Tout sauf tiède, ce documentaire soutenu par la Quinzaine des Réalisateurs est une claque à double détente dont on sort à la fois secoués et grandis.
Avec Un pays qui se tient sage, qui fait suite au roman Dernière sommation dans lequel il livrait son ressenti sur les violences policières durant le mouvement des gilets jaunes, l’auteur et réalisateur David Dufresne continue de creuser la question du maintien de l’ordre et de ses dérives.
Sous forme cette fois de débat collectif, il sonde cette citation du sociologue Max Weber écrite en 1919 : « L’Etat revendique pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime ». Une définition souvent dévoyée et raccourcie par nos gouvernants ces dernières années – elle a été tronquée encore tout récemment par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin en « La police détient le monopole de la violence légitime« .
La charge des images
Tout sauf tiède, ce documentaire soutenu par la Quinzaine des Réalisateurs est une claque à double détente dont on sort à la fois secoués et grandis. Sa narration vous prend en tenaille entre deux tempos, alternant constamment action et réflexion.
D’une part, il nous plonge dans la mêlée sans filtre avec nombre d’images saisies au coeur de l’action. Filmées au smartphone ou à la GoPro, souvent en caméra subjective, ces images sont particulièrement saisissantes. On y voit se déchaîner la brutalité des forces de l’ordre contre des manifestants certes révoltés mais non armés. Pour qui a suivi sur Twitter le recensement au jour le jour par David Dufresne des violences policières durant le mouvement des gilets jaunes en 2018 et 2019, ce fameux Allô, @place_beauvau, ces images sont familières.
Projetées sur grand écran, leur impact est amplifié et elles n’en sont que plus éprouvantes. On prend en pleine face non seulement cette violence mais aussi son caractère aveugle, arbitraire, injuste, avec des personnes innocentes éborgnées, mutilées, et autant de vies brisées.
Réflexion collective
Ce tumulte sous haute tension alterne avec le dialogue que mènent en parallèle et face aux mêmes images, différents intervenants – sociologues, historiennes, avocats, policiers, victimes de violences, mère au foyer – filmés conversant deux par deux en clair-obscur. On ne découvrira leur identité et leur profession qu’au générique de fin, afin « de les écouter sans préjugés« , explique le réalisateur.
Pour chaque séquence où le spectateur est malmené, immergé presque physiquement dans la violence, il lui est donc offert une forme de répit cérébral, une mise à distance durant laquelle le débat prend de la hauteur avec un questionnement sociologique et philosophique de la violence d’Etat, du maintien de l’ordre et de la place de la police dans la société.
« On n’est pas dans des actes isolés, des pétages de plombs » de la part des policiers, estime un intervenant à propos de cette escalade, « mais dans l’usage excessif, disproportionné et non assumé de la force » par le politique. « Une police républicaine est au service du peuple et non pas au service de l’Etat« , rappelle une autre. « Le maintien de l’ordre, ce n’est pas la colère« , raisonne encore un autre.
L’Etat semble aujourd’hui « le seul à avoir le droit d’exercer la violence morale, sociale et physique« , résume de façon poignante une manifestante pacifique victime d’un violent coup de matraque dans la nuque à Paris.
Une invitation au dialogue
Face aux images de 151 jeunes lycéens maintenus à genoux mains derrière la tête pendant des heures à Mantes-la-Jolie en décembre 2018, et la réflexion du policier qui filme la scène, « Voilà une classe qui se tient sage« , auquel le titre du documentaire se réfère, un policier admet : « si on en arrive là c’est que le travail a été mal fait. »
Avec ce va-et-vient constant entre vidéos de brutalités et conversations apaisées, tout se passe comme si le souffle de révolte susceptible de submerger le spectateur face à l’injustice criante des images était utilement tempéré aussitôt après par l’analyse. Une façon habile de nous montrer la voie à suivre, celle du dialogue, au risque sinon d’un embrasement incontrôlable.
En auscultant la violence d’Etat et la place de la police dans la démocratie, ce documentaire édifiant interroge la démocratie elle-même. Alors que la patrie des droits de l’homme montre une allergie croissante et inquiétante à toute forme de contestation du pouvoir dans la rue, c’est à la professeure émérite de droit public Monique Chemillier-Gendreau que nous laisserons le dernier mot, celui qui nous poursuit depuis et résume en partie ce film: « C’est la nature même de la démocratie d’accepter de ne pas être d’accord. La démocratie ce n’est pas le consensus. La démocratie, c’est le dissensus !« .
La fiche
Genre : Documentaire
Réalisateur : David Dufresne
Intervenants : Alain Damasio (écrivain), Myriam Ayad (mère au foyer), Fabien Jobard (sociologue), Monique Chemillier-Gendreau (professeure émérite de droit public), Mélanie N’goyé-Gaham (travailleuse sociale), Benoît Barret (secretaire national Alliance Police), Mathilde Larrère (historienne) et beaucoup d’autres
Pays : France
Durée : 1h26
Sortie : 30 septembre 2020
Distributeur : Jour2Fête
Synopsis : Alors que s’accroissent la colère et le mécontentement devant les injustices sociales, de nombreuses manifestations citoyennes sont l’objet d’une répression de plus en plus violente. Un pays qui se tient sage invite des citoyens à approfondir, interroger et confronter leurs points de vue sur l’ordre social et la légitimité de l’usage de la violence par l’Etat.
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