaux (quelle que soit la fonction) pour leur implication durant la crise sanitaire du coronavirus. Non imposable et défiscalisée, cette prime exceptionnelle doit être versée en juillet.

Concrètement, les personnels qui exercent dans les 40 départements les plus touchés par la pandémie doivent tous bénéficier de cette prime à hauteur de 1 500 euros. Pour les autres départements, dont les Alpes-de-Haute-Provence, l’attribution des primes (encadrée par un décret d’application en date du 14 mai avec une modification le 11 juin) entraine une différence qui suscite incompréhension et exaspération.

500, 1000 ou 1 500 euros ?

Une prime de 1 000 euros doit être accordée aux personnels des Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), publics comme privés, et des établissements médicaux-sociaux. Mais à l’hôpital, la situation est bien plus compliquée. À Manosque, 40% (plafond maximal) du personnel peut prétendre à une prime de 1 500 euros, les 60% restants devraient toucher 500 euros. Et c’est au directeur de l’hôpital de déterminer qui de son personnel va recevoir l’une ou l’autre de ces primes.

Une situation embarrassante et inégale pour Franck Pouilly, directeur du groupement hospitalier de territoire des Alpes-de-Haute-Provence qui regroupe huit établissements de santé, dont les hôpitaux de Digne-les-Bains et Manosque. « Nous avons 120 métiers qui travaillent dans un hôpital. La façon dont est distribuée cette prime crée un sentiment d’iniquité entre départements, entre établissements et entre services. Il est très compliqué d’expliquer aux salariés qui ont travaillé tous ensemble la différence dans l’attribution des primes« , regrette Franck Pouilly. Qui va recevoir quoi ? « Un travail est en cours pour distribuer les différentes primes« , indique-t-il. En se basant sur quels critères ? « Une discussion interne est en cours au niveau de l’établissement« , répond Franck Pouilly.

À l’hôpital de Digne-les-Bains, l’ensemble du personnel doit seulement bénéficier de la prime de 500 euros. Pour autant, les deux hôpitaux ont accueilli des patients malades du Covid-19, celui de Digne-les-Bains était d’ailleurs… l’hôpital de référence des Alpes-de-Haute-Provence. À ce titre, le personnel de cet établissement, dit de « première ligne« , aurait donc dû bénéficier d’une attribution similaire à celui de Manosque.

Selon nos informations, le ministère des Solidarités et de la Santé s’est basé sur trois critères afin d’identifier les hôpitaux qui vont bénéficier des primes : le premier, si l’hôpital a été référent dans la prise en charge. Les deux autres critères sont : le nombre de patients Covid-19 accueillis en moyenne par jour (période début mars-fin avril) et le ratio du taux d’occupation des lits de médecine occupés par des malades du Covid-19 afin de mesurer l’impact de l’épidémie sur l’établissement. Problème : ni l’hôpital, ni l’Agence régionale de santé (ARS) ne disposent visiblement de ces chiffres qui sont issus de la base de données SI-VIC (mis en place suite aux attentats de 2015) qui permet le suivi des patients en milieu hospitalier.

« On a désormais les critères qui ont été pris en compte mais il nous manque à ce jour les éléments chiffrés permettant de comprendre pourquoi il y a un traitement différencié entre l’hôpital de Digne-les-Bains et celui de Manosque« , souligne Anne Hubert, déléguée départemental de l’Agence régionale de santé (ARS). Une autre inconnue : le montant total des aides attribuées dans le département.

« On se sent oubliés, l’ensemble du personnel n’a pas l’impression d’être considéré, nous sommes le seul hôpital de France ayant le Smur et la réanimation Covid-19  à ne pas bénéficier de la prime de 1 500 euros« , appuie le docteur Adrien Roques, responsable du service de réanimation à l’hôpital de Digne-les-Bains. Toujours à Digne-les-Bains, le service blanchisserie a nettoyé le linge contaminé de quasiment tous les hôpitaux du département !

La défense d’une prime universelle

Les syndicats sont vent debout face à cette prime de la discorde. Et pour le coup leur revendication apparaît bien plus claire : « Une prime de 1 500 euros pour tous, et identique sur l’ensemble du territoire, dit Gisèle Adoue, secrétaire départementale FO Santé 04. Mais attention, cette prime ne doit pas masquer le besoin d’augmentation des salaires« . La CFDT défend également l’attribution d’une prime « universelle et égalitaire pour l’ensemble des professionnels de tous les secteurs de la santé, (sanitaire, sociaux, et médico-sociaux) publics et privés« , explique Kamal Baba-Hamed, secrétaire général du syndicat CFDT Santé-Sociaux pour les Alpes-de-Haute-Provence.

« Que ce soit au niveau des services, des établissements et des territoires, le gouvernement et ses relais sur le terrain sont en ce moment en train de mettre en place une gestion à la carte (conditions de travail, rémunération, contrat, accès aux soins) qui créée une inégalité de traitement insupportable pour les personnels comme pour les usagers« , dresse comme constat Cédric Volait, délégué départemental et coordinateur de la CGT santé Paca.

La maire prête à attaquer le décret

« Le personnel de l’hôpital de Digne-les-Bains se sent abandonné et dévalorisé« , s’insurge la députée des Alpes-de-Haute-Provence, Delphine Bagarry, médecin de profession. « Je suis choquée par cette prime différenciée« , explique celle qui a travaillé à l’hôpital de Manosque durant la crise sanitaire. « J’ai écrit quatre fois au ministre de la Santé et j’ai demandé un entretien à Olivier Véran pour demander les critères d’attribution des primes mais je n’ai toujours pas eu de réponse. Cette prime on ne la comprend pas et elle divise les soignants, Digne n’est pas un sous hôpital », précise la parlementaire qui affiche une fois de plus son désaccord avec la majorité présidentielle. Et de conclure « si je devais toucher la prime je la refuserais !« 

Le maire de Sisteron et président de l’Association départementale des maires de France (AMF), Daniel Spagnou, a lui aussi adressé un courrier à Olivier Véran dans le but de « réparer cette injustice« .

« C’est d’une absurdité folle« , s’énerve ouvertement le maire de Digne-les-Bains, Patricia Granet, qui a été malade du Covid-19 à la mi-mars. « Ni l’Agence régionale de santé (ARS), ni la direction de l’hôpital ne sont en cause, c’est de la faute du gouvernement. Je suis prête à accompagner le personnel et les syndicats à Paris pour rencontrer Olivier Véran. On étudie la possibilité d’attaquer le décret en justice si cela n’aboutit pas« , promet-elle. Médecin de profession, « pour moi c’est d’autant plus injuste car j’ai vu les personnels travailler d’arrache-pied« , soupire Patricia Granet, qui exerce encore à l’hôpital de Digne-les-Bains.

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