LR: Les « complotistes » imaginent un « nouvel ordre mondial » dirigé par une poignée d’individus, qui tiendrait conclave; quand les capitalistes confrontés à leurs contradictions, se prennent la tête sur le nouveau « multilatéralisme » et veulent mettre à profit la crise du Covid – comme lors de toute crise – pour conforter leur domination. La classe capitaliste depuis bien longtemps veut imposer ses organismes supra-nationaux à l’abri de tout contrôle populaire et ouvrir la voie à une gouvernance mondiale afin de disposer de plus de moyens pour faire face aux « grands défis » et aux contestations sociales, auxquels son système économique est confronté. Le grand reset, n’est pas un « complot », juste le prolongement des politiques d’adaptation pour que le capitalisme survive à ses crises, toujours plus nombreuses et toujours plus profondes. Non, Karl Schwab n’est pas un « illuminati ».
FORUM DES 100
Dans le cadre du Forum des 100, Klaus Schwab, fondateur du World Economic Forum, présente sa notion de «Great Reset», un système de réinitialisation de la société moderne
L’édition 2020 du Forum des 100, organisée par Le Temps, se penche cette année sur la question «Post-covid: la technologie peut-elle nous sauver?». Lors de la conférence d’ouverture, Klaus Schwab, fondateur du World Economic Forum, a présenté son concept, le «Great Reset», ou la volonté d’une sorte de réinitialisation du système moderne.
Ingénieur et économiste allemand, Klaus Schwab a créé le WEF il y a cinquante ans. Il assure que son organisation, composée de sociétés privées et publiques, s’engage dans de nombreux projets afin de résoudre les problèmes sociaux autour du monde. «Le forum est une institution qui se veut engagée et inclusive, surtout envers les jeunes générations.»
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Le «Great Reset», un reboot de notre société
Si Klaus Schwab est invité pour l’introduction de ce forum, c’est pour présenter son concept expliqué dans son nouveau livre Covid-19, The Great Reset. Le «Great Reset», dit-il, est une initiative qui vise à améliorer l’état du monde dans une ère post-covid. Klaus Schwab assure que «nous avons l’occasion de réinitialiser le système actuel, qui n’est pas durable au niveau environnemental et social». Le livre analyse les conséquences de la crise sanitaire mondiale sur la société, et comment il serait ensuite possible d’en construire une meilleure. Le WEF mobilise des communautés, soit environ 4000 personnes, pour travailler sur ces problèmes et trouver comment les compagnies mondiales peuvent s’engager pour améliorer ce futur système, même si cela prendra beaucoup de temps – davantage encore pour les pays défavorisés qui sont «anéantis» par la pandémie.
L’impact social et environnemental de la crise
Le télétravail et le confinement ont beaucoup touché l’animal social qu’est l’homme, illustre Klaus Schwab. Si le Covid-19 constitue un défi pour la société, Klaus Schwab rappelle également celui du changement climatique. «On doit appliquer la durabilité, par des solutions globales et locales. Tout ce que l’on peut faire au niveau local, il faut le faire. Il faut également plus de collaboration entre les gouvernements.» Le forum travaille avec des compagnies qui visent la neutralité carbone d’ici à 2050, tandis que l’équipe du WEF développe notamment des plans d’action pour l’Arctique.
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Technologie
A propos de l’intelligence artificielle, thème du Forum des 100, Klaus Schwab mesure la place de la technologie dans nos vies et l’impact qu’elle a eu durant la crise. Il en retient que si la technologie a permis de garder le contact de façon virtuelle, elle ne peut suffire à entretenir une relation. Une interaction personnelle est primordiale pour établir un lien de confiance. La technologie apporte un coup de pouce, mais elle est dépendante d’une présence physique.
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Dans son explication de la «quatrième révolution industrielle», Klaus Schwab montre avec quelle vitesse la technologie évolue. «Beaucoup d’autres technologies vont encore venir et changer complètement nos vies». Il souligne la rapidité de ce développement et des événements mondiaux. «Je me considère comme l’un des citoyens les plus informés et j’ai déjà des difficultés à absorber tout ce qu’il se passe», glisse-t-il, espérant voir l’émergence d’un juste milieu entre l’homme et la technologie.
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Klaus Schwab : « Réinitialiser le multilatéralisme pour mieux coopérer »
Cela peut sembler absurde, mais le Covid-19 pourrait donner l’occasion à la communauté internationale d’avoir une deuxième chance d’agir dans le bon sens. La pandémie a brutalement mis en évidence les injustices à travers le monde : l’aggravation de l’écart de richesse, l’inégalité d’accès aux soins de santé, la précarité de l’emploi et l’accentuation de la crise climatique. Elle a aussi fait tomber le masque de dirigeants qui travaillent pour eux-mêmes plutôt que pour leurs citoyens. Mais elle a également montré de manière inédite que le monde peut agir de manière coordonnée et rapide pour le bien commun.
Le professeur Klaus Schwab, fondateur et président exécutif du Forum économique mondial, estime qu’une réinitialisation des systèmes de coopération internationale est possible. Il a publié un livre à ce sujet. Il nous répond dans The Global Conversation.
Isabelle Kumar, euronews :
« Quand vous regardez l’état du monde actuellement, quel est le premier mot qui vous vient à l’esprit ? »
Klaus Schwab, fondateur et président exécutif du Forum économique mondial :
« Le mot « réinitialisation » me semble approprié car nous sommes toujours en train de combattre le virus, mais nous pouvons être plutôt optimistes après ce que nous avons vu avec l’annonce des vaccins. Nous devons maintenant réfléchir à la manière de structurer, de concevoir l’ère post-coronavirus. Et de ce point de vue, évidemment, le mot « réinitialisation » me vient à l’esprit parce qu’une chose est claire : nous ne pouvons pas revenir à l’ancienne normalité. Nous devons profiter de cette occasion – à l’image de ce qu’ont fait nos parents et nos grands-parents après la Seconde Guerre mondiale – pour réfléchir réellement à ce qui n’a pas fonctionné et à ce que nous pourrions faire de mieux. »
« Rendre le monde plus résistant, plus inclusif et plus vert »
Isabelle Kumar :
« Quelle est votre priorité en déclenchant – si vous le pouvez – cette réinitialisation ? »
Klaus Schwab :
« Je pense qu’il y a trois dimensions, trois priorités. La première, c’est de rendre le monde plus résistant parce que nous devrons certainement faire face à d’autres surprises, à des situations difficilement prévisibles que les commentateurs appellent des « cygnes noirs » et peut-être à différents types de virus. La deuxième priorité, c’est que nous devons rendre le monde plus inclusif, plus juste parce que nous avons vu que nous avons atteint un nombre insoutenable de personnes qui se sont senties exclues. Enfin, il faut que notre monde devienne plus vert. Nous devons mettre toute notre énergie dans la décarbonisation pour éviter qu’à l’avenir, nous ayons une catastrophe majeure dont nous avons les premiers signes aujourd’hui. »
Isabelle Kumar :
« Oui, malheureusement. Professeur, nous allons revenir sur certains points que vous avez soulevés, mais d’abord, j’aimerais parler du mécanisme COVAX. Parce qu’à certains égards, quand on voit ce voile sombre que le Covid 19 a jeté sur le monde, ce mécanisme est une lueur d’espoir – parce qu’il a montré comment les nations les plus riches peuvent s’occuper de celles qui sont confrontées à plus de difficultés. Dans quelle mesure l’expérience de COVAX qui vise à donner aux nations les plus pauvres, un accès à la vaccination, influence-t-elle votre vision d’une société plus inclusive ? »
Klaus Schwab :
« C’est une lueur d’espoir car cela confirme l’efficacité qui peut être atteinte quand nous avons les bons partenaires pour travailler ensemble. C’est une approche systémique. Nous ne pouvons pas résoudre nos problèmes dans le monde en adoptant des approches simples et COVAX intègre à cette démarche sur les vaccins, les traitements, les tests et les bonnes stratégies en matière de politique de santé. Donc ce qu’il nous faut au niveau mondial à l’avenir, c’est une approche beaucoup plus systémique parce que nous savons que tout est interdépendant. Tout est relié non seulement à l’échelle de la planète, mais si vous prenez les questions sociales, économiques, politiques, elles sont toutes interconnectées. Nous avons donc besoin d’une approche systémique. »
« COVAX est une étape très importante pour que le fossé entre pays développés et émergents ne se creuse pas »
Isabelle Kumar :
« Professeur, s’il nous faut cette approche systémique, nous avons quand même un petit problème au sujet du COVAX justement : alors que l’Union européenne a rapidement soutenu cette initiative, il y a des acteurs comme les États-Unis et la Russie qui n’en font pas partie. »
Klaus Schwab :
« Il est possible que les États-Unis nous rejoignent à l’avenir. Je pense que COVAX est aussi une étape très importante pour nous assurer que le fossé entre les pays développés et les pays émergents – les pays les moins développés – ne se creuse pas. Nous avons vu combien le coup porté par le virus à ces pays est grave et préjudiciable. Et avec COVAX, nous veillons à ce que ces populations puissent elles aussi bénéficier de ce programme – y compris évidemment au niveau européen et avec une coopération bien meilleure par rapport à ce que nous avons vu dans le passé -. Nous nous assurons qu’il n’y ait pas une injustice plus grande dans la distribution de tous ces remèdes dont nous avons besoin pour lutter contre ce virus. »
« Avec l’élection de Joe Biden, j’ai bon espoir que nous puissions créer les systèmes dont nous avons besoin pour le XXIe siècle »
Isabelle Kumar :
« Vous êtes un ardent défenseur du multilatéralisme, d’une société multipartite. Avec le départ de Donald Trump dont nous venons de parler, pensez-vous qu’il donne aujourd’hui, un nouvel élan au système multilatéral ? Allons-nous retourner au multilatéralisme traditionnel ? Ou la communauté internationale a-t-elle pris une nouvelle voie ? »
Klaus Schwab :
« Je pense que là aussi, nous devons réinitialiser le système. Nous ne pouvons pas revenir au multilatéralisme que nous avons établi après la Seconde Guerre mondiale. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une réforme du système international. Il suffit de penser à l’OMC – l’Organisation mondiale du commerce -. Nous devons intégrer de nouvelles dimensions du commerce mondial : par exemple, tout ce qui a trait au commerce électronique, etc. Donc, il est clair que le multilatéralisme sera encouragé par l’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis. Et j’ai bon espoir que nous puissions maintenant créer les systèmes dont nous avons besoin pour le XXIe siècle. »
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