https://www.lemonde.fr/blog/huet/2020/09/24/
Une grande ville d’Amazonie, Manaus, répond à la question : combien de morts si on laisse le Sars-Cov-2 se propager ? Une réponse expérimentale. Donc exempte des doutes qui demeurent sur les modélisations mathématiques. Une réponse massive, c’est une ville d’environ 2 millions d’habitants. Une réponse « optimiste » (c’est une ville jeune, avec moins de 6% de personnes de plus de 60 ans contre 26% en France). Une réponse qui tient un chiffre : environ 3000 morts entre avril et août 2020 attribuables à la Covid-19.
Les auteurs de cet article ont exploité des analyses sérologiques, à la recherche des anticorps signalant que la personne a été infectée par le coronavirus, dans une banque de dons du sang. Ils ont pu de cette manière approcher la véritable circulation du virus dans la population. Leur estimation, après avoir corrigé les données brutes qui la sous-estiment, est qu’environ 66% de la population de la grande cité a été porteuse du Sars-Cov-2. Confronté au nombre de morts attribuables à la Covid-19, environ 3000, cela signifie qu’environ 0,2% des porteurs en sont décédés, un pourcentage tout à fait compatible avec les observations dans d’autres pays. Il est plutôt bas, en raison de la jeunesse de la population de Manaus relativement à la France ou aux Etats-Unis.
Trump a raison (si si)
Avec 66% de la population porteuse, Trump a raison (si si) : le virus s’en va. Faute de nouvelles victimes à frapper, faute de nouveaux porteurs susceptibles d’héberger le virus pour qu’il se reproduise et se déplace avec la personne à la recherche d’autres humains à infecter. C’est ce que les épidémiologistes appellent « l’immunité collective ». Une stratégie tout à fait possible face à un virus bénin. Le Sars-Cov-2 ne l’est pas. Il n’est pas non plus un tueur très efficace, comme le Mers, ou le virus d’Ebola. Il tue surtout les personnes âgées, souvent déjà malades… mais pas seulement. Reste qu’avec cette « expérience involontaire » de la population de Manaus, on sait à quoi s’en tenir si l’on optait pour une telle stratégie, laissant le virus circuler sans entraves, dans une population vaquant à ses occupations – travail, études, loisirs – sans distanciation physique, masque, lavage des mains. Notons que la population de Manaus n’a pas vraiment opté pour cette stratégie du laisser faire total, des gestes barrières ont été appliqués, mais, sous la pression du gouvernement de Jaïr Bolsonaro, les mesures contre la circulation du virus sont restées limitées.
Minimum de chez minimum
La réponse de Manaus est-elle extrapolable à d’autres pays ? Oui, à condition de ne pas oublier son côté « optimiste », au regard d’une population similaire à celle de notre pays, où les plus de 60 ans représentent un pourcentage beaucoup plus élevé. Ainsi, un article du Massachussets Institute of Technology relatant l’étude sur Manaus estime que la stratégie dite d’immunité collective provoquerait au moins 500 000 morts aux Etats-Unis. Un chiffre minimum de chez minimum, puisque ce pays compte déjà 200 000 décès (officiels) attribués à la Covid-19 alors que le taux d’infection de la population est très loin de celui observé à Manaus. Et qu’une étude « worst case » aboutit plutôt à 1,7 million de morts aux Etats-Unis. Ce chiffre est donc similaire aux calculs de l’article de Arnaud Fontanet et Simon Cauchemez (de l’Institut Pasteur à Paris) paru dans Nature review immunology qui conclut, pour la France, à une estimation entre 100 000 et 450 000 morts dans le cas d’une stratégie d’immunité collective.
L’étude sur les donneurs de sang de Manaus apporte également une information peu encourageante : il semblerait que la réponse sérologique (donc la présence d’anticorps) diminue avec le temps passé depuis l’infection. L’immunité serait donc assez rapidement déclinante avec le temps.
Sylvestre Huet
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