Auditionné par les députés, ce mercredi, le directeur de l’IHU de Marseille, à l’origine du traitement controversé à base d’hydroxychloroquine a pointé les erreurs faites, selon lui, au niveau des tests ou encore du port du masque, et dénoncé des conflits d’intérêt. Le point sur ses déclarations.
[Mis à jour le 24 juin à 20h38] « L’organisation des tests a été archaïque. » Ce mercredi 24 juin, face aux députés, Didier Raoult n’a pas fait grand mystère de son opinion sur la manière dont a été gérée la crise du coronavirus. Tout au long de son audition, le directeur de l’IHU de Marseille a multiplié les reproches et laissé poindre des rancœurs. Ce dernier est d’abord revenu sur l’étude du magazine britannique The Lancet, qui avait publié une étude avançant l’inutilité, voire la dangerosité de son traitement à base d’hydroxychloroquine : « Il suffisait de lire pour se rendre compte que ce n’était pas vrai. » Au passage, Didier Raoult a pointé du doigt ce qu’il estime être un conflit d’intérêt avec le fabriquant d’un potentiel traitement concurrent de l’hydroxychloroquine, le laboratoire Gilead, qu’il soupçonne donc d’être derrière l’étude.
Le directeur de l’IHU a ensuite fustigé plusieurs décisions prise par le gouvernement, notamment « l’idée fausse » que des tests ne pouvaient être menés, mais aussi le confinement : « La décision du confinement comme celle des masques dans la rue ne reposent pas sur des données scientifiques établies, claires et démontrables. » Autre cible de Didier Raoult, le ministère de la Santé. « Je ne comprends pas que l’on puisse interdire une molécule qui a été, encore une fois, prescrite l’année dernière », a-t-il martelé, rappelant qu’il y avait 0,5% de mortalité « chez les gens qui ont reçu ce traitement ». Un protocole expérimental que le professeur n’a pas manqué de vanter à nouveau, en assurant que « 50% des médecins dans le monde » l’utilisent.
Durant des semaines, des mois même, le professeur Raoult s’était bien gardé de s’en prendre à Emmanuel Macron et au gouvernement pour la gestion de la crise du coronavirus. Mais manifestement, les coups qu’il a reçus depuis le mois de mars de la part de nombreux scientifiques et de la part du ministère de la Santé, pour le manque de rigueur méthodologique de ses travaux, ont eu raison de sa réserve. Dans une interview à La Provence publiée mardi, l’infectiologue a d’ailleurs estimé que l’exécutif n’avait pas agi de manière assez rationnelle. « La plus grande faute gouvernementale ne concerne pas les décisions sur la chloroquine. Ils ont été embarqués dans une histoire dont ils n’arrivaient plus à se sortir, dans l’émotion, ils étaient dans la surréaction. En revanche, on a fait tout l’inverse de ce que l’on doit faire dans le traitement des maladies infectieuses », a-t-il déclaré.
Pour le médecin, le Conseil scientifique mis en place par Emmanuel Macron a alimenté les spéculations sur le virus. « Si cela avait été un vrai Conseil scientifique, on aurait fait des sondages dans quatre ou cinq endroits pour mesurer la cinétique de l’épidémie. On aurait eu des chiffres plutôt que des fantasmes », a-t-il assuré, sûr d’avoir pu éviter le décès de milliers de personnes s’il avait été entendu. « Si on n’avait pas eu peur, on aurait eu deux fois moins de morts, si on m’avait écouté, on aurait eu deux fois moins de morts », a-t-il déclaré. Et d’ajouter : « Parmi ces morts, plus de la moitié l’ont été, non pas en raison de la mauvaise gestion médicale, ni du Covid, mais du bordel qu’on a foutu dans la santé, car en pratique on n’a pas soigné les gens ».
Un ego surdimensionné ? « On n’est pas tous égaux »
Ce mercredi 24 juin, au Parisien qui lui fait remarquer le nombre très important de ses publications dans des revues scientifiques sèment le doute chez ses collègues, il a répondu : « Est-ce que vous demandez comment Mozart a fait ? Je vais même vous dire, en plus de 150 publications par an, j’ai écrit dix livres en même temps. On n’est pas tous égaux. Dans ce pays, on adore décapiter les gens ».
Ce fils de médecin militaire est un homme d’idées et de positions, avant son exposition au grand public pour ses travaux sur la chloroquine. L’infectiologue avait émis des avis polémiques notamment sur le réchauffement climatique. Récemment dans l’Obs, il avait justifié : « Je suis un stoïcien. La seule chose qui compte, c’est l’estime de moi-même. Avec mon expérience et celle de ma famille, même si la majorité des gens disent que quelque chose est vrai, je me donne le droit de douter et de tout remettre en cause. Le réchauffement climatique, à titre personnel, je ne le vois pas. Mon métier, c’est d’être lucide. » En 2016, dans une tribune publiée dans Le Point, le directeur de laboratoire prenait position contre l’interdiction du voile dans les universités. « Mon laboratoire de la faculté de médecine de la Timone, à Marseille, compte actuellement 115 étrangers en stage de niveau thèse et post-doctoral. Parmi ceux-ci, des femmes portent un foulard, d’autres sont en minijupe et bas résille, et tous travaillent ensemble », avait-il clamé.
Le professeur Raoult a un égo assez conséquent et il ne s’en cache pas. « Dans mon monde, je suis une star mondiale », avait-il déclaré dans La Provence fin mars. Et pour cause, son unité de recherche rassemble 207 chercheurs et produit 348 articles scientifiques par an en moyenne. Par ailleurs, le microbiologiste a été lauréat du grand prix de l’Inserm 2010 pour ses travaux sur les pathogènes et la co-découverte de virus géants.
FACE AUX DÉPUTÉS, DIDIER RAOULT LIVRE SA VISION DE LA GESTION DE L’ÉPIDÉMIE DE CORONAVIRUS
Maxence Kagni – Jason Wiels – Aurelien Meslet
Auditionné mercredi par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, le chercheur dresse un bilan sévère de la réponse épidémiologique française, dénonce les conflits d’intérêts entre monde médical et pharmaceutique et critique le résultat des études contraires sur l’hydroxychloroquine, dont il continue de défendre les vertus contre le Covid-19.
C’est l’une des révélations médiatiques de la crise du Covid-19. Le professeur Didier Raoult, directeur de l’Institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses de Marseille, à la carrière d’infectiologue et de microbiologiste reconnue, s’est illustré en étant l’un des premiers à proposer un traitement controversé, mais selon lui efficace, contre le Covid-19.
Devant les députés, Didier Raoult a une nouvelle fois défendu l’hydroxychloroquine, alors même que des études n’ont pas mis en évidence d’effet bénéfique. Et au-delà de son traitement, il a répondu aux questions de la commission d’enquête parlementaire sur l’épidémie. Que faut-il retenir de son audition ?
LA FRANCE « AVAIT LES MOYENS » DE TESTER MASSIVEMENT
« Je ne suis pas d’accord que l’on ne pouvait pas faire les tests, on pouvait les faire », cingle d’emblée Didier Raoult. Alors que nos voisins et notamment l’Allemagne ont mené des politiques de dépistage beaucoup plus massive que la France, le chercheur explique être « le premier » à expliquer directement à Emmanuel Macron que la mise en place de tests PCR (par voie nasale) « était très simple » et que « tout le monde pouvait la faire » :
Lui-même assure avoir fait « tourner la machine » jusqu’à faire préparer « 450 000 » kits pour dépister les malades.
Comment expliquer ce retard français ? Didier Raoult a la dent dure contre le système des centres nationaux de référence, qui ne permettrait pas d’avoir une réponse moderne aux crises épidémiques, tant en termes moyens que de méthode :
De manière plus large, le scientifique juge que la France n’est pas armée pour se mettre en ordre de bataille contre les pandémies. Il formule à ce titre une proposition : multiplier le nombre d’IHU dans tout le pays.
LE CONSEIL SCIENTIFIQUE CRITIQUÉ
Bien qu’il n’en ait pas formellement démissionné, Didier Raoult a en pratique très rapidement cessé de venir aux réunions du conseil scientifique où il avait été nommé par Olivier Véran aux côtés d’autres blouses blanches.
Jean-François Delfraissy, le président de cette instance créée de toute pièce début mars pour « éclairer la décision politique », a d’ailleurs regretté ce retrait devant la commission d’enquête.
« Les discussions de ce conseil scientifique ne me concernaient pas », explique dans un premier temps Didier Raoult, qui n’avait de toute façon « pas le temps » pour y siéger. Il souligne ensuite qu’on n’y parlait pas assez de science, avec des essais cliniques décidés en dehors de l’instance. Enfin, il considère que les meilleurs spécialistes du coronavirus n’y étaient pas représentés.
UN TRAITEMENT SOUS INFLUENCE INDUSTRIELLE ?
Autre sujet sensible : la manière dont les essais thérapeutiques ont été conduits. L’ont-ils été en toute liberté, uniquement guidés par l’intérêt des malades ? Ou des enjeux financiers et industriels ont-ils influencé les décisions en haut lieu ?
Pour le directeur de l’IHU de Marseille, la réponse est très claire : le laboratoire américain Gilead, promoteur de la molécule remdésivir contre le Covid-19, a clairement poussé ses intérêts commerciaux au détriment de l’hydroxychloroquine, tombé de longue date dans le domaine public.
Le scientifique affirme même avoir été menacé personnellement par un confrère lié à Gilead. Il a porté plainte.
« Je ne vous dis pas que les gens ont été achetés », modère-t-il cependant. Il décrit plutôt tout un « écosystème » médicalo-industriel, qui amène « à une vision de nature à changer le jugement des choses ».
Ce « système » s’est-il retrouvé tout en haut de la décision publique ? La députée Martine Wonner (EDS) l’interroge justement sur le rôle de Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Bichat, et promoteur du remdesivir :
« Quand j’ai commencé à discuter avec le ministère, on m’a tout de suite dit celui qui va gérer les essais, c’est Yazdan Yazdanpanah. Et dès le début, il ne m’a parlé que du remdesivir », confirme Didier Raoult sans toutefois en tirer de conclusions.
Il dit plus généralement douter de la « qualité de l’environnement », comprendre les personnes, gravitant autour du ministre « pour les choix des médicaments et des thérapies ». Sans donner précisément de noms, il estime que des « conflits d’intérêts extrêmement sérieux » minent aussi la Haute autorité de Santé, l’autorité indépendante qui régule le monde médical français.
RAOULT À MACRON, UN LIEN RÉGULIER
S’il se montre très sévère envers les éminences grises de l’exécutif, le professeur marseillais se montre moins dur à l’égard des décideurs eux-mêmes, au premier rang desquels Emmanuel Macron et Olivier Véran. Il assure avoir communiqué régulièrement avec eux : « À chaque fois que nous avons trouvé quelque chose, nous en avons toujours parlé avec le ministre avant d’en parler publiquement », détaille-t-il.
Il dévoile aussi une partie de ses conversations avec le président de la République, comme l’idée qu’il lui partage de remettre au goût du jour la médaille des épidémies pour le personne médical :
UN VACCIN PAS POUR DEMAIN ?
Au moment où la recherche mondiale est en quête d’un vaccin contre le coronavirus, Didier Raoult explique que ce processus s’avère « complexe bien qu'[il] n’en connaisse pas l’issue ». Il prend ainsi l’exemple d’un vaccin récent, celui contrel a dengue, qui a eu des effets contre-productifs :
REPRISE ÉPIDÉMIQUE « POSSIBLE » APRÈS L’ÉTÉ
Questionné sur la possibilité d’une « deuxième vague » en France, Didier Raoult se montre aussi très prudent. Selon lui, des pays comme la Nouvelle-Zélande, actuellement en hiver, seront un bon indicateur d’une possible réactivation du virus lors du retour de période froide en Europe :
L’HYDROXYCHLOROQUINE SERA « DANS LES LIVRES DE RÉFÉRENCE »
« Pourquoi n’avez-vous pas fait des essais cliniques dignes de ce nom dès le départ ? » La question de Philippe Berta, élu MoDem et généticien, a piqué au vif Didier Raoult. Pour lui, aucun doute, sa solution thérapeutique s’imposera à terme et l’histoire lui donnera raison :
Il en profite au passage pour éreinter à nouveau l’étude publiée dans The Lancet le 22 mai, et retirée depuis. « Des Pieds nickelés de la recherche », expédie-t-il. Cette étude morte-née avait conduit à la suspension de l’usage de son traitement en France, ce que dénonce vivement le chercheur :
Sur l’essai ReCovery, une étude anglaise publiée début juin démontrant un effet nul du dérivé de la chloroquine sur les malades, il estime que la méthodologie pose un problème, avec une dose prescrite « quatre fois » trop élevée.
Le chercheur n’a toutefois pas mis en avant d’autres études que son propre protocole pour avancer les vertus de son traitement. Et pour cause : aucune autre étude n’est venue pour l’instant étayer ses hypothèses.
LE BILAN CHINOIS SALUÉ
Sur les responsabilités de Pékin depuis le début de la crise, le professeur Raoult estime ne « pas voir de raisons de ne pas croire » les chiffres donnés par les autorités chinoises. « En tout, cela fait à peu près 6.000 morts tout ça, à la fin de l’année si quelqu’un arrive à voir la différence [dans ce pays] avec 6.000 morts il est fort », a déclaré l’infectiologue, qui estime même qu’il y a eu une « surréaction de la Chine ».
HUBEI, C’EST LA POPULATION DE LA FRANCE ET LE NOMBRE DE MORTS EN CHINE C’EST LE NOMBRE DE MORTS EN ILE-DE-FRANCE, C’EST ÇA LA RÉALITÉ. DIDIER RAOULT
« Le plus grand bénéficiaire de la crise au monde, c’est la Chine », estime le professeur, ajoutant que « l’on a tout acheté là-bas puisque nous on ne sait pas faire de la manufacture ». Didier Raoult assure par ailleurs que la Chine « a beaucoup plus souvent appliqué des stratégies thérapeutiques avec laquelle [il était] d’accord ».
Une occasion de pointer en creux le lourd bilan européen : « En Europe de l’Ouest les gens se sont crus plus malins, ils ont de mauvaises habitudes et c’est là que l’on est mort le plus. »
>> Revoir l’intégralité de l’audition du professeur Didier Raoult
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