La première étude de l’institut hospitalo-universitaire de Marseille ne permet pas de relever d’effet du médicament sur la mortalité. L’équipe du professeur en convient, mais ce dernier ne remet pas en question le traitement qu’il préconise.
Revirement spectaculaire pour les uns, publication anodine pour les autres : la mise en ligne au début de janvier d’une lettre scientifique de l’institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille, qui semblait partiellement amender une étude de mars 2020, a relancé les débats sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine.
« Incroyable ! Le Pr Raoult qui écrit lui-même que leur premier essai clinique non randomisé montre que l’hydroxychloroquine n’a aucune efficacité sur la mortalité ou pour réduire le transfert en soins intensifs », s’exclame le doctorant en épidémiologie à l’université Paris-Saclay Thibault Fiolet, sur Twitter. Son message est suivi de nombreux autres qui considèrent cette publication comme un premier pas en arrière.
Les proches de Didier Raoult ont très rapidement protesté contre cette interprétation. Eric Chabrière, professeur de biochimie à l’IHU de Marseille, évoque dès le 17 janvier une « fake news ». Yanis Roussel, porte-parole de l’institut, déclare au Monde que cette lettre « ne change en aucun cas la ligne que nous soutenons depuis le début, et Didier Raoult n’a pas changé d’avis. L’instrumentalisation de notre réponse est absolument ridicule et le signe d’une mauvaise foi crasse. Elle montre que nos critiques ne savent pas lire des articles scientifiques, mais nous n’en sommes pas surpris ». Le mardi 18 janvier, Didier Raoult en personne a nié sans ambiguïté sur Twitter toute forme de rétraction de la part de ses équipes :
« L’efficacité de HCQ-AZ pour réduire la durée du portage viral, montrée dans notre étude IJAA, a été confirmée, avec par la suite la démonstration d’une efficacité sur la mortalité. Nous n’avons jamais changé d’avis. »
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Quel est le contexte de cette publication ?
La lettre scientifique qui fait débat s’inscrit dans une démarche lancée par l’International Society of Antimicrobial Chemotherapy (ISAC), qui édite l’International Journal of Antimicrobial Agents (IJAA), dans lequel la première étude clinique de l’équipe de l’IHU était parue en mars. Cette publication avait suscité de nombreuses critiques méthodologiques, dont une analyse ravageuse de Frits Rosendaal (université de Leyde) parue en juillet.
Mais le flot de critiques ne s’est pas pour autant tari et l’IJAA a retenu « huit ou neuf » de ces correspondances, selon Yanis Roussel, auxquelles Didier Raoult et ses collègues ont accepté de répondre à leur tour. Dans l’une d’elles, Carlos Wambier (département de dermatologie, université Brown, Rhode Island aux Etats-Unis) considérait qu’en termes de résultats cliniques, le groupe traité à l’hydroxychloroquine associée à l’azithromycine ne s’en sortait pas mieux que le groupe témoin, et regrettait que les possibles effets indésirables cardiaques ne soient pas plus mis en avant. C’est à cette lettre que répond la correspondance si commentée.
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Quels sont les éléments nouveaux dans cette correspondance ?
Dans sa réponse, Didier Raoult et ses collègues conviennent que cette première étude n’a pas mis en évidence de différence « significative » en termes de mortalité, de besoins en oxygène ou de passage en réanimation, et qu’en effet, il convient de surveiller les risques d’effets secondaires cardiaques. « C’est un aveu pour nous que le traitement ne marche pas pour la mortalité et le transfert en unité de soins intensifs, et donc qu’il n’y a pas de bénéfice », estime Thibault Fiolet.
L’essai de l’IHU de mars 2020 ne mentionnait pas ces limites lors de sa publication, mais il ne les contredisait pas non plus. « Ce sont des éléments connus », minimise pour sa part Yanis Roussel, qui estime qu’il ne s’agissait pas de l’objet de l’étude. Pour Carlos Wambier, cet argument est difficile à entendre en raison du rôle que ces travaux scientifiques ont eu dans la politique sanitaire de nombreux pays :
« Etant donné l’importance de cette étude en mars 2020, quand tous les gouvernements sécurisaient des stocks d’hydroxychloroquine et qu’une multitude d’essais cliniques commençaient à être lancés, un focus sur les résultats cliniques [et pas seulement sur la charge virale] aurait dû figurer dans cet article, tout comme des alertes sur le risque d’associer ce traitement à d’autres médicaments susceptibles d’allonger l’intervalle QTc [associé à un risque cardiaque sérieux]. »
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Didier Raoult a-t-il changé d’avis sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine ?
Non. Le cœur de la démonstration de l’IHU repose sur l’évolution de la charge virale, or ses conclusions n’ont pas changé en neuf mois : grâce au traitement à base d’hydroxychloroquine et d’azithromicine, « la durée d’hospitalisation et la persistance virale étaient significativement plus courtes ».
A défaut de se dédire, l’équipe de chercheurs marseillais s’expose aux mêmes critiques qu’en mars : « Vu la méthode et les nombreux biais, on ne pouvait déjà rien conclure », grince Thibault Fiolet, citant des modélisations statistiques inappropriées, des tests PCR changeant selon les jours, des données incomplètes ou encore la disparition en cours d’étude d’un malade mort et d’un malade transféré en soins intensifs, tous deux dans le groupe de l’hydroxychloroquine.
Pis : les quelques données supplémentaires publiées dans cette correspondance la rendent moins conclusive, ajoute Thibault Fiolet, la différence virale entre les deux groupes s’estompant dans le temps.
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Didier Raoult se contredit-il sur la mortalité ?
La réponse à cette question est plus difficile, car le discours de l’IHU est fluctuant. En février 2020, avant même la publication de toute étude de son institut, Didier Raoult qualifiait le Covid-19 d’« infection respiratoire la plus facile à traiter de toutes », citant des travaux chinois encourageants sur la chloroquine.
La publication de l’IHU en mars 2020 était plus prudente. L’objet de cette première étude était seulement de mesurer la charge virale, explique Yanis Roussel, avec l’idée que sa réduction se traduirait nécessairement par un bénéfice clinique. De fait, celle-ci se concluait sur la recommandation que « les patients soient traités à l’hydroxychloroquine et l’azithromycine pour guérir de leur infection ».
« Nous n’avions jamais prétendu que la mortalité avait baissé sur ces 42 patients »
Le problème est que cette étude, très critiquée à sa publication pour sa faible cohorte (seulement 42 malades), pouvait difficilement servir pour prouver un effet sur la mortalité. En effet, le taux de létalité estimé du Covid-19 tourne autour de 0,5 %, un chiffre trop bas pour obtenir des résultats statistiques significatifs sur si peu de malades. « Cette étude n’était tout simplement pas conçue pour ça, poursuit Yanis Roussel. Nous n’avions jamais prétendu que la mortalité avait baissé sur ces 42 patients, seulement que la charge virale avait baissé de manière spectaculaire. »
Pas de quoi faire reculer l’équipe marseillaise pour autant. « Les données positives sur la mortalité ont été observées sur trois autres études de l’IHU qui ont suivi », ajoute le porte-parole de l’institut. Sauf que les études suivantes n’ont pas davantage convaincu la communauté scientifique, et qu’en décembre 2020, avant même la médiatisation de cette correspondance, le professeur Philippe Brouqui, membre de l’IHU, reconnaissait lui-même, dans une enquête du Monde, que « sur la mortalité, l’IHU n’a pas réalisé d’étude qui montre une baisse de manière définitive ».
En fin d’année 2020, Didier Raoult, dans un tweet remarqué, avait écrit que « dans l’essai randomisé multicentrique de l’OMS [Organisation mondiale de la santé], Solidarity, l’hydroxychloroquine fait aussi bien (voire mieux sur le plan de la durée de rémission) que le remdésivir ». Le chercheur marseillais ayant à de nombreuses reprises souligné l’inefficacité du remdésivir, antiviral de l’américain Gilead, nombre d’observateurs s’étaient interrogés sur cette équivalence peu flatteuse avec ce médicament.
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