Attaque du Capitole, c’est ça l’Amérique

PAR L’ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS, ALYMANA BATHILY

EXCLUSIF SENEPLUS – Que des individus Blancs s’en prennent à des institutions de l’Etat n’est pas une nouveauté. « Qui sème le vent, récolte la tempête », avait lancé Malcolm X à l’annonce de l’assassinat de Kennedy

Alymana Bathily de SenePlus  |   Publication 17/01/2021

« Ceci ne nous ressemble pas, ce n’est pas cela l’Amérique », dira Joe Biden en réaction au saccage du Capitole le mercredi 6 janvier par une foule armée de partisans du président Donald Trump dénonçant les résultats de l’élection présidentielle établissant la défaite de ce dernier.

La presse du monde entier, dans son américanophilie naïve légendaire, reprendra cette appréciation politicienne : il s’agit là d’un accident, peu révélateur de la réalité de l’Amérique contemporaine et qui ne remet pas en cause le vieux mythe de l’Amérique, citadelle de la démocratie et guide du « monde libre ».

Pourtant les épisodes de violence souvent plus dramatiques que celui survenu au Capitole parsèment l’histoire ancienne et récente des États-Unis.

Des épisodes de défiance de l’autorité de l’État et même de tentative de subversion de l’ordre républicain, c’est-à-dire de coup d’État contre la Constitution et les institutions, sont nombreux.

Il y a d’abord le rejet de l’élection du président républicain anti-esclavagiste,  Abraham Lincoln en 1860 par 11 États du sud du pays qui se constitueront en Confédération et refuseront l’abolition de l’esclavage sur la base de la croyance en « cette vérité absolue qui est que le Nègre n’est pas l’égal de l’homme Blanc et que l’esclavage, la subordination à la race supérieure est normal et naturel ». La Guerre civile qui s’en suivra de 1861 à 1865 fera officiellement 620 000 morts parmi les combattants, compte non tenu des victimes civiles.

Il y a ensuite le rejet aussi bien dans les États du sud que du nord de l’Émancipation, c’est-à-dire l’abolition de l’esclavage proclamée en 1863 par le président Lincoln renforcé par le 13e Amendement de la Constitution adopté par le Congrès le 6 décembre 1865 disposant que « ni l’esclavage ni quelque forme de servitude involontaire n’existeront à l’intérieur des États-Unis, à moins que ce ne soit pour un crime pour lequel la personne aura été dument condamnée ». Des milices de Blancs se sont organisées alors dans plusieurs villes du nord pour s’opposer violemment à cette disposition constitutionnelle.

L’historien Howard Zin  en témoigne :

“ Ce fut une orgie de mort et de violence. Un Noir de Detroit décrivit ce qu’il vit : une foule avec des tonneaux de bière, armée de bâtons et de briques, marchant à travers la ville, attaquant les hommes, les enfants. Il a entendu un homme dire « si nous devons nous faire tuer (par la guerre) pour les Négros, autant tuer chacun d’entre eux dans cette ville ». Puis le président Lincoln est assassiné le 14 avril 1865 quelques jours après la proclamation de la fin de la guerre civile (9 avril 1865), dans une tentative de coup d’État visant à décapiter le gouvernement fédéral victorieux en assassinant le vice-président et le Secrétaire d’État en même temps que le président.

Pendant la période dite de la Reconstruction qui devait démanteler le système esclavagiste des États du sud (1865-1877), le président Andrew Jackson s’opposera ouvertement au Congrès pour avoir adopté le 14e Amendement de la Constitution reconnaissant la nationalité aux Africains-Américains. Il fera d’ailleurs l’objet de la première procédure « d’impeachment » de l’histoire des États-Unis, procédure qui sera repoussée par le Sénat.

16 États du sud rejetteront alors ouvertement la Constitution et lui opposeront les lois ségrégationnistes basées sur le « Code noir », dites lois Jim Crow qui auront cours jusqu’en 1965. Le Ku Klux Klan créé dès les années 1860 opère dès lors ouvertement quoiqu’en toute illégalité pour imposer la suprématie blanche par la terreur et particulièrement par le lynchage.

L’Initiative pour l’Égalité et la Justice (EJI), du Mémorial national pour la paix et la Justice et le Musée de l’Héritage (National Memorial for Peace and Justice and the Legacy Museum), a recensé, entre 1877 et 1950,  4084 lynchages de Noirs,  des exécutions sommaires par pendaisons publiques.

Entre le 31 mai et le 1er juin 1921, Greenwood, l’opulent quartier noir la ville de Tulsa de l’État d’Oklahoma, dénommé Black Wall Street, fut rasée, plus d’une centaine de personnes massacrées et jetées dans des fosses communes. Une enquête officielle établira plus tard que le massacre avait été perpétré par une conspiration impliquant les autorités de la ville et les forces de police locale soutenues par des avions de chasse.

La période du Mouvement pour les droits civiques des Noirs, 1950 à 1972, est jalonnée de violences contre les Noirs pris individuellement et contre les organisations luttant pour les droits civiques des Africains.

Ces violences sont perpétrées tantôt par des milices de Blancs tantôt par des forces de police, quand elles ne sont pas le fait de forces civiles appuyées par la force armée. En totale contravention par rapport aux lois républicaines.

On se souvient ainsi du dimanche sanglant (Bloody Sunday) du 7 mars 1965.

Des marcheurs, avec à leur tête Martin Luther King, se rendant de Selma, en Alabama à Montgomery la capitale de l’État pour demander l’inscription des Noirs sur les listes d’électeurs, furent attaqués par un groupe de Blancs et des policiers armés alors qu’ils traversaient le pont Edmund Pettrus Bridge.

Il y a aussi l’assassinat de Malcom X le 21 février 1965 à Harlem, New York puis celui de Martin Luther King à Memphis dans le Tennessee, le 4 avril 1968. On sait maintenant tous les deux ont été victimes d’une conspiration couverte par le FBI.

La récente attaque du Capitole n’est donc pas une aberration, du moins au regard de l’histoire des Africains-Américains. Que des individus Blancs s’en prennent à des institutions de l’État n’est pas non plus une nouveauté.

Ainsi l’assassinat du président John F. Kennedy le 22 novembre 1963 à Dallas, au Texas puis celle de son frère Robert Kennedy, candidat à l’élection présidentielle, le 6 juin 1968 à Los Angeles. Dans les deux cas, ce sont des Blancs qui sont les auteurs du crime, probablement avec la complicité de la police ou même du FBI.

L’attaque du Capitole révèle cependant une évolution : ce n’est plus seulement les Noirs et la lutte contre les droits civiques des Noirs qui sont ciblés ni des politiciens individuels, mais bien le système politique américain dans son ensemble.

C’est qu’un mouvement militant blanc s’est développé ces dernières années aux États-Unis autour d’une idéologie relevant à la fois du suprématisme blanc, de l’évangélisme chrétien, du libertarisme et du fascisme. Ce mouvement a adopté Donald Trump comme figure de proue.

Il s’agit apparemment d’un mouvement mobilisant des milliers, voire des millions de gens, comprenant de nombreuses milices armées, présents dans la quasi-totalité des territoires des États-Unis et dont certaines appellent ouvertement à la guerre civile. Ce mouvement s’en prend désormais ouvertement et violemment aux élus qui ne partagent pas ses opinions ainsi qu’aux institutions de l’État.

Ainsi récemment encore en avril dernier, le Capitole de l’État du Michigan a fait l’objet d’une tentative d’occupation par une foule brandissant des armes pour s’opposer au vote pour l’extension de l’état d’urgence face au Covid, introduit par la gouverneure démocrate de l’État.

En août 2017 à Charlotte en Virginie, une marche sous le slogan « Unir la Droite » a été organisée au cours de laquelle une jeune femme a été tuée. Interpellé alors, le président Trump a refusé de condamner la marche.

Comment les États-Unis d’Amérique en sont-ils arrivés là ?

Je rappelais ici dans un éditorial publié avant l’élection présidentielle américaine de 2016 que Trump se présentait comme le défenseur du « Petit Blanc » américain (qui) « attribue sa déchéance aux « autres », c’est-à-dire au « gouvernement de Washington » qui serait corrompu et aux mains des « socialistes », aux Noirs qui seraient « violents » et vivraient aux crochets des « Américains qui travaillent dur et croient en Dieu », aux Latinos et autres immigrés qui ne seraient que des trafiquants de drogue et aux « Chinois » qui leur auraient pris leurs « jobs » ».

Je concluais que même si Trump ne remportait pas l’élection, « le « Trumpisme » aura distillé son venin au sein de la société américaine et contribué à aggraver les clivages raciaux et sociaux, le racisme et les discriminations. Ceci survenant dans un contexte où l’élection d’un Noir à la Maison Blanche a provoqué une contre-révolution blanche… ». C’est bien cette contre-révolution blanche qui est en marche aujourd’hui.

« Chiken Come Home to roost » qu’on pourrait traduire à peu près par « Qui sème le vent, récolte la tempête », avait lancé Malcolm X à l’annonce de l’assassinat du président Kennedy.

La tempête qui se lève en ce moment sur les États-Unis avec cette insurrection de « petits blancs » qui ne supportent pas la remise en cause du système qui a assuré leur suprématie aux plans économique, social et culturel depuis des siècles se nourrit en effet des vieux démons de l’esclavage et de la ségrégation raciale. Elle est lourde de tous les dangers.

Espérons que les peuples de ce grand pays sauront la contenir au mieux.

abathily@seneplus.com

Ce champ est nécessaire.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*