Dans l’ombre de Matzneff, l’extrême droite pédophile

StreetPress, 9 novembre 2020

L’écrivain Gabriel Matzneff, soupçonné de viol sur mineur, a de nombreux amis et soutiens à l’extrême droite. Certains, comme Alain De Benoist, lui demeurent fidèles. StreetPress s’est aussi plongé dans les revues pédo-nationalistes. Enquête à la BNF.

« La presse d’extrême droite est hystériquement hostile aux “pédophiles”. Ils sont à ses yeux l’ennemi N°1, l’incarnation de la gauche abhorrée, et cela me fait rigoler car j’ai connu, je connais un très grand nombre de “pédophiles” et ils étaient, ils sont presque tous de droite ou d’extrême droite. » (1) Quand il écrit ces mots dans son journal en 2014, les propos de Gabriel Matzneff ne créent pas la polémique. Ils ne le font pas davantage quand ils paraissent dans son ouvrage La Jeune Moabite. Journal 2013-2016, chez Gallimard en 2017.

Depuis fin 2019, l’écrivain est visé par une enquête pour viol sur mineur et sera jugé en 2021 pour apologie de viol aggravé. Son affaire rappelle qu’il y a longtemps eu une apologie de la pédophilie dans les années 70-80. À gauche, avec des tribunes d’intellectuels ou des articles de Libération notamment. Mais aussi à droite. « La question de la défense de la pédophilie n’est pas qu’un truc uniquement lié aux mouvances gauchistes, c’est quelque chose de très transversal politiquement », indique Pierre Verdrager, sociologue et spécialiste de la question de l’apologie de la pédophilie dans la société française, qu’il aborde dans son ouvrage L’enfant interdit, comment la pédophilie est devenue scandaleuse.

Mais après l’affaire Matzneff les critiques ciblent unanimement la gauche. « Maoïsme, islamisme, pédophilie… Il y a cinquante ans, quand la gauche virait dingo », titre Marianne. « La gauche et la pédophilie, une histoire monstrueuse », lance l’hebdomadaire réac’ Valeurs actuelles. Dans un dossier sur « la terreur » LGBT, le mensuel d’extrême droite l’Incorrect publie un article : « Quand les pédophiles militaient dans les rangs LGBTI ».

Dans son numéro sur « la terreur LGBT », le journal d’extrême droite et marioniste l’Incorrect pointe l’apologie de la pédophilie dans les milieux LGBTI. Ils oublient de rappeler que des pans de l’extrême droite ont fait leur part… / Crédits : L’Incorrect

La plupart de ces articles se basent sur le travail de Pierre Verdrager. Il consacre pourtant un chapitre entier à l’apologie de la pédophilie au sein de l’extrême droite et s’étonne de ne pas le voir repris dans les canards de la mouvance :

« C’est la grande malhonnêteté de l’extrême droite actuelle : essayer d’instrumentaliser la défense de la pédophilie par la gauche dans ces années-là, en omettant le fait que, dans ces mêmes années, des courants d’extrême droite ou de droite dure ont été tout à fait favorables à ce que Matzneff avait défendu. »

Le soutien de la Nouvelle Droite

Les plus fidèles soutiens de Gabriel Matzneff sur ce bord politique sont à trouver au Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (Grece), le think tank de la Nouvelle Droite. Christopher Gérard, écrivain de cette mouvance, a été par exemple responsable de l’association des amis de Matzneff. Et Alain de Benoist, tête pensante du Grece, est aussi un défenseur de l’écrivain. Il lui a consacré un texte dithyrambique, intitulé « L’Archange Gabriel », dans le N°60 de la revue d’extrême droite Éléments, en 1986. StreetPress a pu mettre la main sur cette archive. Il y aborde notamment les penchants pédophiles de l’auteur, qui seraient à l’époque critiqués :

« Qu’un écrivain déclare, comme la chose la plus naturelle du monde, qu’il préfère le commerce charnel des très jeunes personnes aux turpitudes classiques de ses contemporains, et il n’en faut pas plus – en pleine société “permissive” (sic) – pour le faire passer pour le Diable dans le Landerneau parisien. »

Pour Alain de Benoist, c’est « ce scandale qui [le] scandalise » :

« Il me semble, selon mon échelle de valeurs personnelles, qu’il est plus “scandaleux” de regarder les jeux télévisés, de jouer au Loto (…) que d’avoir la passion des fesses fraîches, des émotions naissantes et des seins en bouton. »

Selon Pierre Verdrager, qui notait déjà les propos de l’intellectuel dans son ouvrage, la position d’Alain de Benoist s’explique par « un racisme de classe très fort ». « Avoir une attitude pédophile, c’est être contre le sens commun, contre la plèbe, les gens ordinaires. C’est très important pour De Benoist ou Matzneff de mépriser ces personnes », pense le chercheur. De son côté, Alain de Benoist répond que l’article date de « 40 ans ou presque ». « Je n’ai pas grand-chose à dire là-dessus », indique-t-il. L’intellectuel d’extrême droite souligne que lui et Matzneff sont « amis de longue date » et qu’il lui trouve « beaucoup de talent » :

« Quand il a fait tel ou tel livre, j’en ai en général dit du bien. C’est tout. Je n’ai rien à ajouter. »

Daté de 1986, l’article d’Éléments et d’Alain de Benoist fait l’apologie de la pédophilie assumée de Matzneff. / Crédits : DR

La « promotion sociale »

Pour le leader du Grece, coucher avec Matzneff était « une sorte de promotion sociale », rappelle Pierre Verdrager. Une phrase d’Alain de Benoist y fait référence dans son éloge de 1986 :

« Quant aux jeunes personnes qui fréquentent Gabriel Matzneff, je ne doute pas qu’elles apprendront à son contact plus de choses belles et élevées que dans la vulgarité et la niaiserie que sécrète à foison leur vie familiale et scolaire. »

L’opinion défendue par De Benoist illustre la différence de l’apologie de la pédophilie entre la droite et la gauche. « Si le résultat est le même, il y a des modalités propres », détaille Pierre Verdrager. À gauche, c’est une « relation symétrique ». « On dit que les adultes ont des âmes d’enfants et que les enfants sont des personnes comme les autres. C’est la manière de réduire le différentiel, afin de rendre légitime les relations », explique le sociologue. À droite, c’est « asymétrique » : « On va mettre la relation en évidence avec des références à la Grèce antique et la pédérastie. Il y a l’idée qu’il y a une vraie différence et qu’il faut apprendre à l’enfant des choses ».

Les autres figures de l’extrême droite

De Benoist n’est pas le seul intellectuel d’extrême droite à soutenir activement Matzneff. La revue Lutte du Peuple de Christian Bouchet a également fait l’apologie de la pédophilie de l’écrivain en 1996. « Comment oser juger celui qui par son mode de vie, par son choix de comportement est le porte-drapeau des dissidents de la civilisation occidentale », écrivait le bimensuel. S’il n’a pas écrit l’article, Christian Bouchet a « toujours bien aimé Matzneff » et confie avoir lu tous ses livres, « même les assez rares » :

« J’ai toujours considéré que Matzneff était un mec de chez nous. On n’a jamais considéré que c’était un pédophile. À l’époque, c’était banal. »

L’écrivain d’extrême droite Renaud Camus, qui a popularisé la théorie complotiste et raciste du grand remplacement, a déjà été accusé de faire l’apologie de la pédophilie. Il s’en est ému dans un post de blog en 2016. Des internautes auraient lancé « une campagne déchaînée » suite aux propos qu’il a tenu en 1997 dans la revue l’Infini de Philippe Sollers. À l’époque, quelques mois après l’affaire Dutroux, le magazine fait un numéro spécial sur « La question pédophile ». Camus y est sollicité comme Elisabeth Badinter, Onfray, Houellebecq ou… Matzneff.

Renaud Camus y écrit notamment que « l’ensemble des discours sur la prétendue “pédophilie” constitue la dernière forteresse, la plus farouchement gardée, de la vieille haine immarcescible de la sexualité ». L’essayiste complète :

« Les enfants ont une sexualité et des pulsions sentimentales bien connues, qui peuvent très bien se porter sur des adultes. »

S’il s’en défend dans son post de blog presque 20 ans plus tard, Renaud Camus reprend bien l’argumentaire classique des milieux pédophiles des années 1970 et 1980, comme l’écrit Pierre Verdrager dans son ouvrage. « C’est une approche “libertaire” qui rejoint la thèse de Stéphane François [historien des idées, auteur de Les néo-paganisme de la Nouvelle Droite], comme quoi beaucoup de mouvements d’extrême droite sont très portés sur la libération sexuelle », ajoute le chercheur.

Autre exemple : Guillaume Faye. Ce théoricien-phare de l’extrême droite a défendu « l’érotisme adolescent » dans le N°2 d’Études et recherches, la revue doctrinaire du Grece. Celui-ci a également collaboré aux premiers numéros de la revue Gaie France, un journal néonazi et homosexuel : dans le premier numéro, cette revue estime que la communauté gay a « un rôle à jouer dans la perspective d’un renouveau culturel, politique et artistique au sein de la civilisation européenne ». Comprendre l’Europe blanche. Ça donne le ton. Elle est aussi ouvertement pédophile. La collection complète est disponible à la Bibliothèque nationale de France (BNF).

Les numéros de Gaie France affichaient souvent des garçons au visage et au physique ado en couverture. À l’intérieur, on y retrouvait des photos de nus. / Crédits : DR

Gaie France, la figure de proue

Ce mag’ est une « figure » de la défense de la pédophilie et des relations sexuelles avec des jeunes mineurs, selon Pierre Verdrager. Si la revue était « assez confidentielle », elle a connu 38 numéros de 1986 à 1993. Et même une interdiction à la vente aux mineurs en 1992 pour « incitation à la pédophilie ». Le contenu laisse peu de place au doute : dans tous les numéros, on trouve de nombreuses photos de garçons complètement dénudés, avec de la vente de photos proposée dans les dernières pages. Ou cette imitation de la chanson Elle est à toi de Brassens qui fait l’apologie de la pédophilie dans le N°11. Morceaux choisis :

« Elle est à toi cette chanson, toi le gamin qui sans façon, m’as donné la fleur de ton âge (…) Ce n’était rien que la nature, mais tu avais ravi mon corps. »

Dans le N°30, un autre texte critique « l’incroyable diabolisation des rapports sexuels entre adultes et mineurs (même les simples attouchements) ». Cet énoncé va même jusqu’à réinterpréter le silence des victimes : « Loin de créer un traumatisme chez le jeune adolescent (…), la relation qu’il a vécue avec un homme qui, dans 80% des cas, était un proche de sa famille ou un éducateur qu’il connaissait bien, a été suffisamment bien vécue et assumée pour qu’il n’éprouve pas le besoin de se plaindre. »

Au milieu de ses pages, Gaie France publie souvent des photos d’enfants sans raisons apparentes. La plupart du temps, les garçons y sont complètement dénudés et dans des poses parfois pédopornographiques. / Crédits : DR

Pas de quoi choquer le lectorat de la revue. Selon un sondage dans le N°12, un tiers des lecteurs se définissent comme des amoureux des enfants « jeunes ou très jeunes ». Une position qui se retrouve dans des petites annonces sans équivoque : « Recherche amis pédophiles pour échange d’idées, photos etc. et se rencontrer afin de ne plus être seul », « Recherche sur départements méridionaux coéquipier vraiment pédophile. Recherche également compagnon de voyage pour Marrakech (mêmes goûts) ». Gaie France n’est même pas assez « ado » pour 42% des sondés.

Les néonazis dans la place

Le directeur de publication de Gaie France a un sacré CV. Michel Caignet est un ancien dirigeant de la Fédération d’action nationale et européenne (Fane), groupe antisémite et violent des années 70 et 80. Il a même été arrêté en 1975 en Autriche avec un uniforme SS et un brassard nazi dans sa valise. Son activisme lui vaut d’être agressé au vitriol par des militants juifs en 1981. Défiguré, il fait ensuite partie du comité pour la préparation du centenaire de la naissance d’Adolf Hitler.

Oui, la pédophilie ET le suprémacisme blanc, c’est possible. / Crédits : DR

L’homme a un petit carnet d’adresses et attire dans ses colonnes Alain de Benoist ou Roger Peyrefitte – cousin éloigné de l’ancien ministre de la Justice Alain Peyrefitte. Cet écrivain détenteur du prix Renaudot 1945 se revendique membre du Front national, « excellent ami » de Matzneff et même d’être un « diplomate pédéraste ».

Après la disparition de Gaie France, Caignet devient le directeur de la revue Palaestre, qui est elle aussi interdit à la vente aux mineurs en 1994 pour « incitation à la pédophilie ». « C’était plus confidentiel, ça se trouvait sous le manteau », raconte le spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus.

Le premier numéro de Palaestre porte sur « l’Eros garçonnier ». La revue sera elle aussi interdite à la vente aux mineurs en 1994 pour « incitation à la pédophilie ». / Crédits : DR

Derrière ce néonazi, on trouve aussi Bernard Alapetite, un ponte de l’extrême droite pédo-nationaliste. Ce dernier est un des photographes de Gaie France. Il a fondé d’autres journaux pédophiles, récupérés ensuite par Michel Caignet. L’un d’entre eux est P’tit Loup décrit par Pierre Verdrager dans son livre comme « spécialisé dans les tout jeunes enfants – presque tous impubères, entre cinq et dix ans pour la plupart – et comportait de nombreuses photos de nus ». Avant cela, Alapetite a participé dans les années 70 à la revue néofasciste Défense de l’Occident et à Éléments, le mag’ du Grece – dont il revendique avoir été un des premiers membres. « Il était également à Ordre nouveau) et au Parti des forces nouvelles) [Deux mouvements néofascistes. L’un a participé à la création du FN, l’autre en est une scission, ndlr] », rappelle Jean-Yves Camus, qui précise que les partis politiques n’ont jamais tenu cette ligne d’apologie. « C’étaient des comportements personnels. »

Des procès pour pédophilie

Caignet et Alapetite finissent sur le banc des accusés à la fin des années 90. Le premier est condamné à deux ans et demi de prison ferme dans le procès Toro Bravo en 1997, dans lequel 71 personnes ont été jugées pour avoir réalisé, diffusé ou détenu des cassettes vidéo pornographiques à caractère pédophile. Caignet a commercialisé les cassettes. Autre protagoniste de l’affaire : Jean-Manuel Vuillaume, le réalisateur des films, qui a aussi travaillé pour le mag’ Défense de l’Occident et pour P’tit Loup (il écopera de trois ans fermes).

Le deuxième, Alapetite, est condamné à trois ans fermes lors du procès Ado71 en 2000, là encore pour de sombres histoires de cassettes pédopornographiques.

Dans Gaie France, on pouvait tomber sur des petites annonces de personnes « vraiment pédophiles » qui recherchaient des comparses. Ou sur la création d’un « sympathique groupe de jeunes fafs ». / Crédits : DR

Bien que ces personnalités néofascistes aient longtemps gravité au sein de l’extrême droite, Pierre Verdrager rappelle néanmoins qu’il y a « une extrême droite très hostile à la pédophilie depuis toujours ». « Je pense qu’elle est clivée, c’était le cas aussi à gauche. Tout comme chez la communauté homosexuelle. Il n’y avait pas de consensus sur ces questions-là », analyse-t-il. Pour Christian Bouchet, c’est l’époque qui a changé. « La lutte contre tout ça est arrivée tardivement des États-Unis », estime-t-il. Il se souvient que des nationalistes comme Yvan Benedetti ont protesté contre Matzneff :

« J’étais tout à fait surpris. C’était un changement de comportement très net. On est devenu hostile à Matzneff alors que l’extrême droite ne lui avait jamais été hostile. »

Par Christophe-Cécil Garnier


(1) Le sociologue Pierre Verdrager a retrouvé cette phrase lors de ses recherches pour sa deuxième édition de L’Enfant interdit qui paraîtra bientôt et l’a transmise à StreetPress dans le cadre de notre article.

(2) Edit du 10/11/2020 : Nous avons remplacé la phrase : « les critiques ciblent unanimement la gauche », car un article de Politis interrogeait bien la responsabilité de l’extrême droite, en citant notamment l’article d’Alain de Benoist de 1986.

(3) Edit du 12/11/2020 : Nous avions écrit en premier lieu que Christopher Gérard était responsable de l’association des amis de Matzneff. Il n’en était que membre.

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