Kimberley s’est donné la mort le 14 mars dernier à Marseille. Elle était placée en foyers et familles d’accueil depuis sa naissance. Ce drame met à nouveau en lumière les drames humains qui se cachent derrière la politique d’aide sociale à l’enfance.
« Le village m’aura aidé à voir les choses en face, que je n’ai pas ma place dans ce monde. »
Ces mots, terribles, sont signés de Kimberley, juste avant son suicide à Marseille. « Le village » désigne le foyer où elle était placée depuis dix ans avec O., sa petite soeur de 12 ans.
Depuis sa naissance, la jeune fille est ballotée de famille d’accueil en foyer. « A la maternité, les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) étaient là », se souvient Sylvain F., le père de Kimberley.
La mère, Florence F., a déjà un grand garçon placé en foyer. Elle est déclarée inapte à s’occuper de ses enfants à cause d’une dépression qui lui vaut plusieurs hospitalisations. Sylvain F. est lui jugé agressif par les services sociaux.
Agée de quelques semaines la petite fille est enlevée à ses parents par les services sociaux varois. Kimberley est ainsi séparée de sa famille, qui habite Saint-Maximin et grandit à Marseille. « Ils nous l’ont prise, elle était en bonne santé. Ils nous la rendent morte dans un sac plastique. »
Le suicide de la jeune fille, par « chute de grande hauteur » selon le rapport de police, rappelle la souffrance que vivent les enfants placés. Ils sont 160.000 en France. « C’est un échec », constate Lyes Louffok, ancien enfant placé, militant pour les droits des enfants et auteur d’un livre, Dans l’enfer des foyers.
« On n’imagine pas qu’un enfant confié à l’ASE puisse se donner la mort. Mais la détresse que vivent actuellement les jeunes à cause du Covid, les enfants en foyer la vivent de plein fouet. Est-ce qu’elle a reçu un soutien psychologique ? »
Le compte rendu daté du 11 juin 2020 de la dernière audience de la juge pour enfant ne laisse pas apparaitre le mal-être de Kimberley. « Kimberley et O. continuent de s’épanouir sur leur lieu de placement. […] L’accompagnement proposé convient bien à leur développement affectif et psychologique, » peut-on lire.
Le père de Kimberley affirme pourtant que sa fille a tenté de faire part de ses difficultés lors d’une de ses cinq visites autorisées par an, en présence d’un « médiateur ». « Mais ils ne l’ont pas laissée en parler. De toutes façons, à l’ASE, l’enfant n’est pas écouté. »
Dans sa dernière lettre, Kimberley parle de « personnes qui font les choix de [sa] vie et qu'[elle] a subi. »
Ce choix n’est pas le mien mais de ceux qui ont choisis (sic) ma vie !
Pour Lyes Louffok, les enfants sont les grands oubliés de la politique de protection de l’enfance. « Ils n’ont pas de défendeur, pas d’avocat. Les audiences peuvent se tenir sans greffier alors que ce serait inconcevable au pénal. La justice des enfants souffre de trop exception et ça ne favorise pas un climat apaisé. »
Dans son rapport, la juge, note la volonté de Sylvain F., de renouer avec ses filles depuis plusieurs années. Elle déplore cependant une communication « très complexe » avec le père et des relations dégradées des parents avec le foyer et l’ASE.
« Kimberley et O. sont absentes du discours parental, défensif, agressif et accusateur envers les institutions », explique la juge.
Ce que Sylvain F. ne reconnait qu’à moitié. « J’étais strict et ferme, rigide. Mais ce n’est pas de l’agressivité. Les parents qui ne parlent pas la religion de l’ASE sont agressifs. Si on parle autrement on est agressif, on est coupable de tout. »
Les services de l’enfance ne sont pas formés à recevoir la douleur des parents.
Depuis la mort de sa fille, les parents ont contacté un avocat pour défendre leurs intérêts. Leur choix s’est porté sur Maître Michel Amas, connu pour ses coups de gueule contre ce qu’il appelle « la toute puissance des services sociaux. »
En 2019, une vidéo qu’il publie sur les réseaux sociaux est vue plus de quatre millions de fois. Il représente actuellement plus de 600 parents d’enfants placés.
« Les services de l’enfance ne sont pas formés à recevoir la douleur des parents, dénonce l’avocat. Ils ont un langage administratif, il y a un mépris violent. Et souvent les parents dérapent, » estime l’avocat.
Dans ces conditions, Me Amas remarque que le travail d’aide à la réintégration des enfants s’arrête. « Le but du placement c’est de réinjecter l’enfant dans sa famille. Mais quand les parents entrent en conflit, les services sociaux s’arrêtent de travailler avec eux. »
« Ca ajoute des difficultés à des parents déjà en situation de fragilité, au lieu de traiter le problème », confirme Lyes Louffok. Pour lui dans la majorité des cas les placements sont cependant justifiés. Ce sont surtout les solutions de placement qui sont inadaptées.
« Je suis sidéré qu’on tolère que des enfants soient placés pendant 12 ans, 18 ans. Si le retour dans leur famille biologique est impossible, pourquoi on ne les met pas dans un dispositif d’adoption simple ? Pour leur offrir une famille de remplacement sans effacer le lien avec les parents biologiques. »
Concernant Kimberley, le militant appelle de ses vœux une enquête administrative pour éclaircir les raisons de son suicide. « Que la structure soit contrôlée, c’est la moindre des choses. »
A ce jour, ni le département du Var, ni le procureur de Draguignan n’ont souhaité s’exprimer sur le sujet.
Le département des Bouches-du-Rhône, responsable du foyer, a précisé que les moyens nécessaires avaient été mis en œuvre pour accompagner les jeunes résidents et le personnel.
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