« Le recyclage se nourrit du jetable et contribue à perpétuer son utilisation »

Flore Berlingen

01/07/2020

Militante de l’écologie et des communs, directrice de l’association Zero Waste France, Flore Berlingen a publié le 30 juin Recyclage, le grand enfumage : comment l’économie circulaire est devenue l’alibi du jetable (éd. Rue de l’échiquier). Avec son accord, nous reproduisons ici des extraits de l’introduction de ce livre qui brise pas mal d’idées reçues sur le recyclage et les imaginaires qu’il véhicule.

Été 2018. De nouvelles informations révèlent l’état de plus en plus préoccupant de la pollution plastique des océans. Face à une opinion publique « antiplastique1 » qui gagne du terrain, il devient urgent pour les gouvernements européens et les industriels de réagir. (…)

Février 2019. Le gouvernement français et treize géants de l’agroalimentaire2 et de la grande distribution signent un Pacte national sur les emballages plastiques. Il consiste en une série d’engagements volontaires – de promesses, donc – de la part des entreprises signataires. (…)

Juillet 2019. La secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, Brune Poirson, présente son projet de loi anti-gaspillage pour l’économie circulaire qui ambitionne de « transformer notre système en profondeur ». (…)

Ces séquences successives ont donné l’impression, ces deux dernières années, d’une prise de conscience des « décideurs » politiques et économiques, en écho à celle du grand public. (…) La surenchère des termes employés brouille les pistes : lorsque le gouvernement annonce vouloir « stopper le gaspillage », on croirait volontiers à une trajectoire de sortie de l’ère du jetable.

Mais qu’en est-il réellement ? 

Toutes les mesures et propositions de ces dernières années concourent à l’optimisation de l’exploitation des ressources par le recyclage des matières premières, et non à la réduction à la source de leur consommation par la réparation, le réemploi et la réutilisation. Ces deux démarches diffèrent par leur approche et leur objectif : quand la première cherche « à faire de nos déchets des ressources », la seconde vise à « ne pas faire de nos ressources des déchets ». Elles sont pourtant réunies sous l’appellation d’économie circulaire, souvent définie par opposition à une économie linéaire qui extrait des ressources pour produire des biens qui seront ensuite consommés puis jetés. Et ce concept aux connotations optimistes est défendu aussi bien par l’industrie du traitement des déchets, les collectivités locales ou les « start-up à impact » positif que par les militants écologistes. Ces derniers entendent combiner recyclage et réemploi dans le respect d’une hiérarchie stricte, le recyclage n’étant qu’une solution de dernier recours, faisant suite à une utilisation prolongée d’un produit répondant à un besoin jugé prioritaire. Les législations européenne et française reprennent d’ailleurs ce principe de hiérarchie dans la question des déchets3, qui donne théoriquement la priorité à leur réduction.

Le mythe du recyclage à l’infini permet d’éviter toute remise en question sérieuse d’activités économiques surconsommatrices et surproductrices de déchets

Le recyclage apparaît comme la clé du casse-tête de la gestion des déchets. Il semble apporter des réponses simples à des problèmes visibles. Les déchets sont abandonnés en pleine nature et polluent : il suffit de les collecter et de les trier. Leur prise en charge coûte cher : les producteurs acceptent de s’organiser eux-mêmes pour y contribuer financièrement. Le jetable consomme beaucoup de ressources non renouvelables : le recyclage va y remédier et nous faire entrer dans l’économie circulaire. Il a en outre d’autres atouts : économies d’énergie et réduction des émissions de gaz à effet de serre allègent considérablement le bilan environnemental des matières premières recyclées, si on les compare à l’extraction de matières premières vierges.

On a, somme toute, très envie d’y croire. Et si, grâce au recyclage, notre mode de vie occidental devenait tout à coup soutenable, et surtout généralisable ? Ce scénario optimiste, très largement véhiculé de manière implicite ou explicite, est malheureusement irréaliste et potentiellement néfaste. Il agit comme un écran de fumée, à trois niveaux différents que nous nous proposons de décrire dans cet ouvrage. C’est tout d’abord la communication volontariste sur le geste de tri, qui masque les nombreuses autres limites et difficultés du système de recyclage actuel, liées aux choix d’entreprises productrices de biens et d’emballages qui n’assument pas complètement leur « responsabilité élargie ». C’est ensuite le mythe du recyclage à l’infini, utilisé comme un leurre pour éviter toute remise en question sérieuse d’activités économiques surconsommatrices et surproductrices de déchets. C’est, enfin, l’idée trompeuse que le recyclage nous permettrait de rompre avec l’économie linéaire.

En réalité, le recyclage se nourrit du jetable et contribue à perpétuer son utilisation.

1 / Selon les termes de Jean Hornain, directeur général de l’éco-organisme Citeo, dans son rapport d’activité 2018, p. 12. 

2 / Auchan Retail France, Biscuits Bouvard, Carrefour, Casino, Coca-Cola European Partners, Danone, Franprix, L’Oréal, LSDH (Laiterie de Saint-Denis-de-L’Hôtel), Monoprix, Nestlé France, Système-U, Unilever.

3 / Il a été introduit en 1991 par la directive n° 91/156/CEE.

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Image à la Une : Photo by Christian Wiediger on Unsplash

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