La résistible destruction de l’assurance chômage par aplutsoc

Nouvel article sur Arguments pour la lutte sociale

Thiers stigmatisait la paresse et l’imprévoyance des chômeurs de 1850 en énonçant les forts principes de l’aide aux pauvres : « L’État doit être bienfaisant, librement et prudemment », il faut « poser des limites à l’assistance afin de maintenir l’obligation du travail pour tous et de prévenir les vices de l’oisiveté ». Les plus réactionnaires s’y reconnaissent toujours. Laurent Wauquiez suggérait naguère d’imposer aux pauvres des heures de travaux d’intérêt général. Quant aux macronistes, leurs provocations servaient de préparation d’artillerie à la destruction de l’assurance-chômage. Après Castaner, et son célèbre « la liberté, ce n’est pas bénéficier des allocations chômage pour partir deux ans en vacances », le député LREM, Damien Adam avait tiré un gros boulet : « Ce n’est pas une question de sévérité, mais plutôt de définir des règles claires et comprises par tout le monde. Car quand vous êtes salarié et que vous voyez certaines personnes qui partent en vacances aux Bahamas grâce à l’assurance chômage, il est légitime de se dire que ce système marche sur la tête ! »

La destruction de l’assurance-chômage n’est pas un symbole. Pour emblématique qu’elle soit du macronisme, elle aurait, si elle entrait en vigueur le 1er juillet prochain, les conséquences matérielles les plus désastreuses sur tous les salariés privés de contrat à cette date. Selon une « étude d’impact » de l’Unedic datée du 24 mars sur cette « réforme », ce sont 1.150.000 chômeurs qui subiraient une baisse des allocations. Parmi eux, 365.000 privés d’emploi seraient aussi privés du quart de leur allocation qui pourrait passer de 885 € à 662 €. Sur toute la population concernée ce serait une baisse moyenne de 17% des indemnités par rapport à la situation actuelle.

Les trois dispositifs frappant les chômeurs que Macron voulait mettre en œuvre par décret en juillet 2019 et qui ont été reportés, sont bien connus des syndicats qui les ont critiqués :

  • augmentation de la durée de cotisation pour ouvrir des droits, de 6 mois sur les 24 derniers mois au lieu de 4 mois travaillés sur 28 mois précédemment
  • dégressivité de l’allocation pour les moins de 57 ans gagnant plus de 4500 € bruts c’est le principe de l’indemnisation du chômage qui est visé par sa transformation en aide au retour à l’emploi, modulable dans le temps
  • nouveau mode de calcul du Salaire Journalier de Référence (SJR).

Cette dernière mesure permettant à elle seule de priver les chômeurs d’un milliard d’euros par an. Les deux autres mesures pourraient spolier les mêmes d’environ 1,26 milliards d’allocations si la contre-réforme s’appliquait à plein effet.

Il est précisé que ces conditions sont applicables « jusqu’à ce que soit constatée une amélioration durable de la situation de l’emploi ». C’est ici que l’on touche au cœur de la contre-réforme, au moyen même de destruction de l’assurance chômage comme assurance garantissant un revenu en contrepartie de cotisations. A sa place on recevrait une aide dont le montant et la durée pourraient varier en fonction de la situation économique du pays et de sa répercussion sur l’emploi, le tout sur des critères inconnus, des instruments de mesure qui restent à définir, tous à la convenance du gouvernement.

Macron est bien conscient qu’imposer cette contre-réforme en pleine crise sociale et en pleine crise pandémique relève de la provocation. Jean Pisany Ferry, son ancien « directeur du programme et des idées » et des économistes comme Philippe Aghion ou Gilbert Cette qui avaient soutenu le candidat Macron en 2017 critiquent sévèrement sa « réforme » et pas seulement quant à « l’opportunité de l’appliquer aujourd’hui » .

Pour tenter d’installer une symétrie, le décret publié le 31 mars maintient un dispositif de bonus-malus concernant les employeurs. Les patrons dont les effectifs sont stables verraient leurs cotisations diminuer tandis que les grands utilisateurs de contrats précaires les verraient majorées. Mais « les différences de taux de cotisation sont très resserrées et peu incitatives» du point de vue même de Gilbert Cette et de surcroît les employeurs les plus touchés par la crise en seront dispensés. Ce sont pourtant, le plus souvent, de grands amateurs de contrats précaires. Pour finir ce dispositif ne s’appliquera qu’au… 1er septembre 2022 pour ne pas fâcher les patrons avant les présidentielles.

Les directions des confédérations CGT et FO ne sont pas moins critiques que les ex soutiens de Macron. Mais pas plus. Le 26 mars, elles envisageaient de saisir le Conseil d’État après la publication du décret. Elles avaient en partie obtenu satisfaction contre le précédent décret de juillet 2019. En novembre 2020, les dispositions relatives au Salaire Journalier de Référence (SJR) avaient alors été retoquées. Mais, comme le note Le Mondec’était alors « une décision sans conséquence concrète pour les demandeurs d’emploi puisque la règle incriminée n’avait pas encore été appliquée». Les directions des confédérations croient-elles vraiment que le Conseil d’État pourrait dire le droit, sans être en rien influencé par la puissance de la guerre que livre Macron aux chômeurs et aux précaires et par l’absence de riposte syndicale organisée au niveau national ? Le syndicalisme de juristes et d’experts, c’est la tactique du moment pour qu’aucune mobilisation de masse ne vienne défaire la réforme de Macron et ne bouleverse la donne électorale.

Mais évidemment les précaires, les chômeurs, les intermittents, ne sont pas d’avis d’attendre 2022. Ils occupent 140 lieux de culture comme d’autres occupaient les ronds-points. Ils décrètent « les vendredis de la colère contre la réforme de l’assurance chômage »

Ils affirment que leur lutte dépasse les revendications du secteur culturel et appellent à la mobilisation générale contre le projet de réforme de l’assurance chômage. Ils déclarent :

« Alors que la gestion de la crise sanitaire empêche des millions de personnes de travailler,

Alors que plus d’un chômeur sur deux n’est pas indemnisée,

Alors que le chiffre historique de 10 millions de pauvres a été dépassé,

Le gouvernement impose une réforme de l’assurance chômage d’une violence inouïe.

Elle appauvrit de façon écrasante les plus précaires d’entre nous. C’est inacceptable, indigne, obscène.

Nous sommes déterminés à obtenir son retrait définitif. Nous exigeons que tous les chômeurs soient indemnisés immédiatement.

Nous appelons tous les vendredis à des journées d’actions coordonnées partout en France.

Pas de réouverture sans droits sociaux pour toutes et tous »

Les confédérations CGT ou FO, elles, n’appellent à rien, ne coordonnent rien, elles attendent la saisine du Conseil d’État, puis elles attendront sa décision et en attendant elles poursuivent avec Castex et le MEDEF la concertation et le dialogue social pour « construire le paritarisme 4.0 » et autres nouveaux habits de l’accompagnement de la destruction des droits des salariés.

Combien de temps les directions confédérales pourront-elles laisser isolées les luttes des travailleurs du spectacle, des intermittents, des chômeurs, des précaires, des jeunes ? Aussi longtemps que nous les laisserons faire !

Pas plus que les 40 jours de grève de Grandpuits ou la grève de TUI, ou toutes les mobilisations contre les 850 plans de licenciements, les occupations des lieux de culture ne suffiront à faire céder Macron. Oui, il faut occuper, coordonner, manifester, mais ne devons-nous pas exiger des directions syndicales le soutien à nos luttes, en nous appuyant sur les nombreuses mobilisations en cours, interpeller ces directions pour obtenir un appel à une manifestation centrale contre le décret sur l’assurance chômage et pour l’interdiction des licenciements, inscrire cette proposition dans tous les ordres du jour de nos réunions syndicales, en débattre, mettre aux voix motions et résolutions, pour que se réalise l’unité dans la rue, devant les lieux du pouvoir, contre le décret « inacceptable, indigne et obscène » de Macron.

15-04-2021.

aplutsoc | 15 avril 2021

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