Le phénomène se répète désormais chaque année, à la même période. Une énorme flotte de pêche chinoise, composée de 260 navires, navigue en ce moment-même dans les eaux internationales au large de l’Amérique du Sud, entre la zone économique exclusive de l’Equateur et la réserve marine de l’archipel des Galapagos. Si les bateaux chinois ne sont pas pour l’heure en situation illégale, l’importance de la flotte fait peser un risque important sur l’écosystème marin local situé très loin du territoire Chinois. Les autorités équatoriennes gardent un œil attentif sur la situation, après l’arraisonnement en 2017 d’un navire chinois dont les cales contenaient 300 tonnes de poissons, dont de nombreuses espèces en voie d’extinction.
En 2013 déjà, une étude internationale publiée dans la revue scientifique Nature alertait sur la pression démesurée des bateaux de pêche chinois sur les océans de la planète. Ce rapport, coordonné par le célèbre biologiste Daniel Pauly, chiffrait pour la première fois l’ampleur du pillage des ressources halieutiques du globe par la Chine. Entre 2000 et 2011, ce serait jusqu’à 6,1 millions de tonnes de poissons par an qui seraient pêchées par les flottes du pays. Pour la même période, Pékin ne déclarait pourtant qu’autour de 368 000 tonnes de poisson par an auprès de l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO). Des déclarations qui sont donc douze fois moindres que les chiffres collectés par les experts du secteur !
La Chine, plus gros pêcheur du globe
Depuis, la Chine se hisse chaque année en tête des pays qui pêchent le plus de poissons, et les quantités sont en constante augmentation, avec pas moins de 15 millions de tonnes pêchées par an selon les chiffres publiés par la FAO en 2018. Si une partie des pêches chinoises se fait au sein de sa propre zone économique exclusive (la partie de son littoral qu’elle est en droit d’exploiter librement), une large part de ces ressources sont puisées dans les eaux internationales, loin de la Chine. De nombreux navires chinois profitent également de la faiblesse des forces navales de certains pays pour piller leurs zones exclusives.
Une réalité particulièrement prégnante en Afrique, ce qui pénalise les économies des pays en question, prive les pêcheurs locaux de moyens de subsistance (générant une émigration forcée) et menace fortement les écosystèmes marins. En Amérique du Sud aussi, les navires de pêche chinois sont de plus en plus présents. Parmi ces flottes gigantesques, on retrouve des chalutiers de toute taille mais aussi d’autres bateaux comme des navires frigorifiques. D’autres embarcations peuvent ainsi y transférer leurs captures directement en mer, et bien que le transbordement puisse être légal, il sert souvent à blanchir les profits de la pêche illégale.
Des espèces protégées dans les cales d’un navire chinois
Parmi les pays les plus affectés par le phénomène, l’Equateur occupe une bonne place. En 2017, les autorités avaient repéré une immense flotte au large de ses côtes, forte de 297 bateaux de pêche. Parmi ceux-ci, la marine équatorienne avait pu arraisonner un chalutier chinois au large du Galapagos. Le Fu Yuan Yu Leng 999 recelait dans ses cales pas moins de 300 tonnes de poissons, dont de nombreuses espèces protégées, plus de 6.600 requins, notamment des requins marteau, en voie d’extinction, et des requins soyeux.
L’enquête révélera par la suite que le navire récupérait les prises d’une centaine de bateaux de pêche naviguant à la limite des eaux territoriales aux alentours. Quito avait à l’époque convoqué l’ambassadeur de Chine pour lui remettre une protestation officielle, et la justice équatorienne a condamné les propriétaires du navire battant pavillon chinois à une amende de quelques six millions de dollars. Le capitaine et ses trois adjoints avaient également écopé de trois ans d’emprisonnement, et les 16 autres membres d’équipage avaient été condamnés à un an de prison. Pas de quoi ralentir le phénomène.
Les Galapagos, deuxième plus grande réserve marine
La présence répétée de flottes de pêche est d’autant plus inquiétante que la réserve maritime proche des Galapagos, la seconde plus étendue du globe avec ses 133 000 km2 de surface, abrite de nombreuses espèces marine protégées. Le gouvernement équatorien s’est d’ailleurs beaucoup investi dans la préservation de ce patrimoine. Seule la pêche artisanale est autorisée au sein de la réserve, et la pêche industrielle est interdite. La Chine et l’Equateur sont par ailleurs membres de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer, ce qui impose aux deux pays de contribuer à la préservation de la faune marine, et notamment des espèces migratoires et des plus vulnérables.
Car la pression que fait subir cette pêche intensive concerne aussi les eaux internationales. Les zones marines protégées délimitées par les humains importent en effet peu aux grands poissons et cétacés qui parcourent de longs chemins migratoires à travers les océans. Mais l’intervention des autorités est seulement possible lorsque les navires pénètrent à l’intérieur des réserves, et ceux-ci peuvent simplement attendre les poissons à la limite de ces zones.
Une problématique commune à de nombreux pays
Chaque année, à cette période de l’année, c’est donc une large flotte qui arrive dans la région. Cette fois, ce ne sont pas moins de 260 navires chinois qui naviguent dans le Pacifique, comme l’ont confirmé les autorités de l’Equateur dans les médias locaux. « Tous les pays de la région sont inquiets de la présence de cette flotte chinoise composée de chalutiers, mais pas seulement, a déclaré le contre-amiral Darwin Jarrín, à la tête de la marine équatorienne. Il y a aussi des pétroliers, des navires usines, des navires logistiques qui couvrent et peuvent facilement pêcher sur une surface de plus de 30 000 km2, équivalente à nos provinces de Guayas, El Oro, Santa Elena et Los Rios. »
Pour renforcer sa flotte afin de lutter contre la pêche illégale, la marine équatorienne s’est donc renforcée. Ironie du sort, elle a même incorporé dans ses rangs le chalutier Fu Yuan Yu Leng, rebaptisé Hualcopo, d’après les informations de RFI. L’enjeu pour le pays est de taille, car c’est non seulement l’équilibre de son écosystème marin qui est en danger, mais aussi la situation économique de l’Equateur. Les autres pays de la région s’inquiètent également de la présence de cette immense flotte qui ratisse tout sur son passage. Il s’agit en effet d’une problématique commune, qui impacte tous les pays qui prennent soin des espèces marines et qui en dépendent économiquement d’une manière ou d’une autre. Cependant, cette pêche industrielle massive dont la taille est proportionnelle à la population chinoise ne doit pas minimiser l’impact des thoniers européens et les effets dévastateurs de la pêche industrielle provenant d’autres pays industrialisés.
Face à l’ampleur des flottes chinoises, des pays comme l’Equateur peuvent rapidement se trouver dépourvus, et il convient surtout d’exiger des organisations internationales le renforcement des traités internationaux de pêche et leur application. Une régulation plus stricte de cette activité dans les eaux internationales semble devoir s’imposer, sans quoi les nombreuses espèces marines protégées ne seront bientôt plus qu’un souvenir, avec le risque à terme d’effondrement des stocks de poissons et les famines qui en découleront.
R. D.
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