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Si les profs s’attendaient à une rentrée difficile, personne n’avait vraiment prévu que des groupes d’élèves puissent refuser de porter cet accessoire devenu obligatoire.
Dans le lycée où travaille Irina, la réunion plénière de pré-rentrée a principalement tourné autour des conditions sanitaires. Le proviseur a notamment rappelé que des quantités importantes de masques jetables avaient été acquises afin d’être proposées aux élèves (et aux adultes) tête en l’air. «Il a aussi précisé que tout élève réfractaire au port du masque devait être immédiatement signalé aux CPE en vue d’un entretien de recadrage, mais que ça n’arriverait sans doute que dans quelques cas très exceptionnels», précise l’enseignante.
Parachutée prof principale alors qu’elle n’en avait pas tellement envie, Irina n’a pas attendu sa première «vraie» séance d’histoire-géographie pour rencontrer des problèmes auxquels elle ne s’attendait pas. «Mardi après-midi, pour leur rentrée, les élèves de Terminale étaient invités à se ranger dans la cour devant la liste où figurait leur nom. À ce moment-là, tous portaient un masque.» Les élèves se rangent devant la salle, s’installent à l’invitation d’Irina… puis six d’entre eux ôtent leur masque.
Chorégraphie antimasque
«C’était clairement prémédité, chorégraphié. Ils l’ont tous enlevé en même temps, à peu de choses près. Pendant une seconde, j’ai cru défaillir. Comme si la situation n’était déjà pas assez anxiogène, j’étais tombée sur une bande de petits conspis.» Irina propose à ces élèves de dialoguer quelques minutes à propos de l’utilité du masque, mais à une condition: que ceux-ci (tous des garçons) acceptent de le remettre au préalable. L’un d’eux semble hésiter, puis tous refusent. «Là, je n’ai pas eu le choix: j’ai envoyé un autre élève chercher les CPE.»
Bon gré mal gré, les élèves acceptent de sortir de la salle et d’être reçus par les CPE. «Menacés de sanctions immédiates, ils ont remis leurs masques en expliquant qu’ils les enlèveraient de nouveau dès que possible. Courageux mais pas téméraires.» La suite, c’est Arnaud, CPE du lycée, qui la raconte: «Je les ai reçus dans une salle de réunion, car sept dans mon bureau c’est impossible. J’ai du mal à restituer précisément ce qu’ils m’ont raconté, mais c’était un mix de “le Covid-19 n’existe pas”, de “de toute façon il va y avoir un vaccin” et de propos complotistes auxquels je n’ai rien compris.»
Au cours de l’entretien, Arnaud entend un seul argument lui semblant un peu plus recevable que les autres: «“De toute façon, vos classes sont blindées et y a pas d’air, alors masque ou pas masque ça change rien”, m’a balancé un élève. Je lui ai tout de même expliqué que c’est comme s’il venait au lycée en slip en plein hiver sous prétexte que l’anorak n’est pas un rempart parfait contre la grippe.»
Dans l’établissement, les deux infirmières scolaires ont d’ores et déjà établi un planning de passage dans la quarantaine de classes. Pendant le mois de septembre, elles rappelleront une nouvelle fois les gestes à respecter, ainsi que les comportements à adopter ou à proscrire. Sur le laps de temps restant, elles répondront aussi aux interrogations des élèves. «Y compris les plus fumeuses, précise le CPE, car ce sont parfois les plus dangereuses.»
Parents hostiles
Le lycée d’Arnaud et d’Irina est loin d’être le seul établissement dans lequel de tels incidents ont eu lieu. Sophie*, qui enseigne l’espagnol dans un collège d’Angoulême, peut en témoigner: «C’est assez déstabilisant d’entendre des gamins de sixième vous dire “non, on ne portera pas de masque”, ce qui ressemble autant à une défiance de pré-ado qu’à un écho des propos de leurs parents.»
Les élèves en question ont été reçus par le principal du collège, qui a mis les points sur les i et a demandé à Sophie d’appeler elle-même les familles. «Pour une des familles contactées, il apparaît que le refus du masque était plutôt dû à un manque de budget, ce qui n’est jamais facile à avouer», relate Sophie. L’affaire est en train de se régler discrètement, par le biais de l’assistante sociale.
En revanche, il arrive que des parents contactés défendent mordicus le droit de leurs enfants à ne pas porter de masque, au nom de la théorie du complot ou de l’anticapitalisme. «Certains de ces gens se trouvent dans un grand désarroi. On les sent perdus, écrasés sous une pluie d’informations qu’ils ne savent pas forcément trier. Les vidéos conspirationnistes trouvées sur Facebook leur servent de sources d’information depuis au moins six mois. Je dis cela sans aucun mépris: vous imaginez le désordre que ça a dû créer dans leurs têtes?»
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Confinement mental
Dans son lycée, Géraldine Lefebvre, professeure documentaliste, anime régulièrement des ateliers d’éducation aux médias. «J’en ai même proposé un à mes collègues, car une partie d’entre eux avait tendance à partager des infos plus que douteuses sur nos groupes de discussion. Preuve qu’il n’y a pas que les élèves qui peinent à séparer le bon grain de l’ivraie.»
Ces dernières années, elle a pu constater une augmentation du nombre de lycéen·nes nourri·es aux fake news. «Avant, on s’inquiétait surtout du fait qu’une partie des élèves n’était absolument pas au courant de ce qui se passait dans le monde. Depuis quelque temps, notre peur numéro un, c’est le fait que certains soient biberonnés aux fausses informations et aux élucubrations conspirationnistes.»
Pour elle, le fait que des groupes d’élèves antimasques se fassent connaître çà et là n’a hélas rien d’étonnant. «Avant, les élèves conspirationnistes nous disaient que le World Trade Center n’avait jamais été attaqué, ou que les Illuminati dirigeaient le monde. C’était déjà préoccupant, mais on pouvait en dialoguer, en atelier ou en dehors. Leur refus du masque s’inscrit dans la même lignée, sauf que cette fois, ça touche directement les établissements et la sécurité sanitaire.»
Si des groupes antimasque semblent s’être formés dans certains lycées, c’est aussi parce que les élèves concernés ont parfois été coupés du réel pendant près de six mois, poursuit l’enseignante: «D’habitude, on peut en raccrocher certains par le dialogue, leur démontrer que les théories auxquelles ils croient sont plus que farfelues. Mais là, des élèves ne sont pas venus en cours depuis la mi-mars. Passer une demi-année seul devant son ordinateur ou son smartphone, sans adulte de référence avec qui discuter de ces sujets, ça a des conséquences.»
Rouvrir le dialogue
Arnaud estime que la rentrée ne s’effectue pas dans des conditions optimales («l’inaction du ministre nous pousse à improviser chaque jour»), mais qu’elle a au moins un mérite: celui de recréer du lien avec les élèves. «Ne communiquer que par téléphone ou via les logiciels de vie scolaire, ce n’est pas humain. On a besoin de se voir, de se parler, de montrer aux décrocheurs qu’on est là et de casser la solitude de ceux qui sont confinés dans leur tête depuis mars.»
Concernant les élèves antimasque auxquels il a eu affaire, il ne désespère pas de les convaincre qu’ils font fausse route: «Ils représentent quoi, 5 ou 6% de nos effectifs… Ce n’est pas négligeable, mais ça reste gérable. En fait, c’est comme le Covid-19: il faut prendre le problème à la racine pour éviter qu’il ne s’étende. On va suivre ces élèves de près, parler avec eux, debunker les fausses infos et les faire rentrer dans le rang. C’est un chantier que je n’avais pas prévu, mai, on va s’y affairer. En fait, on s’y affaire déjà.»
En haut lieu, aucune consigne n’a été donnée concernant ce type d’élèves, leur gestion étant laissée à l’appréciation des chef·fes d’établissement. Secrétaire général du SNPDEN (Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale), Philippe Vincent s’est exprimé en ces mots pour France Info: «Si l’élève se met en situation de ne pas respecter, il prend des risques avec le règlement intérieur et d’éventuelles sanctions. Je pense qu’il y aura un rappel au règlement dans un premier temps et éventuellement un entretien avec la famille. Mais on a l’habitude de gérer les écarts de comportement des élèves. L’écart de comportement au niveau du masque sera géré comme le reste.»
Le refus du masque, un problème comme un autre? Pas sûr que les enseignant·es et les élèves soient tous d’accord avec cette affirmation. «J’ai quelques élèves très à fleur de peau», raconte Armance, professeure de français en collège. «Plusieurs sont venus me voir dès le jour de la rentrée pour me dire qu’ils avaient des proches à risque et qu’ils ne pouvaient vraiment pas se permettre d’être contaminés. On ne peut pas laisser certains de leurs camarades faire n’importe quoi et piétiner leurs angoisses pendant des semaines.»
Une liste de recommandations et de points de vigilance y est fournie, ainsi que quelques pistes pédagogiques pouvant être utilisées par le corps enseignant. Au programme, dénonciation du charlatanisme médical et enseignement de la démarche scientifique (dans le but de contribuer au «développement d’un esprit “rationnel, autonome et éclairé” pour chacun des élèves»). Il faudra bien cela pour compenser le déferlement de publications antimasques, disponibles à portée de clic sur les réseaux sociaux.
Jeudi, Irina a retrouvé la classe de Terminale qui lui avait été confiée le jour de la rentrée. Dans les rangs, deux élèves (contre six auparavant) se sont présentés sans masque et ont de nouveau été invités à être reçus par les CPE. «Le cas de ces deux-là me préoccupe car ils font la sourde oreille, mais j’essaie de voir les choses positivement: en deux jours, le groupe des frondeurs a déjà été divisé par trois. On avance dans le bon sens.» Ce qui devrait faire revenir un peu de sérénité dans les salles de classe.
*Le prénom a été changé.
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