EAU DOUCE EN FRANCE DES ÉTÉS EN PENTE RAIDE

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Doit-on s’habituer aux étés très secs ? Aux restrictions d’eau pour les agriculteurs ? A l’interdiction de remplir les piscines privées  ? Aux incendies ? Décryptage au long cours de la sécheresse qui guette en métropole.

A l’été 2019, la France a connu une sécheresse d’ampleur exceptionnelle : plus de 80 départements ont dû prendre des mesures pour limiter la consommation de l’eau douce, contre une vingtaine les années précédentes. En Ariège comme en Haute-Saône, les ruptures d’approvisionnement ont atteint 100 jours et plusieurs communes de Corrèze ont dû être ravitaillées en eau potable par des citernes. Plusieurs réacteurs nucléaires ont été ralentis ou mis à l’arrêt. Cet été, dès le 10 juillet, la préfecture de Meurthe-et-Moselle a été la première à prendre un arrêté préfectoral prévoyant des «limitations provisoires d’usage de l’eau». Dix jours plus tard, 38 départements sont soumis à des restrictions d’eau. Alors que l’hiver et le printemps ont été plus chauds que la normale, un nouvel épisode de sécheresse est redouté sur tout le territoire. Chaque année, la situation semble s’aggraver et la pénurie d’eau pendant les mois chauds de l’année s’installe comme une nouvelle norme.

Indispensable pour la production d’énergie, le fonctionnement des industries, l’agriculture et la vie quotidienne des particuliers, l’eau douce n’est pourtant pas une ressource rare dans l’Hexagone. Chaque année, en plus du stock d’eau dont nous disposons, environ 400 milliards de mètres cubes d’eau de pluie arrosent la France (en savoir plus) et l’on prélève entre 800 et 1 000 milliards de m3, dont une très grande majorité retourne dans le milieu naturel.

Peu à peu, la disponibilité de cette eau évolue. Depuis les années 50, les spécialistes ont noté une légère augmentation des précipitations dans le nord du pays (Bretagne, Pays-de-la-Loire, Nord-Est et Alsace) et une légère diminution sur le Sud-Ouest et le pourtour méditerranéen. Le constat est proche si l’on observe non seulement les précipitations mais aussi l’état des rivières : une baisse des débits moyens est notable dans le sud de la France. «L’agence de l’eau Adour-Garonne va publier une étude qui montre une baisse très nette et très forte des débits moyens entre 1972 et 2017 et des baisses encore plus marquées des débits d’étiage [le niveau le plus bas d’un cours d’eau, ndlr]», précise Jean-Philippe Vidal, chargé de recherche en hydroclimatologie à l’Institut national de la recherche agronomique et de l’environnement (Inrae). En parallèle, «une autre étude en cours à laquelle je participe et qui porte sur les Pyrénées françaises et espagnoles met aussi en avant des tendances à la baisse de l’ordre de 30% en moins sur soixante ans, poursuit-il. Nous sommes par ailleurs en train d’actualiser les données sur l’ensemble de la France qui est un peu coupée en deux selon un axe Bordeaux-Strasbourg. Au sud de cette ligne, on a quasiment partout des baisses significatives qui sont du même ordre de grandeur que dans les Pyrénées». Si la pluie continue de tomber, elle se fait plus rare dans le sud du pays et les rivières se vident.

L’eau est-elle condamnée à devenir de moins en moins accessible en métropole ? On sait en tout cas que les sécheresses sont devenues de plus en plus fréquentes. «La fraction moyenne du territoire qui est touchée par une sécheresse a à peu près doublé dans les soixante dernières années», explique Pierre Etchevers, climatologue à Météo France. De 5 % du territoire concerné dans les années 1960, on a atteint 10 % en moyenne dans les années 2010.

Sur plusieurs points du territoire, les inquiétudes grandissent et des «batailles de l’eau» se font jour : barrage de Sivens (abandonné en 2015 après la mort de l’activiste Rémi Fraisse), nappes souterraines de Vittel, retenues de «substitution» en Sèvres niortaise, digue du lac de Caussade pour laquelle deux commanditaires de la construction ont été condamnés à de la prison ferme le 10 juillet… Dans un rapport parlementaire publié en juin, la députée LREM Frédérique Tuffnell considère même que «l’enjeu de la ressource en eau a le potentiel pour devenir, au cours de ce siècle, le point focal des conflits à l’échelle de notre pays, de l’Europe et même de la planète».


Face à la sécheresse, mieux vaut prévenir

Par Aurore Coulaud et Margaux Lacroux — 
Près de Lille, où des restrictions d'eau sont en vigueur, le 17 juillet.
Près de Lille, où des restrictions d’eau sont en vigueur, le 17 juillet. Photo Denis Charlet. AFP

Recyclage, partage, développement de nouvelles méthodes agricoles… Face aux crises météo qui assoiffent le territoire, des solutions existent. Reste à les mettre en œuvre.

Comment mieux anticiper les périodes de sécheresse qui entraînent de multiples difficultés, de l’agriculture à l’approvisionnement en eau potable, en passant par l’énergie ? Pour Laurent Roy, directeur de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, la priorité est aux «économies d’eau tous azimuts». D’un côté, plus de sobriété, de l’autre on répare les fuites dans les réseaux d’acheminement, gros facteur de gaspillage. La France est déjà passée de 40 % à 20 % de déperditions. Les particuliers, eux aussi, peuvent chasser les fuites, installer des économiseurs d’eau, récupérer l’eau de pluie pour arroser le jardin. Et les dernières assises de l’eau ont encouragé les industriels à recycler l’eau en interne. Mais cela repose sur de la bonne volonté. Toutefois, les préfets peuvent imposer aux usines de limiter leur consommation.

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Autre point à développer: les «eaux alternatives». Plutôt que de déverser dans la mer les eaux traitées dans les stations d’épuration, mieux vaut qu’elles servent à arroser les golfs, les espaces verts et même les champs. Cela évite d’utiliser l’eau potable. Une piste intéressante pour le maraîchage ou l’arboriculture. A terme, le goutte-à-goutte peut remplacer le système de canaux pour alimenter les champs. On divise ainsi par cinq la consommation d’eau pour un même rendement. Pour se mettre à l’abri de la pénurie de paille, certains éleveurs diversifient aussi le fourrage avec de la luzerne, peu demandeuse d’eau.

«Droit d’eau» pour les agriculteurs

Le Bureau de recherches géologiques et minières réfléchit lui à développer des solutions de gestion de l’eau pour les agriculteurs. «Dans des situations tendues, on a identifié des allocations en eau. C’est-à-dire qu’on donne aux agriculteurs un droit d’eau avec tant de mètres cubes pour toute l’année en fonction du niveau des nappes», explique Jean-Christophe Maréchal, hydrogéologue et directeur d’unité de recherche au BRGM. Pour faire en sorte que les agriculteurs respectent les quotas, l’organisme travaille sur divers instruments économiques. Exemple : s’ils dépassent, ils paieront une taxe supplémentaire. Au contraire, ceux qui respectent les quotas se partageront les bonus. Autre exemple : le contrat de solidarité qui lie plusieurs agriculteurs. Ceux qui ont un surplus d’eau le donnent à leur voisin. Mais pour le moment, pas question de créer un marché dans lequel on vendrait et achèterait de l’eau. «Ça se fait principalement en Australie et au Chili, mais ce n’est pas envisagé chez nous car en France l’eau est un bien commun et non marchand», poursuit encore le spécialiste.

Les Agences de l’eau encouragent également le développement de l’agro-écologie, modèle plus durable qui repose sur un usage raisonné des ressources en eau. Il faut adapter les variétés cultivées au climat local, qui se réchauffe, diversifier les cultures et remettre des arbres dans les champs. Cette technique, l’agroforesterie, limite l’évaporation de l’eau et fait descendre la température. Les racines des arbres aèrent le sol et freinent l’écoulement des eaux. La préservation et la restauration des zones humides à proximité des cours d’eau sont aussi cruciales. Les prairies permettent par exemple d’absorber comme des éponges ce qui déborde lors des crues. Le BRGM préconise d’ailleurs de réinfiltrer le surplus d’eau dans les nappes. Une solution artificielle qui s’ajoute à celles «fondées sur la nature», les plus efficaces sur le long terme. En ville, le bétonnage limite l’infiltration de l’eau dans le sol. Là aussi, il faut revégétaliser. Lyon va, par exemple, enherber ses voies de tramway pour mieux récupérer l’eau de pluie. Toits et murs végétaux, arbres et jardins permettent de lutter contre la chaleur en ville et d’atténuer le changement climatique en absorbant du CO2.

Dernier levier, plus polémique : la construction de barrages pour former des retenues d’eau artificielles, afin de stocker l’eau l’hiver pour l’utiliser l’été. Une «fausse solution» pour France Nature Environnement, selon qui le procédé contribue à assécher les cours d’eau en aval. «Ça n’est pas tabou mais ce type de stockage doit faire partie d’un panel de solutions», tempère Laurent Roy. «On se crée de fausses sécurités. On va avoir de plus en plus de mal à remplir les barrages. La France a déjà des milliers d’ouvrages. Quand on en rajoute un, il entre en concurrence avec les autres», rétorque Florence Denier-Pasquier, qui ajoute que l’eau stagnante va davantage s’évaporer à cause de la hausse des températures. Pour elle, la meilleure solution pour lutter contre la sécheresse reste celle fournie par la nature : l’infiltration d’eau dans les villes et les campagnes.

Aurore Coulaud Margaux Lacroux

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