Des SDF et des personnes errantes, une gare SNCF, Marseille, un espace de circulation pour les un·es, un lieu de ressources pour d’autres, « des gens « en plus » de tous ceux qui ont une activité ordinaire »…
Véronique Le Goaziou analyse « ce que l’on sait », quelques éléments chiffrés et les personnes non comptabilisées, « ce nombre n’inclut pas les personnes qui n’ont aucun recours aux services existants et ne couvre pas non plus toutes les structures d’accueil ni les services s’adressant à des populations spécifiques comme les mineurs ou les demandeurs d’asile, par exemple », des données sur les inégalités et les personnes mal-logées, des situations de grande misère, des parcours semés d’embuches…
Elle revient sur des éléments d’histoire, les errant·es puni·es de peines de prison ou envoyé·es dans des asiles, sur les financements principalement mis en œuvre par des associations…
« La politique fonctionne sommairement selon le triptyque suivant : a) l’accueil et l’urgence, via le Samu social, des équipes de maraudes, des accueils de jour et des centres d’hébergement d’urgence ; b) l’insertion, par des séjours de plus longue durée dans des foyers ou dans des logements, avec un accompagnement social ; c) l’accès au logement autonome et à une vie sociale conforme aux attendus d’aisance minimale. Et le processus fonctionne en escalier, une étape après l’autre, bien que cette doctrine d’action soit en concurrence depuis plusieurs années avec la philosophie du logement d’abord, qu’il semble toutefois difficile de mettre en œuvre et qui en est aujourd’hui encore à un stade expérimental (en France) ».
Des milliers de personnes restent « à la rue », le financement de l’hébergement d’urgence est insuffisant (il en est de même pour les dispositifs liés aux demandeurs et demandeuses d’asile), la gestion est de court terme, des hébergements spécialisés et pérennes sont remplacés par des nuitées hôtelières, « Ces nuitées ont pris une place grandissante dans les dispositifs, sans fournir une prestation atteignant la qualité exigée – on constate en particulier que l’accompagnement social, en principe associé à l’hébergement, y est souvent défaillant ». L’autrice détaille la situation à Marseille et aborde particulièrement la situation à la gare Saint-Charles, « A l’instar des grandes gares de centre- ville, la gare Saint-Charles est d’abord identifiée comme un lieu de ressources pour des publics en errance ou en situation de précarité – comme il l’est du reste pour les voyageurs ou tout autre usager », le travail de l’association addap13 dont l’analyse des profils dans un diagnostic de 2018, « des migrants (adultes et mineurs), des personnes avec des problèmes de santé, des personnes avec des addictions, des jeunes délinquants, des personnes sans abri, des personnes en situation de prostitution et des Roms ». Je souligne notamment : « La moyenne d’âge est très jeune (19,5 ans), on compte 40% de mineurs (dont quasiment la moitié sont en fugue) et 40% de jeunes filles (dont la moitié courent des risques de prostitution). Les deux tiers n’ont pas de revenus fixes et se débrouillent pour vivre chaque jour à l’aide de petits larcins ou de la mendicité. La préoccupation quotidienne dominante est l’alimentation (pouvoir manger le jour même ou dans la semaine) puis le logement (avoir un toit pour la nuit ou envisager un logement pérenne pour ceux qui ont les ressources suffisantes), loin devant la question de l’emploi ou de la formation et de la santé »…
Les intervenant·es soulignent que « pour une partie des publics, toute tentative d’inscription sociale dans la durée semble compromise parce qu’ils ne réunissent pas les conditions d’accès aux dispositifs d’insertion et que leurs conditions de vie les en éloignent avec le temps ». Ces personnes sont « en manque », les premiers besoins se nomment « dormir, se nourrir, se laver » ou dit autrement « trouver un abri », « se nourrir », « s’occuper de soi ». Un impératif d’urgence…
L’autrice discute de cette urgence, du non-recours aux services d’aide, du sentiment de honte, du refus de la charité, d’invisibilité (se rendre invisible), de stratégie et de lieux, d’aspect extérieur, de mauvaises expériences de lieux d’accueil, d’absence de perception de prestations auxquelles ils et elles auraient droit, de refus d’une place d’assisté·e, de déni de maladie… ou des effets des politiques visant à transformer les gares en espaces commerciaux…
Véronique Le Goaziou montre cet « autre monde » interne au monde quotidien, l’urgence socio-sanitaire, les risques à réduire de suite, les dimensions caritatives s’exerçant « aux dépens d’une politique ambitieuse et cohérente », l’absence de prise en compote des demandes des personnes concernées, « Les publics pourraient commencer par poser le diagnostic de leur propre situation qui, du coup, n’apparaitrait plus seulement du point de vue des institutions ou des travailleurs sociaux (ou sanitaires), mais des personnes elles- mêmes. Et cela permettrait peut-être de réfléchir à des pistes alternatives. Là encore elles ne manquent pas : repenser la ville dans une optique d’hospitalité (installer des douches, des points de chaleur, des fontaines, des consignes, des espaces de repos…), ce qui est à peu près l’inverse de l’optique de vouloir écarter les publics de certains sites, et à l’instar de ce qui a été fait pour le handicap physique dans les bâtiments publics, aujourd’hui inscrit dans la loi. A minima et en termes de mobilier urbain, éviter l’urbanisme agressif : des bancs où l’on ne peut pas s’allonger, l’absence de lieux pour s’assoir sans payer, etc. »…
L’autrice revient sur l’histoire du Groupe addap13, les doctrines et pratiques de l’équipe « Aller vers », les maraudes, « Aller vers un public qui ne demande rien, sans conditions et en l’absence de jugement, porteur d’une offre en creux qui se construit en fonction de la situation de chacun, à travers une multitude de petits actes pour créer du lien et établir un diagnostic à partir d’indices permettant d’éprouver la situation, est bien spécifique à ces deux types d’actions », les actions spécifiques auprès de jeunes filles errantes, l’absence de statut de la et du mineur·e à la rue, les limites (et leurs raisons) des interventions… Elle insiste, entre autres, sur la nécessité de créer des lieux d’accueil de jour, de nouveaux dispositifs d’hébergement de longue durée, d’en finir avec « une veille sociale à bas seuil »…
Elle refuse de réduire les situations dans une seule optique, « ces jeunes sont en danger, mais pas seulement », le danger à celui perçu par les éducateurs/éducatrices, « l’urgence (ou le danger) est une réalité molle qui se discute et se dispute avec les publics – et les autres intervenants ».
Sans prise en compte de la parole et des désirs des personnes en situation d’errance, sans analyse des politiques qui construisent l’exclusion et la précarité, l’indignation contre la situation faite aux personnes n’est qu’une mascarade.
Il convient, en s’appuyant sur les actions d’associations, sur des analyses comme celle présentée ici, de construire des actions politiques (et les financements) pour répondre à l’urgence et construire sur le temps l’accès de chacun·e aux moyens de vie décente.
Le titre de cette note est de George Orwell dans un récit narrant ses propres années de pauvreté et d’errance, cité par l’autrice dans le paragraphe sur les besoins et les vécus des publics.
Véronique Le Goaziou : Errances à la gare Saint-Charles
La grande précarité et l’intervention socioéducative
Groupe addap13, Marseille 2020, 42 pages
Didier Epsztajn
De l’autrice :
Véronique Le Goaziou : Viol. Que fait la justice ?, le-temps-judiciaire-est-un-temps-contraint-qui-nest-pas-celui-des-victimes/
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