Ce que révèle le canular « Hydroxychloroquine »

Rire, bien sûr, mais aussi agir. C’est la leçon qu’il faut tirer du formidable canular dénonciateur opéré par une bande de jeunes scientifiques à l’humour féroce, au détriment de la revue Asian Journal of Medicine and Health. Une revue ciblée pour avoir publié une simili étude promouvant l’hydroxychloroquine pour traiter le Covid-19.

Cette étude (Violaine Guérin et al.) avait été rejetée par toutes les revues sérieuses à laquelle elle avait été envoyée. Et donc finalement publiée dans Asian Journal of Medicine and Health, revue prédatrice comptant parmi ces revues totalement bidon, sans réelle relecture par les pairs et où, moyennant paiement, il est possible de publier… vraiment n’importe quoi. Or, dès après cette publication, de nombreux articles de presse écrite et radio sont venus désinformer leurs lecteurs en s’appuyant sur cette publication pour affirmer qu’il s’agissait de science normale.

Didier Lembrouille et Nemo Macron

Dès lors, une fine équipe s’est demandé comment démontrer que l’on peut vraiment publier n’importe quoi dans cette revue qui prétend être « internationale », et même publier des articles « de haute qualité ». Ils ont alors concocté un article vraiment délirant. Pas en y glissant quelques  incohérences. Non. Chaque phrase est un signal d’alarme rugissant : « ceci est un canular, ceci n’est pas de la science ! ». Les noms et institutions des auteurs sont tous des inventions annonçant le canular : Didier Lembrouille, Nemo Macron (le nom du chien du président, dont le labo est logé « Palais de l’Elysée », un Otter F. Hantome autrement dit un auteur fantôme, Manis Javanica (Pangolin en langage savant) ou encore Sylvano Trottinetta…

Tout est véritablement dingue dans l’article. Je vous laisse savourer la répartition du travail entre les auteurs :

La suite est à l’avenant. Avec une description pleine d’humour au vitriol, truffée d’allusions transparentes aux études favorables à l’hydroxychloroquine et aux déclarations tonitruantes de Didier Raoult prédisant que la Covid-19 ferait moins de morts que les accidents de trottinette.

Il est impossible de lire plus d’une phrase de cet article sans se rendre compte qu’il s’agit d’un pur canular. Il est impossible de ne pas comprendre que les laboratoires où les auteurs sont censés travailler n’existent pas (enfin, oui, le Palais de l’Elysée existe, mais ce n’est pas un laboratoire scientifique…). Il est impossible de prendre cet article pour autre chose que ce qu’il est. Alors pourquoi fut-il publié ? Tout simplement pour gagner les 85 dollars exigés (et présentés comme un rabais de 89 % sur un coût officiel de 500 dollars). C’est le business model de la revue. C’est pourquoi on l’appelle « prédatrice ». C’est pourquoi tout article qui y est publié doit soulever le soupçon en priorité.

Donc, cessons de rigoler cinq minutes et passons au côté sérieux de l’affaire.

► Cette revue est connue comme prédatrice. Donc, tous les journalistes qui ont donné la parole aux auteurs de l’étude favorable à l’hydroxychloroquine auraient dû avoir comme premier réflexe de considérer que le risque qu’il s’agisse d’une mauvaise science frôle les 100 %. Et donc, soit n’en pas parler (meilleure solution), soit en dire le plus grand mal.

► Pourquoi ces revues existent-elles ? Parce que des gouvernements ont cru que la métrique « nombre d’articles » était un excellent moyen de juger de l’activité de recherche, individuelle et collective. Cette méthode accouche d’un désastre. Dans les laboratoires, tout le monde le sait. Adoptée par la plupart des gouvernements, elle aboutit à des fraudes massives, à de la science sans intérêt, et se retourne contre l’intérêt général (dans cette note, je relate une affaire chinoise où des centaines de médecins, poussés à signer n’importe quoi pour obtenir de l’avancement, sont finalement condamnés à des peines de prison). 

►  Que faire ? Bannir la méthode quantitative pour évaluer chercheurs et laboratoires. Mais c’est déjà ce qui est préconisé… même si de la préconisation à la mise en oeuvre, il y a encore très loin (ce serait le boulot du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, le HCERES, d’y contribuer, mais si elle est dirigée par le candidat officiel de l’Elysée – Thierry Coulhon – pour mettre enfin un terme à la vacance de sa présidence depuis l’automne dernier, on peut douter que ce travail soit fait). Donc, il faut agir plus vite et plus fort.

Je suggère que les universités, le CNRS, l’Inserm, le CEA, l’INRAE… bref, tous les employeurs des chercheurs et universitaires fassent un ménage radical : tout chercheur publiant dans l’une de ces revues prédatrices (aux frais de son laboratoire…) devra subir une enquête sur les raisons pour lesquelles il y a recouru, ainsi qu’une sanction, dès lors que celle-ci ferait apparaître qu’il s’agissait de contourner une évaluation par les pairs négative dans les revues normales. Une instruction en ce sens pourrait être donnée par le ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur… si son souci affiché en faveur de l’intégrité scientifique est sincère.

Sylvestre Huet

PS : bien sûr, après le tohu-bohu international déclenché par le canular, la revue l’a fait disparaître de son site Web... une rétraction pour « fraude » a été annoncée, alors qu’il s’agit plutôt d’une démonstration implacable du caractère prédateur de la revue.

Les versions anglaises et française de l’article canular sont téléchargeables ici, où l’un des auteurs raconte en détail toute cette histoire.

► Lettre ouverte à la ministre de la recherche sur l’intégrité scientifique.

► Rétracter un article scientifique a du bon.  Vade-mecum pour l’intégrité scientifique.


 

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