Le 9 juin 1944: Les pendus de Tulle

LE 09/06/2021

À retrouver dans l’émission

Le 9 juin 1944, la division allemande SS « Das Reich » entre dans Tulle, pend 99 hommes aux balcons de la ville, en déporte 149 autres dont 101 ne reviendront pas des camps de concentration. Le 10 juin au matin, la même division prend le chemin d’Oradour-sur-Glane. Témoignages des habitants de Tulle.

Deuxième division SS Das Reich, passée par Tulle le 9 juin 1944, puis le 10 juin 1944 par Oradour-sur-Glane.
Deuxième division SS Das Reich, passée par Tulle le 9 juin 1944, puis le 10 juin 1944 par Oradour-sur-Glane. Crédits : Wikipédia

Le 9 juin 1944, la deuxième division SS das Reich commet un massacre à Tulle, en Corrèze. 99 hommes sont pendus aux balcons de la ville quand 149 autres sont déportés au camp de Dachau. Seuls 48 reviendront vivants. 77 ans après, retour sur les témoignages des habitants de Tulle.

Nous sommes en juin 1944. Depuis le 7 juin, lendemain du débarquement allié de Normandie, les soldats de la Wehrmacht stationnés à Tulle ainsi que les miliciens sont harcelés et attaqués par la Résistance. C’est une véritable guérilla urbaine qui oppose les FTP (Francs tireurs partisans) aux soldats allemands, avant que la ville ne tombe le 8 juin. Les Résistants prennent alors possession de la ville et une quarantaine d’Allemands en uniforme et en civil se rendent les mains sur la tête.

Mais les combats ont laissé des traces, et la fumée alerte la division blindée SS Das Reich stationnée non loin de là. Très vite, elle va reprendre possession de Tulle.

« Les Allemands ont demandé aux gens s’ils avaient des cordes et des échelles »

Cette habitante de Tulle avait 19 ans et demi quand son mari de 25 ans a été arrêté et conduit avec les autres hommes. Elle ne voit pas ce qui se prépare :

Les Allemands ont demandé aux gens s’ils avaient des cordes et des échelles.

Personne ne se doute de ce qui est en train de se mettre en place. Les Allemands accrochent les cordes aux balcons et aux lampadaires :

Jamais de la vie ça ne nous est venu à l’idée qu’ils allaient pendre des hommes !

Lorsque les hommes ont été sortis de la manufacture, c’est alors que les habitants ont compris…

J’étais au balcon de mes parents. Il y avait les Allemands et tout le long de la rue, et tout le long, le pont et tout, il y avait les pendus. Il y a eu 99 personnes ont été pendus et 149 sont partis en déportation. Et il en est revenu 48 ou 49. Je ne sais pas exactement. On les voyait de loin [soupir]… On a dit : « ils sont en train de pendre les hommes ». Qu’est ce que vous voulez qu’on ressente ? On était effrayé. Ça a duré toute la journée et le lendemain, on ne pouvait même pas sortir…

quelques membres de la 2e division SS Das Reich qui ont participé au massacre d'Oradour sur Glane le 10 juin 1944. Elle est composée de Waffen SS volontaires et de "Volksdeutsche".
quelques membres de la 2e division SS Das Reich qui ont participé au massacre d’Oradour sur Glane le 10 juin 1944. Elle est composée de Waffen SS volontaires et de « Volksdeutsche ». Crédits : PHOTOSVINTAGES – AFP

« Votre mari est là ? C’est pour une vérification des papiers »

Jeannine Picard avait 6 ans. Le matin du 9 juin, aux alentours de huit heures, des coups ont retenti à la porte du petit appartement dans lequel elle habitait avec ses parents et sa petite sœur de deux ans. Sa mère s’est levée précipitamment pour aller ouvrir. Face à elle, deux SS :

Votre mari est là ? C’est pour une vérification des papiers.

Il s’habille rapidement, mais n’aura que le temps d’embrasser sa femme et ses deux filles. Il ne remettra plus jamais les pieds dans l’appartement. Échappant aux pendaisons, le 10 juin, il sera conduit aux camions pour être acheminé vers le camp de concentration de Natzweiler-Struthof. Apprenant la nouvelle, la mère de Jeannine se précipite avec elle jusqu’au convoi pour ce qui sera leur ultime rencontre.

Ma mère m’a attrapé par la main et on a couru en direction de la manu [manufacture] et elle me disait « regarde pas, regarde pas ! ». J’avais très, très peur et je m’en rappelle très bien avoir vu encore des morceaux de corde. C’est resté intact dans ma mémoire : une foule de gens criait, pleurait. Il y avait des files de camions qui étaient prêts à partir. Il y avait ces hommes qui n’avaient pas été pendus, qui n’avaient pas été relâchés et qu’on allait emmener. Et ma mère s’est mise à crier son nom. À un moment donné, peut-être au début du troisième ou quatrième camion, une voix a crié : « Je suis là ! » Il s’est approché de la ridelle du camion et nous a embrassé. Et ma mère a posé des questions. Elle donnait des noms. « Léon », c’était mon oncle, et mon père hochait la tête de gauche à droite. Ça voulait dire non. « Et Guy ? » C’était le parrain de ma sœur, un jeune homme de 20 ans. La tête de gauche à droite. « Et Jeannot ? », c’était son cousin de 18 ans. Toujours non… J’ai compris plus tard que tous ces hommes avaient été pendus la veille. Après nous avoir embrassé, il nous a dit : « Après ce que j’ai vu, je suis content de m’en aller ». Le pauvre ne savait pas ce qui l’attendait. Sa vie s’arrêtera le 16 janvier 1945.

La 2e division SS Das Reich se remet en route le 9 juin et quitte Tulle. Le 10 juin 1944, c’est le village d’Oradour-sur-Glane qui subira à son tour cette folie meurtrière et préméditée, avec 642 victimes innocentes en moins de trois heures.

  • Reportage : Elise Andrieu
  • Réalisation : Marie-Laure Ciboulet, Vincent Abouchar, Clémence Gross

Merci aux témoins et à Jeannine.

Musique de fin : « Pardon Madjid », Les Ogres de Barback – Album : Du simple au néant, 2007.

Première diffusion : 04/03/2008.

Depuis ce reportage :

Pierre Diederich et Léone Drelon sont malheureusement décédés.

Jeannine Picard, elle, est toujours en vie. Elle avait 6 ans le jour du massacre et s’en souvient toujours autant. Ce 9 juin 2021, comme chaque année, elle participera à la commémoration dans Tulle. Depuis sa rencontre avec Élise Andrieu, elle repense de manière toujours aussi vivace à cet évènement. Elle dit : « Pas de pardon, pas de haine, pas d’oubli ». Ses émotions et son combat pour la tolérance demeurent intacts.

Jeannine a deux arrière-petits-enfants et ne veut pas qu’ils connaissent la haine. Alors elle continue de témoigner dans les écoles et auprès des jeunes de cet évènement. Cette année, elle est notamment intervenue au sein d’une classe de collège, comme le montre cet article de La Montagne.

Elle a aussi visité le camp de Struthof en Allemagne, parce que le nom de son père, déporté suite à la rafle du 9 juin, est inscrit sur une stèle de la mémoire. Jusqu’ici, elle n’était pas parvenue à y aller. Cela l’a apaisé de voir le nom de son père inscrit, comme si elle lui rendait hommage.

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