Les Inrockuptibles, 27 novembre 2020
Les images de Michel Zecler, producteur tabassé sans raison par plusieurs policiers le 21 novembre, et celles de l’évacuation violente des exilés de la place de la République, à Paris, le 23 novembre, ont remis au centre du débat public le sujet des violences policières – qui n’en était jamais vraiment parti. Au moment même où l’Assemblée nationale a validé en première lecture le projet de loi Sécurité globale, qui comprend un article visant à interdire la diffusion d’images de policiers non floutés en intervention, ces deux événements témoignent de toute l’utilité de ces images. Mais comment la police française en est-elle arrivée à ce stade de dysfonctionnement et de repli sur elle-même ?
Voir le documentaire Police Attitude, 60 ans de maintien de l’ordre, diffusé par Public Sénat lundi 30 novembre à 23 heures (et accessible en replay jusqu’au 28 décembre), permet d’objectiver la dégradation du “maintien de l’ordre à la française”. Co-réalisé par le journaliste et documentariste François Rebaté et Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la police, il fait intervenir un large panel d’acteurs qui peuvent en témoigner, comme l’ancien préfet de police de Paris (de 2017 à 2019) Michel Delpuech, l’ancien défenseur des droits Jacques Toubon, le chercheur Fabien Jobard ou encore le syndicaliste policier Grégory Joron.
“Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même”
Remontant au massacre de Charonne (le 8 février 1962, neuf manifestants contre l’OAS et la guerre d’Algérie meurent sous les coups de la police au métro Charonne, à Paris) et à Mai 68, le film raconte la naissance de la doctrine de maintien de l’ordre en France. En réaction à ces événements, et sous l’effet notamment de la fameuse lettre du préfet de police Maurice Grimaud fin mai 1968 (dans laquelle il déclare : “Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même”), la police française mise sur une stratégie de la désescalade, sur le maintien à distance des manifestants et sur un usage proportionnel de la force. C’est ainsi que naît le mythe de l’excellence du maintien de l’ordre à la française. Mais plusieurs glissements, finement analysés dans le documentaire, conduisent à l’oubli de ces règles.
Le régime de l’émeute
Après les émeutes urbaines de 2005, notamment, la police cède à une logique dictée par l’armement et les innovations techniques. Après cette date, le régime de l’émeute suspend les règles de la doctrine du maintien de l’ordre : le Lanceur de balles de défense (LBD) se généralise et devient un outil du quotidien, comme les grenades de désencerclement qui coûteront la vie à Rémi Fraisse en 2014, et toutes les armes dites “non létales” responsables des mutilations de Gilets jaunes en 2018-2019.
Point fort de ce documentaire : il met en comparaison le système français avec ceux des pays voisins – l’Angleterre et l’Allemagne. C’est à l’aune de cette comparaison que la dérive du maintien de l’ordre en France apparaît dans toute son ampleur. La création en 2019, par le préfet de police de Paris Didier Lallement, des Brigades de répression des actions violentes motorisées (BRAV-M), très semblables aux voltigeurs dissous après la mort de Malik Oussekine en 1986, en disent long sur un retour en arrière qui devrait nous interroger.
Par Mathieu Dejean
Police Attitude, 60 ans de maintien de l’ordre, sur Public Sénat lundi 30 novembre à 23 h, et en replay
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