La pandémie de Covid-19 en France
dossier
par Des acteurs et des actrices du monde de la culture et des médecins
En évacuant les flâneurs des berges de Seine le week-end dernier à Paris, le gouvernement a parachevé sa stratégie qui, dans l’espoir sans doute vain d’éviter un confinement généralisé, privilégie l’écrasement de la culture, de la socialisation, du plaisir et de la décompression. Ce faisant, il signe un double échec annoncé : celui de faire suffisamment baisser la circulation du virus et celui de sortir les Françaises et les Français, en particulier les plus jeunes, de la léthargie qui les mène tout droit à une crise psychiatrique sans précédent. La France est un pays de science et de culture. Pourtant elle mène depuis des mois une politique qui étouffe la seconde en faisant fi de la première.
Nous voulons rappeler ici que des protocoles validés scientifiquement existent pourtant qui permettraient sans risque de visiter un musée, d’assister à un spectacle ou à une séance de cinéma, et de profiter d’événements extérieurs. Dire aussi qu’un certain nombre d’innovations simples (généralisations des QR codes, interfaçage des billetteries électroniques, des résultats de tests et de #TousAntiCovid, etc.) permettraient de sécuriser ces protocoles si le gouvernement en avait la volonté et s’en donnait les moyens. Et enfin affirmer que si des événements-tests complémentaires devaient être organisés (notamment pour les événements debout), c’est à l’Etat de les soutenir de toute urgence.
Depuis le 1er novembre dernier, la fermeture totale des établissements culturels et le couvre-feu privent les Français de culture et de lien social et rien n’indique que cette politique soit amenée à évoluer dans les semaines ou les mois à venir. Tout se passe comme si l’apparente «maîtrise» de l’épidémie (en réalité un niveau de contaminations constant mais supérieur à tous les grands pays d’Europe) était considérée comme satisfaisante par le gouvernement du moment qu’elle permet d’éviter ce qu’il considère comme le mal absolu : un nouveau confinement généralisé. Aujourd’hui, nous, scientifiques, élus, acteurs et actrices de la culture et de la fête, demandons de remettre en question la doxa utilitariste qui forge ce statu quo qu’il ne sera pas possible de maintenir pendant le printemps et l’été. Et pour ce faire, de réinterroger la science qui peut guider celui ou celle qui sait l’écouter.
Activités de plein air
Nous ne sommes pas des apprentis sorciers mais celles et ceux d’entre nous dont ce n’est pas le métier ont eu le temps d’apprendre à lire les données épidémiologiques et les études médicales sur les sujets qui nous concernent au premier chef. Or, dans la littérature scientifique, rien ne dit qu’il est plus dangereux d’assister à un spectacle assis que de prendre un métro bondé à l’heure du couvre-feu. A l’inverse, il existe des myriades d’articles démontrant que les contaminations en plein air sont drastiquement moins probables qu’en milieu confiné et qu’il faut donc privilégier les activités de plein air dès que cela est possible.
Pourtant, les annonces de Roselyne Bachelot au sujet des festivals de l’été sont venues doucher les derniers espoirs de bol d’air estival au mépris de leur importance culturelle, sociale et économique, mais au mépris également de ce que disent les spécialistes de la santé mentale qui alertent depuis des mois sur une possible troisième vague psychiatrique, notamment chez les adolescents et les jeunes adultes. Non, on ne répondra pas au besoin impérieux de rencontres des jeunes adultes en proposant des concerts assis avec deux mètres d’intervalle entre chaque chaise.
Ce que nous demandons, c’est juste d’adosser les politiques publiques aux recommandations scientifiques de la manière la plus fine, la plus précise, la plus dynamique mais aussi la plus généralisée possible. Pour organiser toutes les activités humaines quand les conditions le permettent, de la manière dont elles le permettent. Et d’arrêter de trier ces activités par le prisme de considérations autoritaires, approximatives et, de toute évidence, inefficientes sur leur caractère essentiel ou non-essentiel. Nous sommes, toutes et tous, prêts à arrêter nos activités quand il n’est plus possible de les mener mais nous demandons qu’a contrario, des protocoles nous permettent de les relancer progressivement dès que les indicateurs épidémiologiques sont compatibles avec leur exercice.
Politique bipolaire
Depuis la fin du second confinement de novembre-décembre, le gouvernement français a choisi d’emprunter une voie beaucoup plus drastique et atypique qu’il ne voudrait nous le faire croire. Cela fait maintenant trois mois que la vie des Français est partagée entre deux réalités que tout oppose. D’un côté, des journées quasi ordinaires où chacun travaille (et télétravaille de moins en moins), prend les transports en commun, va à l’école (à l’exception notable des universités), se rend dans les commerces bondés, bref, produit et consomme quasiment normalement. Et, d’autre part, des soirées et des week-ends inexistants sans musées, sans expositions, sans amis, sans rencontres, sans restaurants, sans spectacles, sans cinémas, sans concerts, bref sans culture, sans lien social et sans décompression psychologique. Aucun pays d’Europe n’a opté pour une telle politique bipolaire sur une si longue période.
En Grande-Bretagne ou en Allemagne, des confinements beaucoup plus stricts avec fermeture des écoles ont fait baisser la pression épidémiologique de manière nette. Il est donc possible qu’ils puissent envisager une reprise de leurs activités (essentielles ou non) plus vite que la France.
La France stagne sur un plateau haut depuis bientôt trois mois, ce qui lui interdirait tout «relâchement», selon le mot préféré des cabinets ministériels depuis des semaines. Et donc d’envisager toute reprise de l’activité culturelle. La France, championne traditionnelle de la politique culturelle en Europe, s’impose aujourd’hui comme le pays qui affirme le plus haut et le plus fort son caractère non essentiel. Tout se passe comme si le gouvernement avait mésinterprété l’expression «vivre avec le virus». Vivre avec, c’est vivre entièrement avec, ce n’est pas demi-vivre avec en choisissant ce qui est utile ou non, c’est faire en sorte que dans toutes les situations sociales, les consignes de prévention, de distanciation et de gestes barrières édictées par la science et les niveaux épidémiques soient prises en compte. Sans faire de tri entre des transports ou des supermarchés où 20 cm de distanciation seraient suffisants et des musées où une jauge d’une personne pour 10 m2 proposée par les professionnels n’est pas jugée suffisante pour permettre leur réouverture. Vivre avec, c’est travailler avec, aller à l’école avec mais aussi aller au spectacle avec et créer du lien social avec.
Des protocoles existants ou proposés par les professionnels sont pourtant aujourd’hui validés par les experts scientifiques : dans les musées, pour le spectacle assis ou les événements extérieurs. Des innovations ont même été proposées qui demanderaient un minimum d’investissement de la part de l’Etat pour parfaire la sécurité du public de ces événements. Notamment en généralisant l’obligation de présenter un test négatif pour participer à une séance, une représentation ou un festival. Comment croire qu’il ne serait pas possible d’interfacer des résultats de tests de moins de quarante-huit heures et l’application #TousAntiCovid avec les systèmes de billetteries électroniques ? Qui peut croire qu’avec un public entièrement testé, des masques, du gel, des jauges réduites, un encadrement renforcé et un contact tracing complet, il ne serait pas possible de faire des événements extérieurs debout en toute sécurité ? Si des événements tests complémentaires doivent être opérés, c’est à l’Etat français de déployer les moyens nécessaires pour les réaliser en urgence de manière proactive plutôt que de laisser les acteurs exsangues de ces secteurs s’en débrouiller.
A l’approche du printemps et de l’été, moment crucial où les activités de plein air beaucoup moins risquées d’un point de vue épidémiologique redeviennent possibles, les annonces sur les festivals, par une ministre de la Culture qui exhorte les professionnels de la musique à se «réinventer», donnent le signal que le gouvernement entend contraindre les activités culturelles sans limites. Non, il n’est pas question de se réinventer quand on parle d’écouter de la musique électro, du hip-hop ou du heavy metal assis seul sur une chaise de jardin sans la possibilité de se lever ou de boire un verre. Ce n’est pas se réinventer que d’accepter une telle injonction, c’est renier la nature même de ces événements qui sont sociaux autant que culturels. Et de la part du gouvernement, c’est organiser sans le dire l’abandon des événements officiels et sécurisés au profit d’événements sauvages qui ne seront pas forcément dénués de considérations sanitaires mais qui se feront dans tous les cas, en dehors de tout contrôle extérieur.
Nous, scientifiques, artistes, acteurs et actrices de la culture ou élus demandons solennellement au gouvernement français de sortir de l’impasse dans laquelle il nous a menés, de rouvrir tout ce qui peut l’être en respectant des protocoles stricts et de tout faire pour que les activités extérieures nous offrent un bol d’air salvateur durant l’été. Nos villes, nos structures, les artistes mais aussi le public, et le jeune public en particulier, ne survivront pas à un printemps et un été sans culture.
Signataires : Adrien de Van, directeur du théâtre Paris-Villette ; Bruno Blanckaert, directeur du Grand Rex ; Carine Rolland, maire adjointe de Paris en charge de la culture et de la ville du quart d’heure ; Constance Delaugerre, professeur de virologie, hôpital Saint-Louis, université de Paris ; Eric Labbé, cofondateur de Maison Message, spécialiste de la nuit et des pratiques festives ; Frédéric Hocquard, maire adjoint de Paris en charge du tourisme et de la nuit ; Laurence De Magalhaes et Stéphane Ricordel, codirecteurs du Monfort Théâtre ; Malika Seguineau, directrice générale du Prodiss, syndicat national du spectacle musical et de variété ; Renaud Barillet, président du réseau MAP – Musiques actuelles à Paris ; Serge Hefez, responsable de l’unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière de Paris ; Tommy Vaudecrane, président de Technopol ; Ulysse Guttmann-Faure, représentant des étudiants au sein du comité consultatif Covid de Paris.
Poster un Commentaire