Les impacts dévastateurs du changement climatique sur la nature et l’humanité sont pour partie déjà « irréversibles », selon un document de travail rédigé par des scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, qui plaide pour une « transformation radicale » de nos modes de vie.
Pénurie d’eau, exode, malnutrition, extinction d’espèces… La vie sur Terre telle que nous la connaissons sera inéluctablement transformée par le dérèglement climatique quand les enfants nés en 2021 auront 30 ans, voire plus tôt, alerte un projet de rapport des experts climat de l’ONU obtenu par l’AFP.
Rédigée par des centaines de scientifiques rattachés au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), cette contribution au sixième rapport du Giec – qui évalue les impacts, l’adaptation et la vulnérabilité au changement climatique – Il a été diffusée pour examen aux gouvernements et à des experts, du 4 décembre 2020 au 29 janvier 2021. Il s’agit donc de « documents de travail confidentiels [qui] ne doivent pas être diffusés ou cités publiquement », a réagi le GIEC.
Le rapport d’évaluation complet de 4.000 pages ne sera officiellement publié qu’en février 2022, après son approbation par consensus par les 195 Etats membres.
Des conséquences déjà irréversibles
Ce rapport s’annonce pour le moins alarmant. Le climat a déjà changé et « le pire est à venir, avec des implications sur la vie de nos enfants et nos petits-enfants bien plus que sur la nôtre », projète le Giec. Alors que la hausse des températures moyennes depuis le milieu du XIXe siècle atteint 1,1°C, les effets sont déjà graves et seront de plus en plus violents, quel que soit le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
De nombreux écosystèmes terrestres, marins, côtiers ou d’eau douce sont déjà « proches ou au-delà » des limites leur permettant de s’adapter. Les forêts, tropicales ou boréales, sont particulièrement concernées. Dans un scénario pessimiste, l’Amazonie pourrait même se transformer en savane, privant le monde d’un puits de carbone indispensable pour freiner le réchauffement.
Avec un réchauffement entre 2 et 3°C, jusqu’à 54% des espèces terrestres et marines pourraient être menacées de disparition d’ici la fin du siècle. Pour certains animaux et variétés de plantes, il est peut être déjà trop tard : « Même à 1,5°C, les conditions de vie vont changer au-delà de la capacité de certains organismes à s’adapter », souligne le rapport, citant les récifs coralliens dont un demi-milliard de personnes dépendent.
L’humanité n’est pas armée pour faire face
« La vie sur Terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes », note le résumé technique de 137 pages. « L’humanité ne le peut pas ». « Les niveaux actuels d’adaptation seront insuffisants pour répondre aux futurs risques climatiques », prévient le Giec.
Agriculture, élevage, pêche, aquaculture… « Dans tous les systèmes de production alimentaire, les pertes soudaines s’accroissent », observe le rapport, pointant les aléas climatiques comme « principal moteur ». Même en limitant la hausse de la température à 2°C, entre 8 à 80 millions de personnes supplémentaires auront faim d’ici à 2050 – principalement en Afrique et Asie du Sud-Est – en raison de mauvaises récoltes, d’une baisse de la valeur nutritive de certains produits et d’une envolée des prix.
Des catastrophes « en cascade »
Le texte souligne le danger des effets en cascade. Certaines régions (est du Brésil, Asie du Sud-Est, Chine centrale) et presque toutes les zones côtières pourraient être frappées par trois ou quatre catastrophes météo simultanées, voire plus. En plus des vagues-submersion plus fréquentes menaçant les villes côtières, entre 350 et 400 millions de citadins seront exposés aux pénuries d’eau, si la température augmente de 1,5°C à 2°C. 1,7 milliard de personnes supplémentaires seront exposées à de fortes chaleurs, 420 millions à des canicules extrêmes.
Beaucoup de ces effets sont déjà inévitables à court terme. Ils pousseront de nombreuses familles à l’exode et fragiliseront la santé de dizaines de millions de personnes. Les maladies liées à la qualité de l’air, notamment la pollution à l’ozone, typique des vagues de chaleur, vont « substantiellement augmenter ». D’ici 2050, la moitié des habitants de la planète pourrait être exposée à la dengue, la fièvre jaune ou Zika, le réchauffement favorisant le déplacement des moustiques vers des zones jusque là épargnées.
« Chaque fraction de degré compte »
L’une des principales inquiétudes porte sur les « points de bascule ». Au-delà de 2°C, la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique de l’Ouest (qui contiennent assez d’eau pour provoquer une hausse du niveau de la mer de 13 mètres) pourraient par exemple entraîner un point de non retour. C’est pour cela que « chaque fraction d’un degré compte », insiste le Giec.
En signant l’Accord de Paris en 2015, le monde s’est engagé à limiter le réchauffement à 2°C par rapport à l’ère pré-industrielle, si possible 1,5°C. Désormais, les experts du Giec préconisent un abaissement du seuil au-delà duquel le réchauffement peut être considéré comme acceptable. « Nous avons besoin d’une transformation radicale des processus et des comportements à tous les niveaux : individus, communautés, entreprises, institutions et gouvernement », plaide le rapport. « Nous devons redéfinir notre mode de vie et de consommation ».
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